samedi 3 septembre 2022 par Nikos Graikos
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Emmanuelle Collas Paris septembre 2022
L’écriture ne peut être insouciante
La revue en ligne « Anagnostis » (Le Lecteur https://www.oanagnostis.gr/) a lancé récemment un débat fort intéressant sur la traduction et l’édition de la littérature néohellénique dans différents pays. En lisant ces articles nous avons pensé qu’un autre sujet d’étude qui nécessiterait une recherche serait le nombre important de livres, de tous genres littéraires, dont l’action se déroule en Grèce et dont le sujet est inspiré par son histoire ou même son actualité.
« Elefteria », de Murielle Szac, paru récemment aux Editions Emmanuelle Collas, est un roman captivant qui montre bien l’intérêt de ce type de livres. Autrice de plus d’une vingtaine d’ouvrages de jeunesse ou de poésie, Murielle Szac, s’est plongée au cœur de la mythologie grecque avec la série Le Feuilleton d’Hermès, de Thésée, d’Ulysse ou d’Artémis : Elle a beaucoup travaillé pour la transmission de cet héritage classique auprès des jeunes générations. Ses liens étroits avec la Grèce sont connus dans le monde philhellène. Elle participe en effet à de nombreuses manifestations culturelles, surtout des soirées de lecture souvent accompagnées par des musiciens. Cette fois elle s’aventure, avec succès, dans un terrain qui pourrait s’avérer glissant, celui de l’histoire du XXe siècle.
Nous disons d’emblée que nous trouvons à ce roman une grande qualité d’écriture. Il n’est pas le résultat de la simple inspiration de son autrice. Il a dû certainement nécessiter de longues lectures et recherches.
Nous lisons sur la quatrième de couverture : « 1940, au nord de la Crète. La communauté juive célèbre Rosh Hashana. Rebecca écoute les commérages sur le futur mariage de Stella. On s’interroge aussi sur la guerre qui a commencé en Europe. Metaxas, le dictateur au pouvoir à Athènes, saura-t-il résister à Mussolini et à son allié, Hitler ? Bientôt, le bateau de Nikos, le Tanaïs, est réquisitionné par l’armée grecque. Malgré la menace, la vie continue…
Jusqu’au matin du 20 mai 1941, lorsque le IIIe Reich lance sur la Crète une invasion aéroportée. Faut-il fuir ou rester ? C’est l’heure de savoir si l’on est libre de choisir son destin. »
Le sort de la Communauté juive de Crète a peu occupé les écrivains, et elle n’est pas connue contrairement à celle, pour ne citer qu’un exemple, de Thessalonique. Muriel Szac non seulement choisit ce sujet épineux mais elle nous donne sans aucun manichéisme une palette de personnages qui traversent l’histoire de la Crète pendant la deuxième guerre mondiale. Elle sait nous offrir un regard à la fois extérieur, comme romancière française, et crétoise, comme si elle faisait partie de l’histoire.
De nombreux écrivains passionnés par leur sujet s’identifient aux héros de leurs livres. Malheureusement les écrivains philhellènes tombent souvent dans le piège de l’admiration du pays et de son peuple et cela ne laisse place à aucun regard critique. Ils s’adonnent à une sorte d’hagiographie qui nuit à la plausibilité de leurs propos. La particularité d’Eleftheria est la véracité de ses personnages, leur complexité. Si les combattants occupent la place principale du livre, nous avons d’autres personnages qui sont soit carrément monstrueux, comme certains militaires allemands et leurs collaborateurs, soit dans un doute constant comme le personnage d’un militaire italien, d’un photographe polonais, d’un marin grec. L’autrice a le courage de dénoncer les côtés noirs de l’histoire de Crète, elle ne flatte personne.
Les Juifs, tout en étant pris dans la tourmente de l’histoire pouvaient réagir différemment. Continuer leur chemin en croyant pouvoir passer à côté de la tempête, s’engager, prendre des risques ? Nous ne voulons rien vous dévoiler de l’évolution de l’histoire. Nous voulons juste souligner que le lecteur se pose souvent la même question : « Qu’aurais-je fait à la place de tel ou tel personnage ? »
Cette interpellation du lecteur est la véritable force du livre. Serons-nous à la hauteur pour les nouveaux combats à mener ? Si notre mémoire reste vive, nous l’espérons, semble nous dire Murielle Szac. Mais fine connaisseuse de l’écriture littéraire elle nous enseigne l’histoire sans jamais alourdir ses propos, sans insister sur les détails dramatiques. Elle décrit l’horreur, les villages martyrs, la barbarie nazie, sans complaisance, sans vouloir nous impressionner. Le livre a un rythme haletant, il est divisé en petits chapitres et offre des respirations lyriques avec un beau choix d’extraits de l’Ancien Testament mis en exergue pour articuler l’ensemble.
Nous avons parlé de la complexité des personnages. Parlons pour conclure du personnage principal : la Crète. La mer est omniprésente ; mais la montagne et la campagne aussi. Les milieux urbains, les villages, la diversité sociale, les différentes communautés, les us et les coutumes, les âges différents, les hommes et les femmes. La nature, si bien décrite, semble trouver sa voix. Nous avons l’impression d’être en constant dialogue avec elle. Les vignes, des oliviers, les rivages les montagnes, les objets même, nous parlent tout au long du roman.
Cette nature se lève et elle semble nous dire que tout dépend de nous. La jeunesse et la beauté de deux jeunes amies qui commencent leur vie pourraient-elles être sauvées ? N’avons-nous pas fait ce qui était nécessaire pour gagner la liberté si désirée ? Elefteria- Liberté : un livre, un engagement, une façon de vivre.
Nikos Graikos
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