Un roman et une nouvelle réédités par les éditions Piranha
samedi 29 octobre 2022 par Françoise Urban-MenningerPour imprimer
La Fondation Maurice Carême, installée dans la maison où le poète vécut de 1933 à 1978, a eu la merveilleuse idée de faire rééditer son roman "Médua" paru en 1976 ainsi que sa nouvelle "Nausica", deux textes qui interrogent les forces obscures qui travaillent en nous et plus précisément dans l’esprit des deux artistes confrontés aux forces irrationnelles qui les submergent dans cet ouvrage.
D’emblée, l’illustration de couverture, une tête de méduse peinte par Le Caravage, nous donne à penser que cet ouvrage s’inscrit dans cette lignée d’écrivains belges francophones, tels Maurice Maeterlinck, Georges Rodenbach, Franz Hellens et bien d’autres, qui ont partie liée avec le surnaturel.
Le poète Jacques Rivière côtoie un couple de saltimbanques pour le moins étranges dont la femme, qui semble répondre au prénom de Médua, est la compagne triste et résignée de l’illusionniste Malbot. On se remémore le duo bouleversant dans le film "La strada" de Federico Fellini où Gelsomina avait été vendue par sa mère au forain Zampano.
Obsédé par le visage de Médua dont le regard le poursuit, le poète Jacques Rivière qui assiste à un numéro d’illusionnisme où Médua est décapitée par Malbot, perd peu à peu la tête...L’obsession devient telle qu’il rapporte dans son appartement une méduse trouvée sur la plage. Commence alors un processus irréversible d’altération qui va de pair avec l’impossibilité pour le poète d’écrire. Le salon se mue insensiblement en un aquarium et l’on songe aux essais de Gaston Bachelard, en particulier à "L’eau et les rêves" où les images, les sons et les couleurs se liquéfient. Mais quoi de plus naturel quand on a pour patronyme Rivière ? "Cet aquarium me rappelle la couleur des yeux de Médua", lit-on sous la plume de Maurice Carême et de revenir à plusieurs reprises sur "la robe jaune de Médua" ou encore d’évoquer "le vert transparent de ses prunelles" et enfin "Je me tournai vers la mer. Elle avait la couleur des yeux de Médua".
La méduse et Médua finissent par ne faire plus qu’une...N’oublions pas que dans la mythologie, la méduse est l’une des trois Gorgones, la seule mortelle. Archétype de la femme fatale, la méduse possède le pouvoir de pétrifier. Dans le roman de Maurice Carême, on assiste à un processus d’humanisation de la méduse, son chant morbide, la langue mystérieuse de Médua se confondent et le regard de la méduse devient celui de Médua. Le lecteur participe à une quête, celle de l’écriture qui se fait et se défait dans l’espace mental du poète. Nous retrouvons cette quête et des correspondances dans "Mélusine" de Franz Hellens. C’est ainsi que la robe bleu saphir de Mélusine nous rappelle celle de Médua dont la couleur jaune éclaire le poète et qu’il décline à l’envi en évoquant encore et toujours la mer "Quand je découvris la mer, au bout de la rue, elle était d’un jaune vert si frais que je crus voir un pré éclairé à contre jour, après l’orage. La plage rayonnait".
La beauté des images de Maurice Carême baigne l’imaginaire du lecteur dans un surréel onirique car peut-être sommes-nous "médusés", voire envoûtés par un charme qui agit tel un philtre sur notre inconscient alors que dans le même temps, nous vivons dans un rêve éveillé. René Deharme, l’avocat rencontré par Rivière explique dans une phrase cette atmosphère irréelle :"Il est vrai que les poètes ont des accointances avec le mystère" !
Dans la nouvelle intitulée "Nausica", du prénom d’une jeune fille que le peintre Jean Delacroix aurait croisé subrepticement quelques trente années plus tôt et dont il tente désespérément de reproduire le portrait de mémoire sur une toile, on assiste à cette même quête illusoire qui finit par détruire son auteur. Comme dans Médua, la folie gagne le peintre qui n’arrive pas à capter le sentiment de "ravissement" qui l’avait saisi lors de sa rencontre éphémère, peut-être même rêvée avec Nausica. Dans les deux récits, les yeux, que l’on qualifie souvent de "miroirs de l’âme", nous font appréhender l’invisible au-delà des mots, voire l’enfer dans Nausica. Le peintre atteint d’une infection à l’oeil comme son épouse plus tard, se trompera de flacon et aurait pu rendre sa femme aveugle en lui versant avec une pipette des gouttes destinées à un autre usage si celle-ci ne l’avait pas arrêté.
Nul doute que ce sont ses hallucinations et délires qui aveuglent le peintre et le font basculer, comme dans "Le chef-d’oeuvre inconnu" de Balzac, dans un monde irrationnel sans retour à la réalité possible. Dans ces deux écrits, Maurice Carême explore avec magnificence cette quête d’absolu et de perfection que l’artiste n’atteint jamais mais se doit d’approcher au plus près dans sa recherche créatrice.
Françoise Urban-Menninger
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