Poèmes publiés aux éditions Le Bruit du temps
dimanche 23 avril 2023 par Françoise Urban-MenningerPour imprimer
Lors du confinement imposé par le gouvernement en 2020, Jean-Claude Caër décide de se retirer avec son épouse sur sa terre natale à Plounévez-Lochrist en Bretagne plutôt que de subir son enfermement à Montmartre. Ce retour aux sources, sur les terres de ses ancêtres, font se côtoyer dans ce recueil les voix de ses proches avec celles des fantômes littéraires qui cohabitent dans son esprit. Ce sont elles qui le conduisent par l’écriture "Sur la voie abrupte" qui se confond avec toutes les voix qui parlent en lui.
On y perçoit celle de sa mère décédée dont les bribes de phrases affleurent sur la page blanche "le monde paysan était austère", énonce-t-elle et Jean-Claude Caër d’écrire "Elle répète toujours les mêmes histoires, les mêmes mots/ Défile la pelote du temps". L’auteur ne fait pas autre chose quand il dévide dans son livre les riens minuscules qui sont autant d’instants de grâce. Il nous en donne la clé dans trois vers lumineux et éclairants : "Dans la peinture chinoise, il y a deux manières de peindre le vent :/ Des rides sur l’eau, des feuilles qui tremblent./ Peigne fin du squelette des arbres nus dans le vent".
Sous les mots, les rides du silence ont partie liée avec "La vie miroitante, la vie éclatante, la vie qui s’en va loin de toi" car revenir sur les pas de son enfance c’est aussi renouer avec son origine où l’échéance de tout un chacun confine.
Lors de ses menus déplacements qu’il s’autorise en signant son attestation, il est accompagné en pensée par les auteurs qui l’habitent, le poète japonais Tabuboku Ishikawa, Anna-Akhmatova dont il se souvient de la maison-musée à Saint-Pétersbourg où se tenait un gros chat roux près de la caisse enregistreuse alors que dans une autre pièce, où était reconstitué l’appartement new-yorkais de Brodsky, trônait sur le bureau un portrait d’Anna Akhmatova posant avec un chat roux "De la même couleur feu que la chevelure du poète"...
Dans ses promenades sur les lieux de son enfance, c’est à l’intérieur de lui-même que Jean-Claude Caër chemine. Les paysages bretons qu’il nous donne à découvrir tels les rochers de Mean Melen, Roc’h Vran qui sont "les pyramides" bretonnes
se confondent avec ses réminiscences littéraires, ses voyages qui se prolongent et s’incarnent dans un texte qui devient sa nouvelle peau. Quand il évoque sa mère, il écrit : "Ma mère me manque_/ Son enveloppe charnelle./ Sous l’oeil de ma mère le monde avait des couleurs plus vives./ " Et de conclure à la fin de ce poème qui suspend le temps en lui arrachant un fragment d’éternité : "Nos enveloppes mortelles_/ Ici à la fenêtre."
Car le temps tisse, sous les mots, la trame de ce recueil où le poète éprouve durant son hiver avec les bernaches "cette sensation de l’évaporation du temps" mais sur la page suivante, les bernaches parties en Syrie, d’annoncer le retour des hirondelles de mer et de confier "Ca roucoule à nouveau sous les feuilles".
Gaston Bachelard remarquait que "Les instants sont à la fois des donateurs et des spoliateurs et qu’une nouveauté jeune ou tragique, toujours soudaine, ne cesse d’illustrer la discontinuité essentielle du temps". Autrement dit, un temps fini peut contenir autant de plaisir qu’un temps infini...
C’est tout le paradoxe lié à ce temps qui nous fait et nous défait que l’on ressent dans le livre de Jean-Claude Caër, c’est le bonheur d’être au monde mais aussi la crainte d’avancer, malgré la vie’, "Sur la voie abrupte" d’où "le monde ne reviendra pas".
Mais fort heureusement, il nous reste ces bribes de paroles qui nous parviennent pour nos offrir des parenthèses enchantées : "Il faudrait qu’on ait un filet à papillons pour garder nos conversations, me dit Bruno, ce sont de vrais poèmes".
Françoise Urban-Menninger
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