Traduit de l’anglais par Paul Decottignies, paru aux Editions Arfuyen
samedi 30 mars 2024 par Françoise Urban-MenningerPour imprimer
Elizabeth von Arnim et Katherine Mansfield, sa cousine, auraient pu être mes amies, elles le sont par leurs récits qui ont investi mes pensées comme l’ont été leurs lectures qui les ont accompagnées dans leur propres écrits. "Un été en montagne" rédigé en 1919 par Elizabeth von Arnim est resté totalement inédit en français jusqu’à ce jour, nous devons sa traduction à Paul Decottignies et notre bonheur de lecture aux éditions Arfuyen qui ont publié ce véritable joyau de lumière qui vient enrichir la liste des romans de cette merveilleuse autrice.
Née en 1866 en Australie dans une riche famille anglaise, Elizabeth von Arnim passe son enfance à Londres où elle fera de brillantes études au Collège Royal de Musique. En 1889, elle visite l’Europe avec son père et y rencontre le comte von Arnim en Italie, un aristocrate prussien qu’elle épousera en 1890. Le couple aura 5 enfants et Elizabeth goûtera à la vie à la campagne en 1895 au château de Nassenheide qui lui inspirera son premier livre Elizabeth et son jardin allemand publié anonymement en 1898. Quand le comte von Arnim décède en 1910, Elizabeth vivra plusieurs vies...En 1912, elle se fait construire son Chalet Soleil en Suisse puis elle mène une vie mondaine et entretiendra une liaison tapageuse avec H.G.Wells, l’auteur de L’Homme invisible. Plus tard, elle épouse Francis Russel, frère du philosophe Bertrand Russel dont elle divorce en 1919. C’est cette année-là qu’elle se réfugie dans son chalet et écrira Un été en montagne, où la narratrice et l’autrice vont se confondre en arrière-plan dans une histoire qui débute comme l’écriture quasi quotidienne d’un journal où l’on redécouvre toute la finesse des analyses psychologiques que l’on connaît à Elizabeth von Arnim.
C’est dans ce paradis idyllique qu’ Elizabeth von Arnim cherche à mettre "son âme en sécurité", elle y parviendra par intermittence dans une parfaite symbiose avec la nature dans laquelle elle se fond corps et âme et qu’elle exprime avec magnificence et poésie : "Durant ces brûlantes journées d’août, je vis dans une si grande gloire de lumière et de couleur que j’ai l’impression d’être au coeur étincelant d’un joyau". Mais cette plénitude est souvent interrompue par des réminiscences liées à la guerre, la perte d’un frère au combat en 1918, sa vie affective perturbée par sa séparation d’avec Francis Russel, elle essaie de se détourner de ses préoccupations et confie dans son livre "On est reconnaissant au moins d’être au jour d’aujourd’hui et non plus alors" et de dénoncer "les tueries et massacres de jeunes corps".
Dans ses randonnées en montagne, elle n’est jamais seule, ses lectures la suivent où qu’elle aille, elle relit une lettre élogieuse que lui a envoyé Henry James en 1913..Mais c’est la rencontre inopinée avec deux Anglaises qu’elle invitera à séjourner chez elle qui apportera un tournant au roman. Car si la narratrice apprécie la solitude, celle-ci finit par lui peser car elle remarque "Etrangement, écrire rend moins solitaire". S’ensuit alors une histoire dans l’histoire car Mrs Barnes et sa soeur Dolly partagent un secret que la narratrice va nous faire découvrir au fil des pages.
Rejetée par la société anglaise en raison d’un mariage qui heurte la morale de l’époque, Dolly vit sous la houlette et l’aile protectrice de l’austère Mrs Barnes.
Avec finesse, élégance et humour, la narratrice va nous convier dans ce chalet où un couple de gardiens et les invitées vont devenir, à leurs dépens, les acteurs d’un huis clos ! Désargentées, les deux soeurs souhaitent vivre avec parcimonie dans la plus grande frugalité pour ne rien devoir à leur hôtesse, ce qui génère des quiproquos drolatiques car les Antoine, à savoir les gardiens, imaginent que c’est "Madame" qui impose ces restrictions. Quand la narratrice évoque "la tyrannie de l’altruisme", nous rions de "ces combats de générosité" où chacun s’efforce de faire plaisir à l’autre " supposant qu’elles pourront rendre l’autre heureux".
L’arrivée de l’oncle, que Mme Antoine, la femme du gardien, ne cesse d’appeler "Monsieur l’Evêque", va changer la donne et l’histoire va prendre un nouveau tournant !
On reconnaît dans ce roman, la musique propre aux écrits d’Elizabeth von Arnim, le petit jardin qui jouxte le chalet renvoie à celui de son jardin allemand car l’autrice a ce rapport particulier et intime avec la nature qui lui permet de renouer avec son âme végétale et de nous faire entendre le chant de la terre. Dans tous ses livres, on retrouve cette magie où les mots poussent comme des fleurs et embaument son jardin d’écriture pour nous délivrer cette lumière intemporelle et universelle qu’elle nomme "la félicité" et qu’elle explique ainsi "Rien que respirer, c’était un bonheur. Je pense que la plus grande bénédiction que j’ai connue dans ma vie a été d’avoir pu si souvent éprouver la félicité qu’il y a dans le simple fait de respirer".
Françoise Urban-Menninger
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