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Le Retable d’Issenheim - Margherita Guidacci

Cycle poétique suivi par celui de L’Horloge de Bologne, Arfuyen

jeudi 16 mai 2024 par Françoise Urban-Menninger

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Publiés à un an de distance, Le Retable d’Issenheim (1980) et L’Horloge de Bologne (1981), ces deux cycles poétiques, réunis dans un même ouvrage, traduits de l’italien et présentés par Gérard Pfister, se font écho dans la douleur de notre humaine condition et trouvent leur résonance dans notre monde actuel empreint de souffrance et en manque de repères.

Née en 1921 à Florence, Margherita Guidacci perd son père très jeune et reste seule avec sa mère. Ses lectures pallient dans son enfance le manque de relations sociales, plus tard, elle se tourne vers l’étude de littératures anglaises et américaines, Emily Dickinson devient l’une de ses autrices tutélaires. Son premier recueil paru en 1946 Le sable et l’ange nous invite à un dialogue cosmique qui nous donne à entrevoir la voie de l’éternité.
La poète, qui ne publie que lorsqu’elle en sent "la nécessité intérieure", est frappée, de passage en Alsace en 1932, par la beauté cruelle et la puissance irradiante du Retable d’Issenheim peint par Mathis Grünewald, aujourd’hui visible au musée Unterlinden de Colmar.
Comme dans ses autres recueils, Margherita Guidacci tente d’appréhender cette ligne de crête entre le monde visible et celui des ombres. Dans son poème Crucifixion, à "cette croisée des ténèbres", la croix symbolise "les axes cartésiens/ de la vie et de la mort". Grünewald dans son Retable nous donne à voir l’horreur de corps mutilés, putréfiés, gangrenés par les épidémies, horreur d’autant plus insoutenable qu’elle est magnifiée par la beauté de sa peinture. C’est un cri de terreur qui traverse la chair vive de l’humanité et se répercute plus tard dans le tableau d’Edvard Munch.
Mais dans ce premier cycle poétique "la musique est le passage" vers cette lumière que l’autrice célèbre dans le poème Concert Céleste et dans lequel elle s’interroge "...Nous sera-t-il donné,/ à nous aussi, en un instant ineffable,/ de n’être que musique et lumière ?"
Le 2 août 1980, une explosion dans la gare de Bologne, due à un attentat (85 morts et 200 blessés), réveille dans l’inconscient de tout un chacun ce cri de terreur face au mal qui a changé de nature, le terrorisme a remplacé la misère endémique dans les sociétés occidentales. Margherita Guidacci extirpe des décombres de notre mémoire collective les figures originelles du mal, celle de Caïn et d’Abel. A "la croisées des ténèbres", qui renvoie à la Passion du Christ, font écho ces "...innocents voyageurs qui vainement dans des gares/ de tous les points cardinaux seront attendus". Autrement dit, ils ont rejoint "... une autre destination, l’ultime,/ sans même être partis." Les corps suppliciés des voyageurs de la gare de Bologne rejoignent dans la fosse commune, d’une humanité qui n’en porte plus que le nom, ceux que Grünewald a peints et a éternisés. Et la poète de s’écrier "La patrie de l’homme est l’homme, et nous tous, nous sommes en exil !" Puis d’invoquer le Seigneur et de s’en remettre à lui dans un ultime "cri d’exil" exprimé dans un vers d’une intensité lumineuse "Brise ce coeur de pierre, donne-nous un coeur de chair".
Le cri de Margherita Guidacci entre en résonance avec "le cri muet" de la bouche de Jean sur le panneau central du Retable d’Issenheim, évoqué par Gérard Pfister dans la préface de ce livre et qu’il met en parallèle avec le mécanisme bloqué de L’Horloge de Bologne, encore aujourd’hui arrêtée à 10H20 heure de l’explosion.
Puisse un jour les aiguilles recommencer à tourner et le monde retrouver la paix...Dans Inventaire du massacre, l’autrice s’interroge "...les morts maintenant sont en paix/ mais pour les vivants, sans justice, peut-il être une paix ?" Et de clore son recueil avec deux autres questions auxquelles il appartient à chacun d’entre nous d’y répondre "Qui nous donnera du courage ? Où est notre espérance ?"

Françoise Urban-Menninger



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