Recueil publié aux Editions Astérion
lundi 7 avril 2025 par Françoise Urban-MenningerPour imprimer
D’emblée l’autrice nous donne la définition de la "rémanence" dans son avant-propos en citant le dictionnaire Robert qui nous informe que ce mot désigne "la persistance partielle d’un phénomène après disparition de sa cause". L’on sait dès lors qu’ Alix Lerman Enriquez va faire danser dans ce recueil, qui retrouve ici son sens premier, les ombres du passé, "des débris de choses émiettées" enfouies dans sa mémoire...Eugène Guillevic nous le répétait "c’est le poème qui nous met au monde" et l’autrice d’ illustrer cette assertion avec une plume délicate qui réenchante le sentiment de perte et d’inachevé qui, malgré la fuite du temps, la font tenir debout.
Selon ses propres dires, Alix Lerman Enriquez "sauve de l’oubli les vestiges de vies humaines autrement oubliées", certains d’entre eux ont partie liée avec l’enfance qui en est le terroir, voire le sable où l’on perçoit "les pas perdus des enfants au loin". Ce sont "les traces fossiles de l’enfance" que l’autrice veut préserver dans des conques où "les mots figés de silence" participent de "l’infinie grammaire du poème" dont elle s’emploie à saisir "l’infime trace de l’éternité". Et c’est justement ce rapport intime avec l’infime qui confère une âme à ces écrits qui "sauvent de l’oubli" la quintessence d’une existence, celle d’une femme qui les réunit toutes dans une même et incoercible douleur dans le poème intitulé Bûcher où l’image de "Femmes immolées" laisse planer "le fantôme" qui "erre, hurle à la mort/ hurle jusqu’à nos jours/ sur la terre entière".
Les blessures, l’absence, la fuite du temps creusent inéluctablement leurs sillons et l’autrice, dans une luminescence rarement égalée, n’hésite pas évoquer les outrages du temps "des cicatrices sur mon ventre/ d’où sont sortis tant d’enfants/ Et mes seins de soie affaissés/ ressemblent à des oiseaux flétris..." Mais la petite fille de cinq ans que fut Alix ne cesse de courir entre les pages de ce livre qui nous ramène "dans un état de lumière". Si les années n’ont pas révélé tous leurs secrets, ceux des non-dits, la beauté du monde, celle de l’instant éternisé se cueillent telle "Une rose effritée dont les pétales/ saupoudrés de lumière, s’envolent".
Poète des marges de l’infini et de l’aparté, Alix Lerman Enriquez qui a déjà publié de très nombreux recueils et obtenu plusieurs prix pour ses écrits, signe avec Rémanences un ouvrage intemporel qui nous invite à appréhender cette beauté mourante du monde qui s’égrène jour après jour. Les images empreintes de magnificence "sauvent de l’oubli" l’autrice qui écrit "Cinquante ans ont passé depuis/ et dans mes rêves, encore, il m’arrive/ de boire le ciel bleu, la mer vif-argent/ de boire ce vin rouge du couchant..." Nul doute qu’Alix Lerman Enriquez a compris que l’essentiel est de "sauver l’être" comme l’explicite Yves Bonnefoy et non pas de se tourner vers une poésie qui s’exile dans la beauté pour "fuir un monde où l’être s’est dégradé". L’autrice marque sa présence au monde dans sa douleur d’être mais aussi dans le bonheur de la transcender en nous octroyant la part belle de son âme quand "un oiseau se pose sur son épaule".
Françoise Urban-Menninger
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