Traduit de l’allemand et de l’alsacien par Michèle et Angèle Finck, roman publié aux Editions Arfuyen
mercredi 30 avril 2025 par Françoise Urban-MenningerPour imprimer
Publié en 1985, Der Sprachlose (l’aphasique) est, selon son auteur, "un roman à caractère autobiographique" car pour comprendre ce que signifie "être sans langue" pour un Alsacien, né en 1930 comme Adrien Finck, il faut connaître l’histoire tragique de l’Alsace qui, tour à tour, devient française, allemande, puis à nouveau française avec les contraintes linguistiques imposées par les vainqueurs qui font taire la seule langue qui parle du fond de l’être et qui a partie liée avec l’âme.
Paul Celan l’écrivait, et Michèle dans son admirable préface nous le rappelle, "seule la langue maternelle ne meurt jamais" et cette langue, François, le double d’Adrien Finck dans le roman, on va la lui enlever non pas comme pour Philomèle mais en le muselant car l’Alsace, redevenue française en 1918, "ne parlait pas la langue de la mère", c’est à dire l’alsacien. Cette "tragédie alsacienne", Michèle Finck nous dit qu’elle tient tout entière en un seul vers "Et à l’enfant ils ont pris son enfance", voilà qui "condense le traumatisme originel de l’enfance", ajoute-t-elle.
Perdre sa langue, c’est perdre son identité, ses racines et entrer en déshérence, voire n’avoir plus aucun repère...Et c’est bien ce que le narrateur évoque à travers la figure de François qui devient malgré lui, envers et contre tous, le porte-parole d’une langue sacrifiée. François "ne maîtrisait pas à fond le français, la langue nationale", or si l’on ne parle pas "la langue des maîtres", "tu es et tu restes un paysan" !
Voilà toute l’histoire de l’Alsace, celle de son âme qui aurait disparu dans les labyrinthes de l’Histoire, s’il n’ y avait eu la poésie. Car après la mort annoncée de François dès le début de l’ouvrage et son suicide, Adrien Finck lance dans son épilogue un cri d’espoir qui a partie liée avec la renaissance de la poésie dans sa langue natale, celle qui a imprégné et forgé son enfance dans le village d’Hagenbach dans le Sundgau où il est né.
Albert Camus, Emile Cioran l’avaient écrit "Nous habitons une langue" et "Notre vraie patrie, c’est notre langue" ! C’est dans cet esprit qu’Adrien Finck a consacré sa vie, en tant que professeur de germanistique à l’Université de Strasbourg, à la poésie moderne et contemporaine en Allemagne et en Autriche, en rédigeant des essais dédiés à Hölderlin, Trakl, Rilke, Kunze...Il s’est également employé à la réhabilitation de René Schickele, Européen fervent, il s’est engagé pour la défense de l’alsacien et de l’allemand en Alsace et pour ce faire "L’homme sans langue" est entré en "Résistance par la langue". Une suite de poèmes traduits par Michèle et Angèle Finck, lauréates du Prix Nathan Katz du Patrimoine 2025 pour cet admirable ouvrage, nous donnent à entendre leur musique car n’oublions pas que le rêve de l’auteur était de devenir chef d’orchestre.
"Penser est mauvais/ mieux vaudrait ne plus dire/ car dans le sens toujours est la peine/ musique est meilleure ", écrit Adrien Finck. Et c’est dans une" triphonie" où l’allemand, l’alsacien et le français composent l’idéal rêvé d’un trilinguisme par le poète, voire même une "europhonie" transcendant les littératures nationales qu’ Adrien Finck, dans une vision utopique, tente d’abolir à jamais l’angoisse "d’être sans langue" car Michèle Finck nous l’affirme dans sa préface "L’homme sans langue est d’abord une leçon d’histoire et de pacifisme" !
Françoise Urban-Menninger
Photo prise lors de la remise du Prix Nathan Katz par Claude Menninger. Michèle Finck tend le micro à sa mère, Angèle Finck.
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