vendredi 8 juin 2012 par penvins
Pour imprimer
Du titre « Tu me demandes si j’ai connu la guerre » je ne retiendrai que la proposition au passé, il s’agit effectivement de cette guerre qui n’est plus, ou qui ne voudrait plus être. Le roman est celui d’un changement d’identité, l’auteur y revendique son nouveau nom comme pour dire, cette guerre que j’ai longtemps faite, je la mets de côté, la guerre est finie puisque enfin on peut en parler, fusse à mots couverts.
Le livre est complexe, c’est un premier roman, l’auteur a sans doute voulu trop y mettre. Mais l’essentiel est là, le livre marque un basculement, Nicole Barrière y passe de la poésie au roman comme elle passerait de la difficulté de vivre au dépassement d’un passé douloureux.
Parce que la première fois qu’elle rencontra la guerre, ce fut contre son corps, obligée par une belle-mère autoritaire et un fils soumis de se faire avorter. Suivront de longues années à fréquenter les terrains de combats et à lutter aux côtés des femmes privées de toutes les libertés. Ce sont là sans doute les chapitres les plus réussis du livre, la lutte des femmes y est décrite avec une grande vérité, on est au coeur du sujet, la guerre faite aux femmes qui aura été pour Nicole Barrière le combat entre tous, combat qu’il faut aussi engager dans la langue, cette langue qui n’est pas la langue paternelle, mais celle d’un peuple républicain auquel elle a dû faire allégeance. Droit des femmes, droit à une identité pour celle qui n’avait pas été désirée et dont même le prénom avait fait l’objet d’un combat sournois entre le père pour qui elle était Monique (l’Unique) et la mère. Rien ne nous est dit mais rien non plus ne nous est caché de la biographie de Nicole Barrière, autofiction dit-elle allant jusqu’à se présenter sous son vrai nom pour mieux créer son personnage qui deviendra l’auteure elle-même sous le nom choisi d’Aurore Altaroche.
Dès lors que le secret est livré, la guerre semble terminée. Je vais changer de nom dit-elle et l’on entre rapidement dans un autre registre, il y a comme une cassure, une rupture de ton et de style qui laisse plus de place à la théorie, Exit la poésie, Lacan vient à la rescousse. Elle écrira :
Oser prendre la liberté de raconter sa vie parce qu’elle croise des personnages qui participent au mouvement de l’Histoire.
Se posent alors les questions, on est sorti de la poésie, on entre dans le domaine de la science où l’on est toujours en position de non sachant. Aurore Altaroche y retrouve l’asavoir [1] paysan qui l’a façonnée.
J’ai regretté que ce livre édité en dehors des circuits de l’édition traditionnelle, ne soit pas très bien édité. Il y a de nombreuses fautes de typographie et cela est assez gênant, il y a même un corps de texte imprimé deux fois ! voir page 163 ! cela méritait beaucoup mieux, infiniment mieux parce que le texte est très riche et qu’il demande une lecture attentive que viennent parasiter ces imperfections.
Quoi qu’il en soit, un livre qui fait une entrée remarquée dans l’univers romanesque.
[1] « Asavoir » C’était le maître mot de la connaissance mais aussi la prudence et l’avertissement , c’était un mot qui commençait souvent une phrase, comme une mise en garde, c’était un mot mystérieux qui contenait le savoir tout en lui ajoutant le a privatif, et du coup remettait en perspective tout ce que l’on sait , remettait en question toute la rhétorique savante qui ne doute pas.
Livres du même auteur
et autres lectures...
Copyright e-litterature.net
toute reproduction ne peut se faire sans l'autorisation de l'auteur de la Note ET lien avec Exigence: Littérature