mercredi 25 juillet 2012 par Meleze
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LUDMILA OULITSKAÏA
LE CAS DU DOCTEUR KOUKOTSKY
Gallimard Paris 2003
Nous avions déjà rendu compte de Chourik pour Exigence : Littérature. Les deux livres sont des farces rabelaisiennes. De même que dans le cas de Chourik, les démêlés du docteur Koukotsy sont capables de vous entraîner dans des éclats de rire tout en vous faisant réfléchir.
Le parti pris de Oulitskaïa est de prendre l’histoire de la Russie avec humour. Chaque personnage peut regarder dans deux directions, celle de ses parents grâce auxquels il voit son passé jusques’ et y compris avant la révolution, ou celle de ses collègues au fur et à mesure que le dramatique 20e siècle russe se déroule. Une cause de l’effet comique est que nous nous amusons cordialement de la distance qui leur reste à parcourir pour sortir de l’ère stalinienne et à en venir jusqu’aujourd’hui à Poutine. C’est d’un comique certain que les structures sociales du stalinisme jouent un effet conservateur et sécurisant comme un passé au sein duquel on peut se retrouver à l’aise.
Le but du roman est de ridiculiser Poutine. Ça fait du bien au moment dramatique où il s’apprête à nouveau à passer la ligne rouge en recommençant à commettre en Syrie puis ailleurs de nouveaux crimes contre l’humanité.
Comme précédemment dans Tchourik on retrouve en toile de fond de ce nouveau roman, Tolstoï que l’auteur connaît par cœur. Cette fois le docteur… lui donne l’occasion par son mariage de faire l’histoire des communautés agricoles qui avaient été fondées par les tolstoïens après 1905 année où le Tsar avait fait tirer sur la foule, ce qu’on avait cru qu’il ne se reproduirait jamais alors que Bachar n’a pas hésité à le refaire plusieurs fois. La femme du docteur qui avait un de ses grands-pères dans une de ces communautés tolstoïennes a survécu à l’arrestation de toute sa famille parce qu’elle a été recueillie par la grand-mère qui a eu l’idée judicieuse de lui faire changer de nom.
Nous voyons là à l’œuvre le positivisme russe qui s’efforce d’unifier la littérature de son pays celle de Dostoievsky ou d’Ehrenburg, en s’intéressant plus aux vivants qu’aux morts, à ceux qui ont survécu, qu’ à ceux qui ont disparu.
Contrairement à un livre américain tel que le celui de Mendelssohn qui, pour l’avantage de notre démonstration, porte le titre de « les disparus », ce ne sont pas les morts qui intéressent les positivistes mais les vivants. Si une personne survit à toute sa famille ça justifie qu’elle figure dans le roman plus que n’importe quelle autre personne qu’elle pleure.
Le docteur mis en scène par Oulitskaïa nous fait comprendre que la mémoire n’est pas un domaine dans lequel il fait bon s’attarder.
Toute la Russie vieillissante est victime de l’Alzheimer. Ceux qui voudraient qu’on se rappelle et pleure les victimes de Staline comme certains ont entrepris de le faire pour les victimes de la Shoah seront déçus. La société russe n’en a cure.
Les tolstoïens ont été arrêtés parce qu’ils ont partagé une vision de la nature dans laquelle la nature se vengeait de la croissance industrielle. Ils ont donc été écologistes avant l’heure. La remise en cause de la croissance au 21° siècle leur donne raison. C’est encore du positivisme.
Et cette philosophie apparaît encore une 3°fois quand on apprend que le docteur Koukotsky a l’intention de s’engager en faveur de l’avortement : « quelques mois avant la mort du guide le projet sur l’autorisation de l’avortement fut mis à l’étude et discuté ». L’avortement tout entier sous la plume Oulitskaïa est le phénomène comique de la société post stalinienne.
Dans la société russe de Staline les morts disparus n’étaient pas plus mémorables que les embryons à tuer. Pourtant l’avortement y était interdit et donc la situation des enfants à naître dans ce pays oriental ravagé par l’alcool était épouvantable jusqu’à ce qu’elle se renverse sous les coups de Koukotsky et de ses maitresses.
Oulitskaïa voudrait voir apparaitre dans l’histoire de ses héros une Russie entièrement nouvelle. Mais les personnages n’y arrivent pas. Avec leurs caractères ils ne vont que d’échecs en échecs et ce n’est pas toujours facile de lire jusqu’au bout un livre de 800 pages qui repose sur la médiocrité.
On s’est fait la même réflexion en lisant le Limonov d’Emmanuel Carrère. Le héros est si lamentable, si complètement inintéressant qu’il est long de suivre les 8OO pages dans lesquelles il se roule dans la fange.
Chez Oulitskaïa l’héroïne devient comme un chien « ce qui n’a absolument rien de vexant car dans certaines maisons toute la vie tourne autour du chien... » et sa fille qui est fille-mère et donc élève son enfant avec un autre homme lui fait dire : « tu leur montreras Genia et tu n’as qu’à leur dire qu’elle n’est pas ma fille ». Et la sentence frappe comme si elle était l’écho du régime de Poutine qui n’est pas non plus dans la filiation du précédent et qui en passant la ligne rouge de crimes contre l’humanité n’est pas non plus responsable pour l’avenir.
Meleze
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