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Barbe bleue, Amélie Nothomb

Editions Albin Michel, 2012

jeudi 30 août 2012 par Alice Granger

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Fidèle au rendez-vous de fin d’été, Amélie Nothomb nous offre son nouveau roman, le vingt-et-unième publié. La logique à l’œuvre dans « Barbe bleue » est plus impeccable que jamais. Depuis le titre lui-même, évoquant directement le conte de Perrault, on se doute de la fin. Car, de la part d’Amélie Nothomb, il était fortement improbable que, dans ce roman comme dans le conte, Barbe bleue tue une nouvelle femme… Il était fort probable au contraire que, devant le Grand Inquisiteur, l’héroïne du roman soit la voix des femmes « refroidies » par Barbe bleue, et que celui-ci, fou d’amour et trop curieux face à la seule femme, la dernière, qui a respecté l’interdit, se fasse piéger à son tour…

En tout cas, c’est un formidable roman sur le froid mortel, qui gèle la vie, qui, via la chambre noire, la sidère et l’aspire en arrière. Dans un style plus maîtrisé que jamais, Amélie Nothomb a réussi à analyser et à mettre en scène, dans un suspense digne d’un polar, le dispositif inconscient qui gèle littéralement dans l’œuf la vie d’un homme plongé dans une dépression profonde, le regard éteint et la voix épuisée. La neuvième femme a peu à peu parfaitement compris : celui qui veut mourir, c’est-à-dire s’en aller au centre de l’œuf, dans le jaune d’or, se laissant entraîner par le jaune asymptotique, métaphysique, c’est Barbe bleue ! C’est lui qui recherche l’amour fou qui, enfin, l’entraînera dans la mort. La neuvième femme va lui offrir l’amoureuse involution dépressive, le grand départ vers avant, le saut d’amour de l’or asymptotique jusqu’au noir éternel. La neuvième femme est allée infiniment plus loin que les huit premières dans sa curiosité, elle a compris le secret de Barbe bleue, sa quête de la seule femme qui saura s’identifier sans jamais se confondre avec la chambre noire et la femme invisible qui y est, à la fois œuf et tombeau, paix éternelle, lui offrant cet acte ultime, cet endormissement par le froid, ce plaisir indicible, ce lent et définitif glissement de l’or vers le noir, après l’égrènement des couleurs à travers huit femmes, vers l’envol de l’âme vers le ciel. La neuvième femme a peu à peu compris que ce que désirait Barbe bleue, dans sa recherche d’une colocataire qui soit la femme idéale, c’était une femme qui saurait, ayant un goût et une intelligence des couleurs, et telle une actrice très au fait du paradoxe des comédiens de rester froid en jouant un personnage, incarner au plus près celle qui, unique et originaire, viendrait le chercher pour le ramener dans l’avant sans couleur, le faire passer de l’or de la lumière au noir après avoir ramené les couleurs de l’arc-en-ciel dans le jaune d’or de l’œuf. La neuvième femme a finalement compris qu’elle n’était que la colocataire d’une femme idéale, follement et mortellement aimée par Barbe bleue le metteur en scène, et cela l’a refroidie, ce n’est pas elle qu’il aime, c’est la femme idéale qu’il a mise en scène, dans une tentative désespérée de rendre visible l’invisible. Un moment prise au jeu, elle a frôlé la tentation de se sentir vraiment la femme aimée, et d’être piégée dans ce miroir mortel, au cœur du secret de Barbe bleue : la femme aimée vient du froid sidéral de la mort, elle est auréolée par la mort, elle n’est pas ce monde, elle est partie dans un autre monde, elle est méta-physique. Barbe bleue aime à mort une femme morte qu’il veut revoir. Les huit femmes qui ont été trop curieuses, qui ont cru qu’elles étaient cette femme-là, idéale, sont devenues dans une non distance la femme morte, la femme éternisée, à jamais belle, et, en même temps, séparées. La neuvième femme a, par-delà la suave sensation d’une griserie voluptueuse comme celle offerte par du champagne d’une qualité toujours plus exquise, finalement parfaitement compris qu’elle ne coïncidait pas avec la femme idéale de l’autre monde aimée par Barbe bleue, celle dont il ne peut pas mettre la photographie dans la chambre noire et froide, parce qu’il n’a photographié qu’une vivante qui a joué le personnage, et non pas la femme idéale qui, elle, n’étant pas de ce monde, n’est en vérité pas visible sur une photo ou bien est une photo noire, elle ne se rejoint que dans le noir et le froid. La neuvième photographie est noire ! Elle est invisible ! La passion mortifère, voire suicidaire, de Barbe bleue, laisse en fin de compte froide la neuvième femme qui a joué le jeu jusqu’au point où elle a compris que cet homme n’avait fait que lui louer la chambre laissée vide par une femme à jamais invisible, gelée, si belle dans sa distance. Un premier temps follement tentée, sur le point de se laisser aller à l’amour dans le sillage de la griserie du champagne dont la qualité augmente follement, elle retrouve soudain la distance de la froideur, car ce n’est pas sa photo, qui serait la preuve qu’il aurait enfin pu rejoindre la femme aimée, la voir, la revoir, qu’il veut contempler jusqu’à l’endormissement suave éternel, mais son absence, son impossibilité, la photo noire, celle qui, invisible, surpasse les huit photos de femmes qui se sont faites prendre au piège du miroir, qui n’ont vu que leur image, et non pas le noir de la chambre noire ! Le secret de Barbe bleue : il s’enfermait dans la chambre noire pour contempler la photographie noire de la femme aimée, la femme invisible. Pression de cet amour fou, qui ne peut trouver la paix que par la dépression du froid mortel. La neuvième femme enferme Barbe bleue dans la chambre froide noire, là où la photo invisible attire l’homme dépressif profond dans un acte d’amour fusionnel définitif. Elle ne peut pas le suivre dans le froid mortel, dans sa dépression profonde, elle ne peut pas rester avec lui dans la chambre noire. Elle ne peut être complice de sa passion mortelle. L’interdit se marque par la distance infinie qu’il y a entre elle, la vivante, et la femme de la photographie noire qu’aime mortellement Barbe bleue qui se laisse attirer, via le bleu amniotique de l’anesthésie par le froid, jusqu’au noir profond.

L’histoire commence avec la curiosité des femmes : elles veulent toutes voir cet homme qui ne sort jamais de chez lui, et dont tant de femmes sont tombées folles. Elles sont, dans la salle d’attente, la proie d’une étrange fascination, à la suite d’autres femmes qui sont déjà venues là. L’homme, propriétaire d’un très bel hôtel particulier, a passé une annonce pour proposer une grande chambre en colocation, pour pas cher. Le problème est que les huit premières colocataires ont toutes disparues ! Saturnine Puissant, belge, n’est pas comme ces Françaises si puissamment attirées par l’aristocratie ! Son nom est Puissant ! Les Françaises, à la différence de la jeune Belge qu’est la narratrice, Saturnine Puissant sont tellement attirées par l’aristocratie ! On devine que les huit premières femmes se sont faites piéger à cause de cela ! Comme il le dira très vite à Saturnine, celle qu’il a choisie pour colocataire : « Je suis l’un des célibataires les plus convoités du monde. C’est aussi pour cela que je ne sors plus de chez moi. Dans chaque réception mondaine, une embuscade de femmes m’attend. C’est pathétique. » Comme c’est un homme riche, habitant un hôtel particulier ayant « un nombre remarquable de boudoirs… Le style était aussi luxueux qu’indéfinissable… », un logement fastueux dont la jeune fille n’aurait jamais osé rêver, elle pense que c’est son argent qui attire les femmes, puisque son physique est quelconque, ainsi que sa conversation. Et bien non, c’est parce qu’il est « l’homme le plus noble du monde » ! Aucune aristocratie « n’arrive à la cheville de l’espagnole », on a dû inventer un nouveau mot pour la désigner : « La grandesse ». Il fait partie des grands, comme il n’y en a qu’en Espagne ! Les grands d’Espagne ! Une fois cela dit : on comprend que cet aristocrate espagnol ne soit intéressé par rien d’autre, au dehors, tout est petit comparé à sa « grandesse » ! C’est un homme saturé par cette grandesse, par sa richesse, par les femmes qui le convoitent. Qu’est-ce qu’il peut désirer ?

Dès la première entrevue, don Elemirio désigne une porte noire, celle qui est interdite, mais non fermée à clef : c’est la chambre noire où, dit-il, il développe ses photos. C’est évident que son désir, c’est qu’elle désire l’ouvrir, cette porte ! Don Elemirio, ce n’est pas quelqu’un qui va vers les autres : par exemple, jamais il ne mangerait la cuisine faite par quelqu’un d’autre ! Par contre, il invite Saturnine à venir partager ses repas, et ses plats seront toujours cuisinés avec art et seront autant de symboles, de paroles, d’indices, que la jeune fille, très perspicace, saura interpréter. Pouvant s’installer tout de suite, l’homme lui met à disposition sa voiture avec chauffeur, pour aller chercher ses affaires. « La Bentley l’attendait au bas de l’immeuble. » Immédiatement, elle est donc immergée dans l’opulence aristocratique ! Elle a loué une grande chambre en colocation, et la voici tout de suite en train de bénéficier d’une vie très privilégiée, aristocratique. C’est de la grandesse ! Amélie Nothomb nous entraîne tout de suite, au fil de ses dialogues très bien écrits, dans une vie à la fois féerique et inquiétante. La Bentley, c’est un contenant qui sent le piège, qui en jette, ce n’est pas le RER ! La voici transportée dans un autre monde, la petite Belge ! Et tout sera comme ça : elle n’a encore rien sali que l’homme de ménage frappe déjà à sa porte pour nettoyer. Ce confort luxueux pourrait piéger la jeune fille, ses sens, son corps, son cerveau des émotions, sont déjà en train de connaître ce milieu où rien ne manque dans lequel baigne depuis toujours l’aristocrate le plus noble du monde ainsi que sa lignée ! Le luxe, le confort, les services, tout cela semble destiné à saturer les sens de Saturnine, afin de réaliser une sorte de rapt par changement radical de milieu social, afin d’initier une addiction. Même le plexiglas de la table de la cuisine « était aussi agréable à la vue qu’au toucher. » Ceci comme indices, cependant, de la vie du propriétaire des lieux : depuis toujours, il a tout ! Il baigne là-dedans ! Il n’a pas de désir. Il s’ennuie, sans doute. D’ailleurs, le bureau où il l’a reçue le premier jour, gigantesque, était orné d’admirables fleurs… mais des fleurs mortes.

L’orgueil de cet homme est gigantesque ! « Aucune dignité n’arrive à la cheville de l’espagnole. Je suis digne à plein temps. » C’est son activité ! Don Elemirio est passionné par la lecture des greffes de l’Inquisition, une instance dont il ne comprend pas à quel point on a pu la médire. Alors que le meurtre et la torture existaient bien avant elle, cette institution était un tribunal qui permettait que la sorcière ait un procès avant son exécution. Les minutes de ces procès, dont se délecte l’aristocrate, « c’est de la métaphysique sublime ». Quel progrès, puisque désormais, au lieu d’aller directement au bûcher, la sorcière peut être innocentée au tribunal de la Sainte Inquisition… Aucune n’a été innocentée… On a la puce à l’oreille : la procédure a déjà commencé, Saturnine est une sorcière à l’intérieur du tribunal, devant le Saint Inquisiteur, et sera-t-elle innocentée, ou bien brûlera-t-elle par le froid ? En effet, n’est-elle pas déjà en train d’ensorceler l’aristocrate, de le rendre follement amoureux ? Le Grand Inquisiteur lui laisse la liberté de se défendre, c’est-à-dire d’être intelligente, et donc de s’apercevoir de l’Interdit, cette distance infinie qui la sépare de celle qu’il aime et qu’elle ne fait que représenter ?

Le monde extérieur choque cet aristocrate par sa vulgarité et son ennui. Même la messe vient à lui. Cela fait vingt ans qu’il ne sort plus. Depuis la mort accidentelle de ses parents. Il a fréquenté le monde, du temps de ses parents. Il a fait des efforts, mais, dit-il, toutes les confidences se ressemblent.

Saturnine est la seule des quinze femmes qui se sont présentées pour la colocation avec laquelle don Elemirio a senti que le destin pouvait s’accomplir. Avec laquelle l’amour peut s’accomplir. « Il y a là un mystère. »

L’aristocrate le plus noble du monde commet des péchés, et son confesseur l’absout par le trafic des indulgences : chaque jour il lui verse quelques ducats. Mais quels péchés ?

La colocation, c’est pour trouver des femmes, bien sûr. Don Elemirio et si noble qu’épouser la femme même la plus noble, ce serait encore une mésalliance. On imagine que sa mère, elle, ce n’était pas une mésalliance… Et voilà… Aucune qui soit de sa… grandesse. Bref, l’intérêt des colocatrices, c’est qu’on n’a pas besoin de les épouser, elles habitent déjà chez vous… C’est ça, les péchés… Faire habiter chez lui des femmes qui sont une mésalliance en puissance, même si chacune d’elle approche de la beauté, à partir du moment où l’aristocrate les habille et leur fait jouer le rôle. De toute façon, pour les Nibal y Milcar (nom complet de l’aristocrate), « tous les gens extérieurs à la famille sont des roturiers. Je préfère une roturière comme vous à ces aristocrates autoproclamés que l’on rencontre en France. C’est pathétique, ces gens qui vous racontent qu’ils avaient un ancêtre à Azincourt ou à Bouvines. » La famille de l’aristocrate descend des Carthaginois et du Christ ! Rien que ça ! Alors, il ne peut en sortir, de la famille. Il ne peut, au prix de commettre des péchés que son confesseur lui pardonne pour quelques ducats, que faire venir des femmes qui, habillées par lui, ressembleront, s’approcheront de manière fascinante de la femme endogamique.

Les beaux partis se figureraient toutes être à la hauteur des Nibal y Milcar, alors que les humbles femmes qui viennent en colocation n’ont pas cette prétention. On pourrait dire qu’elles sont plus malléables, elles ne cherchent pas à ressembler à celle d’avant, c’est l’artiste qui les fait ! Avant, elles ne savent pas quelle sera leur image, leur photo. D’ailleurs, seule Saturnine était ignorante de son pedigree, c’est pour cela qu’il l’a choisie. Elle ne cherchait pas à être à la hauteur du pedigree…

La colocataire est toujours invitée à dîner à la table de l’aristocrate. Elle est une invitée. C’est étrange pour une colocataire. Elle n’a pas besoin de faire la cuisine. Elle se découvre comme faisant partie de la maison. Comme quelqu’un de l’intérieur. Au menu, aux premiers repas, c’est toujours des œufs. « J’ai une passion théologique pour les œufs. » Après l’omelette, pour dessert une crème à base de jaune d’œufs. Il lui sert la crème dans une tasse en or massif : l’onctuosité jaune, opaque, dans l’or baroque, c’est d’une beauté ! Saturnine est éblouie ! En art, dit-elle (et elle s’y connaît, elle effectue un remplacement à l’Ecole du Louvre) l’association jaune et or n’apparaît pas. Alors que « C’est la couleur même de la lumière, modulée du plus mat au plus brillant. » Voilà : la lumière ! Avec cet crème aux œufs servie par un artiste spécial, la couleur est revenue à la lumière. Et don Elemirio l’aime ! Une femme qui sait, par elle-même, être sensible au sens des couleurs ! Qui voit ! Qui ouvre ses yeux sur la lumière : sur ce miracle ! Elle comprend l’or, cette substance de Dieu, donc elle le comprend, et il l’aime. Ensuite, elle goûte la crème aux yeux, et la trouve délicieuse. Non seulement cette fille, Saturnine, est capable de voir, d’être touchée par cette association de l’or et du jaune, d’être touchée de manière esthétique, mais en même temps, le plaisir oral, gustatif, elle ne le boude pas. Même étant une roturière, on dirait qu’elle n’est pas étrangère au monde raffiné et fermé de l’aristocrate. Mais n’est-ce pas aussi parce qu’elle débarque dans cet autre monde, très raffiné, comme un nouveau-né qui ouvre ses yeux sur la lumière, les couleurs, et découvre le plaisir des saveurs ? Elle est en situation de dépaysement extrême. Il jouit de sa capacité à accueillir la nouveauté, à ne pas tout prendre comme si tout s’équivalait.

Volupté : le lit est extraordinairement confortable ! Elle se dit qu’elle ne peut plus se passer de luxe ! Même le marbre de la salle de bains est chauffé, pour le confort des pieds ! Cet appartement est véritablement matriciel ! L’attention pour que rien ne lui manque est partout ! Elle se trouve dans l’œuf de la vie ! Dorlotée ! Petite fille dont le corps, les sens, le cerveau des émotions, sont au comble de la satisfaction. « Un air de douceur qu’elle ne se connaissait pas éclairait son visage. » Elle est une autre, d’un autre monde. Qui tire sur la sonnette, et un domestique entre. Elle vit une autre vie. Elle n’a plus qu’à dire ce qu’elle désire ! Le domestique obéit. Café. Croissant. Au lit !

Forcément, l’aristocrate croit à l’enfer… Pour lui, ne serait-ce pas le manque de la femme idéale, l’impossibilité de la rejoindre car elle est dans l’autre monde, dans le monde méta-physique ?

C’est un homme fixé à la découverte de l’or, c’est-à-dire à cet instant qu’il symbolise par sa couleur, l’instant de la première ouverture des yeux sur la lumière, l’instant de la naissance, ce « dare alla luce », comme on dit en italien. Instant peut-être aussi fixé à jamais sur le personnage qui le donne à cette lumière, cette inoubliable femme devenue idéale, et invisible, tirée en arrière dans l’autre monde, métaphysique. A sept ans, le jeune aristocrate est allé prier, un jour d’hiver. Notez déjà l’indice du froid, de l’éloignement irréductible, de la perte. « Le soleil couchant a frappé de plein fouet les objets du culte qui ont resplendi d’une manière irréelle. » Notez : le soleil couchant. Le soleil dépressif qui tourne vers la nuit. Vers le noir. Vers la chambre noire. Vers le froid. Et le culte : un culte voué, à travers l’or de la chapelle, du tabernacle, de l’ostensoir, à l’expérience originaire de la découverte de la lumière, associée au personnage féminin qui le donne à cette lumière, et dont il s’agit de rechercher l’image, de la photographier, de saisir à jamais dans un éclair bref cette lumineuse silhouette en disparition. « En un instant, j’ai su que cet éclat signalait la présence de Dieu. Une transe s’est emparée de moi qui n’a disparue que quand la nuit a avalé les auréoles. » La présence de Dieu : le Dieu créateur du monde du dehors qui s’ouvre à travers la lumière, Dieu créateur des couleurs. Mais la nuit avale les auréoles. Le caractère endogamique de cette famille la plus noble du monde interdit que la lumière et les couleurs puissent venir du monde roturier du dehors… Là est le drame dépressif… Saturnine, si sensible à la tasse d’or remplie de la crème jaune d’or a soudain ramené le temps à l’instant originaire, naissant, mais de l’intérieur, puisque, en colocataire jouant le rôle proposé par le metteur en scène aristocrate, elle est un personnage appartenant à l’histoire de cet homme. Elle entre dans le rôle d’un personnage jouant sur l’autre scène, dans l’inconscient de l’homme. Mais elle s’inspire aussi de sa sensibilité naissante conservée, cette inscription esthétique et sensuelle de l’entrée de la lumière or sur sa rétine naissante. Elle aussi remonte ainsi au premier jour, où la lumière fut !

Elle dit : « Je demeurerai une étrangère pour vous. » Il répond : « Tant mieux. Ainsi, je vous inventerai. » Et oui ! Et les dialogues sobres d’Amélie Nothomb sont d’une fulgurante efficacité ! Puissant, le nom de Saturnine, dit combien est puissant ce premier rayon de lumière, qu’elle aussi garde sur sa rétine naissante, se posant face à lui dans une altérité originaire ! En cette expérience naissante de la lumière, ils communient dans une même éclosion esthétique ! Est-ce pour cela que l’aristocrate est prêt à l’épouser, lui qui n’épouse jamais ? Oui, mais elle refuse : pas du tout curieuse comme les autres femmes qui s’étaient présentées, elle ne veut qu’un logement colocatif. Elle veut retrouver cette subtile, suave, sensuelle, esthétique, fabuleuse sensation d’un contenant originaire tout autour d’elle. Un contenant avec tout dedans, et ouvrir les yeux sur cette lumière qui déplie les couleurs, ou bien ces couleurs qui se replient sur l’or. Logement qui comble les sens en éveil maximal car naissant, qui les envahit suavement comme par la magie du champagne d’une qualité exceptionnelle. Un logement qui contienne déjà tout, qui condense déjà toutes les merveilles esthétiques, sensuelles, gustatives, du monde de sorte qu’en sortir, quel ennui ! N’en sortir que par l’ivresse légère, subtile, du champagne, c’est-à-dire la sortie en amont, dans un autre monde, car elle est d’un autre monde, incomparable, et que cette sortie peut parfaitement être l’œuvre d’une vie entière. Un logement qui contienne dans l’œuf toutes les merveilles du monde, un logement œuf qui dé-prime l’éventualité d’en sortir pour aller dans le monde si ordinaire, si normal, des autres, qui ôte toute primauté à l’impératif de couper ce cordon ombilical. Un logement des merveilles, un œuf de la vie où boire le champagne, c’est dilater à l’infini l’instant inimaginable de la découverte de la lumière, c’est s’y attarder comme si c’était le seul événement, comme si l’aristocrate était le seul à pouvoir offrir une telle pureté esthétique, une telle somme de beauté, toute la beauté dans l’œuf, toute la sensualité dans l’œuf, toute l’oralité dans l’œuf. Saturnine, colocataire de don Elemirio, communie certes avec lui dans une extase originaire qu’ils comprennent ensemble au quart de tour, mais en même temps, ce n’est pas lui qui l’initie à ce prodige originaire des yeux qui s’ouvrent sur la lumière et la beauté colorée du monde, elle-même a non seulement fait, seule, la même expérience métaphysique à l’orée de sa vie, et elle aussi a parié d’éterniser cet instant et cette expérience esthétique et sensuelle, d’où sa recherche du logement colocatif. L’aristocrate est saisi d’une telle communion entre eux, il l’aime, il veut l’épouser, en réalité ce sont leurs expériences originaires des merveilles lumineuses, colorées, sensitives du monde environnant offert par le cocon de leur monde à part qui s’épousent, dans une coïncidence inouïe. Mais Saturnine, à la différence des autres femmes, ordinaires, qui sont initiées véritablement par l’aristocrate, peut rester froide, car il ne lui apprend rien, il ne fait que réactualiser une sorte de fixation éternelle qui l’habite. Colocation parce que la petite Saturnine alias Amélie Nothomb, cet événement originaire si fabuleux que rien d’autre ne saurait susciter son intérêt, il se produisait déjà dans la même structure, dans un logement du père, où il y avait déjà tout, et où le champagne si accessible pouvait faire revenir à loisir l’exquise jouissance originaire, naissante, où entrer dans ce monde de splendeur pouvait aussi signifier sortir de ce monde si ordinaire, si ennuyeux du dehors. Elle est une jeune fille dans le besoin, besoin de logement, Saturnine, mais c’est un besoin d’une autre nature, un besoin d’événement esthétique et sensuel qui puisse ramener à l’orée de la vie naissante, à ce temps où les sens sont à la fête perpétuelle. Ils communient, l’aristocrate et Saturnine, mais il ne l’initie pas, il ne peut pas la piéger dans quelque chose de spéculaire, elle est restée cette petite fille qui peut se faire champagne toute sa vie, et ce qu’elle lui offre, c’est juste une coïncidence parfaite telle qu’il a l’illusion de voir face à lui l’unique femme qui ne serait pas une mésalliance pour sa si grande noblesse. Mais Saturnine, ce qui l’intéresse, ce n’est pas la jouissance spéculaire, ce n’est pas de se voir si belle dans le miroir aristocrate, c’est sa jouissance esthétique, sensuelle, par chacun des sens de son corps et par chaque neurone de son cerveau supérieur. Il ne peut la piéger par l’initiation qui en fout plein les yeux, elle connaît déjà parfaitement, et son champagne la transporte dans cet autre monde dans lequel, comme lui, elle reste.

« Je suis don Elemirio Nibal y Milcar, grand d’Espagne. » « Des hordes de femmes seraient capable de tout pour porter ce nom. La crise économique a exalté encore davantage le prestige de l’aristocratie. » On y vient : le nom ! Le nom du mari, le nom du père. L’œuf d’un autre monde, de beauté, de privilèges, dans lequel il y a tout ! Mais Saturnine Puissant, comme ce nom du père l’indique, elle est déjà née dans cette… puissance ! Elle n’a pas le désir d’un grand nom de l’aristocratie, elle a déjà eu accès à tout ça, c’est ce que Puissant veut dire. Il ne peut pas la fasciner, elle connaît déjà. L’aristocrate admire l’intelligence de la jeune fille : en effet, il n’a pas besoin de l’initier. Mais, plus encore, c’est elle qui, mine de rien, a la main. Ayant en quelque sorte la même fixation originaire que lui, la même volonté absolue de ne pas quitter cet autre monde car le monde ordinaire est si grossier, elle a l’air de venir de la profondeur inconsciente du même monde que lui, et cela, c’est fascinant pour lui ! Quelle intelligence ! Le pouvoir, c’est elle qui l’a : « C’est vous qui ne me méritez pas. » Il lui répond : « J’aime que vous vous surestimiez à ce point. » Et, pour dessert, c’est elle qui commande, cette fois : elle veut du Saint-Honoré ! Qui est le Saint Honoré ? Qui faut-il, impérieusement, honorer ? En tout cas, ce Saint qui est honoré, qu’elle impose à l’aristocrate d’honorer, mine de rien, il prive de… puissance ce noble si noble… Puissant domine l’aristocrate…

Et le domestique apporte à Saturnine son petit déjeuner au lit… Redevenue petite fille vraie princesse, dans l’opulence féerique d’autrefois, de cet autre monde ? Jouissance de ce dedans si confortable, où tout s’offre au doigt et à l’œil ?

Et c’est là qu’un détail très important nous est donné : cet hôtel particulier était celui des parents de l’aristocrate, morts accidentellement vingt ans avant, et ceux-ci avaient une vie très différente, une vie extrêmement mondaine, ils recevaient beaucoup, il y avait un personnel de maison très nombreux. Bref, le fils, don Elemirio, non seulement vivait dans un monde privilégié, avec tout le confort dans cet œuf du monde représenté par l’hôtel particulier, toute la beauté du monde capable de saturer chacun de ses sens et son cerveau des émotions, mais le monde de l’extérieur venait à lui, comme aimanté par tant de luxe et de privilèges. Il ne pouvait plus rien désirer d’autre. Le monde désirable, c’était son monde à lui, que tant de monde qu’il voyait avec ces mondanités à n’en plus finir avait l’air de tant convoiter. Ces mondains venant s’engouffrer, s’empiffrer, s’enivrer, se laisser être fasciné ici, de ce côté-ci, lui ont aussi très sûrement signifié que de l’autre côté, dans le monde ordinaire, il n’y avait rien à voir, ce n’était qu’un monde grossier… Or, avec ce nom du père, Puissant, Saturnine dont on ne sait rien – mais ce n’est pas le cas en ce qui concerne l’auteure célèbre, Amélie Nothomb – n’est sûrement pas de reste, et on imagine qu’elle aussi a connu cet autre monde de mondanités, avec cette sensation de toutes les merveilles contenues là, miel couleur d’or attirant comme des mouches les gens du monde ordinaire… S’ennuyant à l’infini, privée d’espoir que, de l’autre côté, il y ait un monde désirable, qu’elle puisse être donnée à une autre lumière que celle de ce huis-clos mondain, n’y avait-il pas que le champagne, coulant à flot, pour lui restituer le miracle originaire de la découverte de la lumière ?

Donc, Saturnine alias Amélie Nothomb, lorsque l’aristocrate lui dit qu’après la mort de ses parents, il a cessé de sortir de chez lui, de voir du monde, elle comprend au quart de tour : et lorsqu’elle propose de boire du champagne, c’est aussi une sorte de confidence, puisque c’est sa façon à elle ne plus sortir de ce chez elle constitué par l’autre monde familial inoubliable, retenu par l’expérience sensuelle et cérébrale du champagne. Il y a là une dépression par le champagne, une issue à la pression inouïe du désir de la lumière par l’ivresse si légère offerte par le liquide couleur d’or, de la lumière dans une coupe de cristal de Sèvres. Le Saint-Honoré mérite d’être accompagné d’un grand champagne ! Evidemment ! Saturnine alias Amélie Nothomb, Saturnine côté sombre, inconscient, livre, mine de rien, les indices qui la campe, face à l’aristocrate, avec la puissance incroyable de son désir originaire d’expérience sensuelle de la lumière, en la buvant, ceci lié au Puissant, à l’Honoré… au père d’autrefois, perçu puissant par sa petite fille, Puissant parmi les mondains attirés là comme des mouches à miel d’or. C’est elle qui inverse les rôles, qui va acheter au prix fort une bouteille de champagne Laurent-Perrier dans une épicerie fine ! Comment une jeune fille qui n’a pas beaucoup de moyens pour se loger en a-t-elle pour acheter au prix fort du champagne ? Bref, il s’agit d’une autre histoire… Le champagne est de l’or liquide ! De la lumière naissante liquide, qui entraîne tous les sens du corps et non seulement le cerveau des émotions mais aussi le cerveau supérieur dans l’expérience inaugurale de la lumière, cette ouverture infinie qui n’est, hélas, devant le gouffre noir d’un monde ordinaire grossier, qu’une fermeture qu’il s’agit de forclore par l’ivresse renouvelable par l’alchimie suave de l’or liquide. Ce champagne qu’elle lui offre agit follement sur le cerveau des émotions de l’aristocrate, qui font en larmes ! Depuis la mort de ses parents, personne n’avait eu ce pouvoir… puissant… de réactualiser à ce point de perfection l’expérience esthétique et sensuelle de la découverte de la lumière. Il n’y avait pas de champagne chez lui ! Une femme, telle la femme idéalisée d’autrefois, la mère digne de ces grands d’Espagne, à nouveau lui restitue cette émotion esthétique originaire, à nouveau elle acquiert cette puissance indicible, qui lui parle aussi d’intelligence à intelligence ! Alors, l’aristocrate confie qu’il n’emploie que des hommes de maison, et non pas des femmes, car il ne supporte pas de voir une femme accomplir des tâches dégradantes. Nous voyons s’avancer l’image idéalisée d’une femme. Dans un huis-clos de privilèges, de beauté, de confort, où elle n’a rien à faire, il y a tout dans l’œuf, comme dans une arche de Noé. Retour à un lieu originaire.

La jeune fille reste « Parce que je bénéficie ici d’un confort extraordinaire. » Et oui… Et quelle est la lumière liquide qui permet d’y rester, d’y revenir ? Le champagne ! Dès demain « vous commanderez de grands champagnes. »

Pourquoi les femmes sont-elles folles au point d’être si attirées par ces grands pervers qui les tuent ? « … je bénéficie ici d’un confort extraordinaire » ! Désir de revenir à cet œuf de la vie, à ce cocon ? Qui est aussi retour en arrière, refroidissement, emprisonnement. Longtemps Saturnine croit que c’est l’aristocrate qui a tué ses parents, morts empoisonnés par des champignons. Puis elle comprend qu’elle se trompe. Ne pourrait-on pas dire que c’est leur vie dans le huis-clos de la mondanité qui les a empoisonnés, qui les a emprisonnés mortellement, qui les a piégés dans le miroir qui attirait tant de gens ? Des parents qui, ainsi, n’ont jamais ouvert le monde du dehors à leur fils, qui l’ont à jamais enfermé dans leur autre monde, celui des grands, des nobles. Idem pour l’auteure ?

Or, l’aristocrate avoue : « Je me trouve quelconque. » C’est vrai ! Si on y réfléchit, sa noblesse si noble, il l’a laissée lui être signifiée par les mondains attirés comme des mouches chez ses parents ! Il s’attache à cette folle noblesse de la même manière que les gens qui en sont fascinés ! C’est si quelconque d’être attiré comme des mouches par cet or, cette lumière d’un autre monde inaccessible. Il est quelconque, cet aristocrate qui croit à cette noblesse dans le miroir de ces gens ordinaires fascinés qui se sont agglutinés dans l’hôtel particulier familial ! Piège spéculaire ! Prisonnier de cette chambre noire, froide, capturante, qui fige l’image !

Saturnine, devant le Saint-Honoré, dit : « … moi, je n’épouse pas. Ni vous, ni personne. » Bien sûr ! Qui pourrait avoir la puissance de l’Honoré ? « Mon absence de désir matrimonial, c’est ma chambre noire à moi. »

La dépression, toujours ! Et oui, c’est un grand roman sur la dépression profonde ! « Avant-hier, quand je vous ai rencontré, vous aviez l’air très dépressif. » Il répond : « Seule l’extase amoureuse m’arrache à la dépression. » Saturnine lui demande s’il a déjà consulté. Pas besoin : « La colocation est une solution plus efficace et plus avantageuse. » Mais une vraie colocation ! Avec une jeune femme qui semble venir de l’intérieur de l’œuf huis-clos familial, qui ne soit pas une mésalliance, qui soit elle-même addicte à cette ivresse esthétique originaire, à cette lumière liquide, à cet or liquide. C’est elle qui remplit les flûtes de champagne ! Mysticisme de l’or !

Saturnine invite son amie Corinne. Elle lui dit : « Ce type se nourrit de l’angoisse des autres, et des femmes en particulier. Je veux lui montrer qu’il ne m’impressionne pas. » Bien sûr ! Elle est une femme impressionnée pour toujours : cette impression inaugurale de la lumière sur sa rétine, et du champagne sur ses récepteurs sensitifs et son cerveau. C’est elle qui lui restitue cette impression, non pas le contraire. Et va l’enfermer dans sa chambre noire ! Saturnine ne vient pas du dehors, elle ne dément pas ce préjugé plombant, mécanisme qui empêche de sortir de la chambre noire quand on est dedans et qui déclenche le froid mortel, comme elle-même à un préjugé semblable, elle n’est pas une bonne nouvelle, une vraie ouverture, un espoir de vivre né, de sortir enfin de l’œuf, elle est refroidissante. Elle le reconduit à ses fixations pathologiques, elle s’en fout, elle part avec le champagne, elle s’éternise avec ses propres fixations, son addiction, elle le laisse mourir de froid. Elle l’a piégée avec cette jupe de velours couleur or qu’il lui a confectionnée. Il s’est fait piégé dans la chambre noire à cause de cette coïncidence parfaite. Il l’a habillée pour qu’elle soit dans le rôle parfaite de la femme idéale lui faisant boire la lumière d’or liquide, et il a cru que ce n’était plus un rôle, que c’était elle vraiment, redevenue vivante, il l’a photographiée à n’en plus finir, le temps était retrouvé, ils pouvaient s’unir ensemble dans l’endormissement par la brûlure ensorcelante du froid. Or, il s’est trompé, il n’a pas seulement habillé et photographié la femme idéale redevenue vivante, la femme lumière, la femme qui tourne de l’or jusqu’au noir, la femme qu’il peut boire jusqu’à l’amour à mort, l’amour dépressif qui efface la pression, il a donné l’occasion à Saturnine d’être elle-même telle que revenue à l’œuf originaire, au logement familial de l’enfance, et à ce champagne qui permet de répéter à l’infini l’expérience de l’ivresse de la lumière. Alors, elle échappe au rôle, froidement, elle s’en va avec la bouteille de champagne la plus chère du monde, elle n’a pas besoin de sauver l’aristocrate, d’incarner la femme qui lui ouvrirait un monde hors de l’œuf qui ne serait pas si grossier que ça, en vérité le monde de la lumière et des couleurs qui existe bien plus en dehors du cocon endogamique ! Elle enferme l’aristocrate dans le froid mortel par sa propre addiction…

Le coup de foudre est mortel : « Le coup de foudre à retardement est le plus gigantesque défi à la raison. Don Elemirio s’éprit de Saturnine quand il la découvrit sensible à l’alliage du jaune et de l’or. » Défi à la raison : cerveau des émotions ! Saturnine a réussi à convaincre don Elemirio de lui ouvrir la chambre noire dans laquelle il a accroché les photos de chacune des huit premières femmes : il les a photographiées habillées chacune du vêtement qu’il leur avait cousu, et figées dans la mort par le froid, jamais si belle qu’éternisées par cette mort. L’aristocrate croyait qu’ils allaient mourir de froid ensemble, c’est-à-dire s’enfoncer dans la dépression en acte, l’endormissement définitif cotonneux, mais Saturnine avait avant d’entrer désenclenché le mécanisme de fermeture. Après avoir vu les huit photos des précédentes femmes, elle s’en va brusquement, en enclenchant le mécanisme de fermeture, bloquant à l’intérieur de la chambre noire l’aristocrate pris au piège. Il n’a pas sa photo à elle. La neuvième photo est noire, invisible. C’est celle de la femme invisible, celle qu’en vérité don Elemirio aime. Elle, habillée d’or, vivante, s’en va avec le champagne, avec son addiction. C’est ce champagne qui est le mécanisme de fermeture de la chambre froide qui enferme dedans l’aristocrate, qui va mourir de froid ! Elle le tue. Elle le refroidit ! Parce qu’elle-même est addicte. Elle ne peut être la femme qui lui offre la lumière de la vie, du dehors, de la sortie de l’œuf, car cela signifierait qu’elle aussi admette que la vraie lumière est dans un monde qui n’est pas si grossier que ça…

C’est un roman sur cette lumière liquide, cet or liquide, qu’est le champagne ! Un roman qui tire la lumière vers le noir ! « A l’instant précis où don Elemirio mourut, Saturnine se changea en or. » Les romans aussi peuvent se changer en or ! Et la coupole des Invalides vient d’être redorée à la feuille d’or !

Alice Granger Guitard



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