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14 - Jean Echenoz
jeudi 25 octobre 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret

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Jean Echenoz, « 14 », Paris, Editions de Minuit, 124 p., 12,50 Euros.

Avec son quinzième livre Echenoz retourne à la fiction après un triple passage dans des biographies de vies réelles mais réenchantées. Le récit revient - une fois de plus diront certains tant le sujet a été traité - sur la guerre de 14-18. Le roman sur, écrit l’auteur, l"opéra sordide et puant", à savoir "grandiose, emphatique, pénible et à la suite plutôt fastidieux" est né par sédimentations de ces éléments emmagasinés pendant deux ans. . Dans un format d’à peine plus de 100 pages le romancier crée l’épure de l’horreur d’un phénomène monstrueux inédit : pour la fois première la guerre se fit industrielle et représenta un suicide collectif.

Par vignettes condensées Echenoz raconte l’histoire - entre autres - d’un jeune comptable vendéen. Saisi par le bruit du vent, il perçoit le timbre d’un tocsin qui appelle à la guerre comme chacun et selon la formule : la fleur au fusil - en quinze jours tout devait être plié. Cet homme, son frère et une femme aimée replacent le roman dans un contexte que le créateur déconstruit par l’option esthétique choisie. Point de psychologie dans "14" : Echenoz montre comment les corps "fondent" dans la guerre qu’ils soient au front ou ailleurs. Blanche la femme enceinte attend la fin de ce qui devait être une "blitzkrieg" . Mais les sentiers de la gloire deviennent interminables. Les soldats sont manipulés et "faits comme des rats" comme aurait dit Céline.

Avec Echenoz, en 120 pages le voyage au bout de la nuit n’en est paradoxalement que plus long. Ce renversement fait l’intérêt du livre. La fiction rameute le carnage et l’ensevelissement en les ravaudant sobrement. Décrivant les soldats et leurs attirails, le romancier reconstitue la vie quotidienne du cloaque avec le peu qu’ils ont et tout ce qu’ils subissent. Les objets et la météo sont donc centraux. Les animaux aussi : sauvages, domestiques ou parasites dévoreurs de ceux qui croulent sous le poids de leur faix et qui ne peuvent tuer un lapin pour arrondir leur repas : selon la loi en temps de guerre la chasse est interdite !… "Arrogammant" (néologisme de Echenoz) l’auteur écrit une audio-vision de la guerre par le rythme des phrases et leurs ellipses. Il trouve toujours les mots sifflant comme des balles pour lever le rideau sur les champs de bataille gavés de cadavres et de leurs essaims de mouches. De la Vendée à la Champagne et la Somme le roman produit à la fois des images et des sons. On passe du silence au "tonnerre polyphonique" et la menace pèse sur ce livre là où "l’ivresse caresse la peur".

Toutefois "14" n’est pas seulement une histoire de guerre. Les failles extraordinaires de la guerre ouvrent à celles des êtres qui voient leur vie captée à travers objets et corps où souvent navigue un érotisme à peine esquissé. Les silhouettes plus ou moins anonymes posent la question de l’appartenance, l’apparentement et de la désappropriation. Lieux, objets, situations deviennent des reliques très particulières. Chaque indice est la fable de la perte plus que celle d’un lieu ou d’un temps. L’auteur prouve une nouvelle fois son aptitude à rendre les êtres vivants à travers les choses et les situations. L’accumulation des moments chocs construit un univers dont les clés échappent aux acteurs actés. Celui-ci ouvre à une débandade dans laquelle le moindre faut pas peut être considéré comme une désertion par des maîtres du jeu qui ont confisqué les clés. « 14 » devient à ce titre un défi entre la fiction et la réalité. La première ne se veut pas un simple témoignage de la seconde mais sa mise en abîme. Retirant de son roman tout aspect de saga Echenoz ne garde que quelques éléments majeurs. Ils ne sont pas a priori les plus signifiants mais ils font la force du livre, ses espaces de tension, ses lignes souterraines indices de l’inconnu d’une histoire dont on croyait tout connaître. Mais on se trompait.



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