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Autobiographie mythe ou réalité
vendredi 2 novembre 2012 par Jean-Paul Vialard

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Autobiographie : mythe ou réalité

"J'ai de plus en plus l'impression

que la réalité n'existe pas".

JMG Le Clézio - Le Procès-verbal -



Autobiographie : mythe ou réalité ?



L'autobiographie ou écriture du "Je" est devenue un fait incontournable de l'édition contemporaine. Que le "je" remplace le "il" n'a, en soi rien, d'étonnant. Dans cet article, nous ne chercherons pas les justifications sociales, ou les fondements psychanalytiques d'une telle démarche mais essaierons de voir dans quelle mesure une telle écriture emprunte les voies du réel, plutôt que de l'imaginaire, et nous poserons la question de l'appartenance à la littérature d'un tel genre.

Mais considérons quelques œuvres situées dans cette veine, afin d'en tirer de possibles enseignements. Leurs auteurs y mettent en scène des expériences de leurs vécus, bien souvent du reste, liées à des souvenirs traumatiques. Eliane LECARME-TABONE, dans "L’autobiographie des femmes" en cite quelques figures animant la scène contemporaine :


"Christine Angot dénonce la relation sexuelle incestueuse que son père, retrouvé à l’adolescence, lui impose, source de sa « folie » et de son mal de vivre (L’Inceste). Dans Les Mouflettes d’Atropos, Chloé Delaume évoque avec une férocité démystificatrice la vie d’hôtesse de bar qu’elle a menée pendant deux ans. De manière plus nuancée, Virginie Despentes rend compte de son expérience de « call-girl » sur Minitel dans King Kong théorie."


Mais, le choix de ces auteurs, d'écrire à la première personne suffit-il à nous assurer de leur degré de réalité ? N'y a-t-il pas, dans l'évocation d'une scène vécue, fût-elle relatée avec honnêteté, la tentation d'en dire plus qu'il ne s'en est passé, d'en dire mieux, d'en dire autrement ?

Et ce fameux réel dont nous sommes tellement assurés, devenant une manière d'évidence, ne nous abuse-t-il pas, ne compose-t-il pas, ne s'habille-t-il pas des vêtures de l'apparence que nous prendrions pour des objets stables et définitivement signifiants ?

Mais revenons à l'écriture. Christine Angot, Chloé Delaume, Virginie Despentes, nous parlent-elles "vraiment" de ce que furent pour elles, l'inceste, la vie d'entraîneuse, l'existence d'une call-girl ? Ou bien, par rapport à l'expérience fondatrice, y a-t-il déjà décalage, invention, réaménagement de ce qui fut. Donc déjà introduction du romanesque, de la fiction, sinon d'une certaine mystification.

Et, d'une manière plus générale, il convient de se poser la question de l'aptitude du réel à être autre chose que ce qu'il est au moment de l'événement, autrement dit si l'on peut le restituer dans une manière d'authenticité qui l'assurerait d'une vérité absolument certaine. Prenant un exemple dans la littérature, nous nous apercevrons vite que le réel n'est pas directement, aisément, transposable dans son équivalent symbolique. La dimension symbolique du langage, qu'elle s'applique à relater la présence ancienne d'un objet ou bien un fragment du vécu, excède toujours l'événement dont elle est la transcription. Il n'y a pas homologie entre l'objet et le langage qui l'exprime.

Ainsi, Proust, dans sa célèbre évocation de la "Petite Madeleine" se désespère de ne pas pouvoir la retrouver telle qu'en elle-même elle fut :

"Arrivera-t-il jusqu'à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l'instant ancien que l'attraction d'un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi ? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être ; qui sait s'il remontera jamais de sa nuit ? Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute œuvre importante, m'a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d'aujourd'hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine." 

(...) "La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot - s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience."


(C'est moi qui souligne.)


Ce morceau d'anthologie est remarquable à plus d'un titre. D'abord parce que s'y révèle la magie de l'écriture, ensuite du fait de l'inscription du temps à même le corps du texte, mais aussi la douce réminiscence teintée d'une élégante nostalgie, enfin l'empreinte de la métaphysique qui fait son auréole, excluant de la conscience ce qui, autrefois, s'y imprima avec la certitude de l'évidence. Ce qui reste aujourd'hui, c'est une simple buée des choses, une facile nostalgie, une silhouette fuyante pareille à la trace dans l'argile, à l'impression fugace sur le négatif photographique. De la "Madeleine" de Combray à la "Madeleine" évoquée en ce "jour d'hiver" c'est d'abord l'écart temporel qui joue, puis le langage dont la médiation symbolique crée les conditions d'une tout autre nature. Il n'y a plus alors qu'un métabolisme de la pensée, une simple réverbération sur l'arc de la conscience, une disparition à jamais de ce réel qui ne signifie plus qu'à l'aune d'un artifice.


"Mais quand d'un passé ancien rien ne subsiste, seules plus frêles, mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps". 


On ne saurait mieux dire que cette langue si belle, si limpide, s'ingénie à nous restituer du réel. Seule l'évocation de sens subtils, discrets, accessibles seulement aux âmes qui s'y disposent en dévoile les intangibles fragrances.

De quelle "Madeleine" nous parle donc l'auteur ? De celle-ci, née de l'écriture ? De celle-là, que Combray lui offrit l'espace d'une rapide dégustation ? Ou bien nous parle-t-il des deux selon une contraction du temps ? Ou bien de toutes les madeleines passées et à venir qui joueront, pour nous, de toujours nouvelles partitions, ouvriront de nouveaux horizons aux limites tellement incertaines ? De quelle "Madeleine" est-il parlé, de quel sentiment, de quelle situation précise dont nous pourrions être assurés autrement que par le truchement de la supputation, le fondement d'une hypothèse vraisemblable ? Nous sommes irrémédiablement confrontés à établir des conjectures, dont le moins qu'on puisse dire c'est qu'elles sont sujettes à caution. Que pouvons-nous "vraiment connaître" du narrateur ? Celui-ci joue-t-il le jeu avec sincérité ? N'occulte-t-il pas des épisodes, des péripéties dont il serait la victime ? Ne cherche-t-il pas à nous livrer, de lui-même, la silhouette qui correspond à sa propre illusion, à son souhait d'apparaître selon telle ou telle perspective ?

La gamme des possibles est immense par rapport au réel évoqué. Si, dans l'écriture du "je", c'est bien de lui que l'écrivain parle, il ne fait "qu'en parler", tenir un discours au sujet de, construire une existence d'encre et de papier. Et quand bien même nous aurions le narrateur physiquement présent face à nous, que pourrions-nous en déduire de plus quant à la réalité passée dont il se ferait le traducteur ? Jamais d'objectivité dans l'acte de lecture, dans l'écoute de l'autre, seulement la rencontre de deux consciences, la mise en relation de deux subjectivités.

Ecrire ce qui fut est toujours un exercice périlleux soumis aux caprices de la mémoire, aux distorsions affectives, à l'inclination à une certaine complaisance. Ecrire c'est toujours inventer à nouveau, recréer avec les matériaux d'aujourd'hui ce qui déjà n'est plus, recomposer des horizons cernés de sens. Ecrire n'est jamais un fac-similé du réel. Ecrire est sublimer, métamorphoser, donner lieu à une efflorescence. Ne jamais en rester au germe, à l'origine, mais déplier la crosse de fougère, ouvrir la corne d'abondance. Car, si l'écriture se bornait à simplement dupliquer le fait, à laisser le pathos dans sa gangue primitive, l'aventure existentielle à son immanence propre, à quoi donc servirait-elle d'autre que le réel n'aurait déjà manifesté avec l'imperium de la nécessité ?

Phénoménologiquement parlant, toute création, afin qu'elle puisse prétendre à son juste rayonnement, est appelée à "ouvrir un monde", à transcender l'expérience initiale de façon à ce que se manifeste le déploiement des significations infinies. L'œuvre d'art n'est présente qu'à révéler cette dimension.


Mais d'abord, il s'agit de rappeler ce que signifie, par rapport à l'œuvre d'art, le fait pour elle "d'ouvrir un monde". Pour Heidegger, le "monde" n'est jamais de l'ordre d'un lieu, d'un espace déterminés mais bien au contraire cet indéfini, ce mouvement, cette tension s'installant entre "la terre" - le matériau dans lequel repose l'œuvre -, et précisément lui-même, "le monde" à partir duquel s'origine une culture. Cette notion de "monde" trouve un prolongement dans les œuvres de Joseph Beuys et le concept qui s'y rattache, cet artiste le définissant comme "l'âme" en son acception la plus générale, à savoir la faculté de connaître, la pensée, l'intuition, l'inspiration, la conscience du Moi, la volonté.

De ce conflit entre "la terre" (le support) et "le monde" surgit un dévoilement de ce que les premiers Grecs nommaient "la phusis", dont une des caractéristiques essentielles était le retrait ou le voilement. L'œuvre d'art, en dévoilant, assure " la mise en œuvre de la vérité." (Heidegger).

Or toute écriture aboutie ne peut être que de cet ordre. De la vérité, d'une mise en forme d'une manifestation artistique. Et le problème n'est pas celui de savoir si la littérature naît de la fiction ou du réel puisque toute entreprise de relater le vécu par le truchement du langage ne saurait être, comme nous avons essayé de le démontrer plus haut, qu'une fiction. C'est, du moins, la thèse que nous posons comme préalable à toute compréhension en profondeur des problèmes se posant dès que l'on aborde la question des genres.

Le genre est subsumé sous la catégorie du littéraire, il n'en est pas la condition de possibilité. Enoncer ceci, revient à dire que peuvent être "littéraires" aussi bien une autobiographie, qu'un roman ou un journal intime. Il existe de mauvais romans et des journaux sublimes. Ceci apparaît avec suffisamment d'évidence pour qu'il soit inutile d'insister. Aucun contenu en lui-même n'est, par définition, déterminant, gage de qualité ou de profondeur de l'écriture. De ses états d'âme, de ses ennuis quotidiens, de la mise en scène d'un sujet, fut-il sordide, peuvent sortir de véritables créations alors qu'une brillante imagination peut, parfois, manquer sa cible. Il semble acquis qu'il faille relativiser la loi des genres. JMG Le Clézio, déjà, dans "l'Extase matérielle" (1967) nous mettait en garde contre cette tentation d'accorder aux catégories littéraires classiques une manière de prééminence :


" Les formes que prend l’écriture, les genres qu’elle adopte ne sont pas intéressants. Une seule chose compte pour moi : c’est l’acte d’écrire. Les structures des genres sont faibles. Elles éclatent facilement. Les lecteurs et les critiques se laissent abuser par ces formes : ils ne veulent pas juger des individus, mais des œuvres. Des œuvres ! Est-ce que cela existe ?
Évidemment
les genres littéraires existent, mais ils n’ont aucune importance. Ils ne sont que des prétextes. Ce n’est pas en voulant faire un roman qu’on fait de l’art. Ce n’est pas parce qu’on appelle son livre « poèmes » qu’on est un poète. C’est en faisant de l’écriture, de l’écriture pour soi et pour les autres, sans autre visée que d’être soi, qu’on atteint l’art. "

Et que nous signifie donc Le Clézio, énonçant "sans autre visée que d'être soi", si ce n'est l'exigence de vérité, dont doit être affectée toute création ?


(C'est moi qui souligne).



Donc, décréter que la fiction s'alimenterait à des sources plus artistiques que ne le pourrait la mise en forme du réel semble procéder d'une pétition de principe sinon d'une inexactitude foncière. Ou bien la conception du fait littéraire serait-elle victime de l'étymologie du mot "littérature" : "ce qui est artificiel, peu sincère", reléguant ainsi toute tentative d'élaborer du texte à partir d'un fait particulier dans d'inaccessibles et infécondes arcanes ? Parmi les nombreuses définitions du champ littéraire, il semblerait qu'une relative unanimité se fasse jour actuellement autour de l'idée développée par Jean d'Ormesson dans "Une autre histoire de la littérature française", qui le définit comme "l'ensemble des œuvres écrites ou orales comportant une dimension esthétique."

Si cette énonciation paraît juste, c'est certainement en raison de son caractère général ainsi que de la mise en lumière du projet esthétique nécessairement sous-jacent à toute entreprise de création. On aura compris que la qualité de l'œuvre se jugera davantage à l'aune de ses critères esthétiques qu'en raison de son appartenance à tel ou tel genre. Il semblerait qu'une confusion fréquente des deux termes de "réalité" et de "vérité" interfère constamment, faussant le jugement. Un roman, pure œuvre fictionnelle, peut être "vrai", alors qu'un journal s'attachant à relater avec exactitude certains événements du passé peut apparaître comme entaché d'erreur, "sonner faux". Bien plus qu'un attachement à la reproduction fidèle des circonstances, on attendra de l'auteur qu'il soit lui-même conforme à son image, à son souci de traiter le texte avec une honnêteté foncière et la recherche permanente d'un sens non équivoque. On voit ici que le littéraire se définit plus en raison de la qualité de la relation que l'écrivain établit avec l'écrit (le fond), plutôt qu'en raison du choix de tel ou tel genre (la forme) à partir duquel faire vivre son récit. Cette quête d'une exigence, d'une authenticité, paraît toujours présente :

"Nombre d'auteurs contemporains qui naviguent entre biographie, autobiographie et roman fondent leur écriture sur des exigences spécifiques, s'inscrivant ainsi dans une vérité de l'écriture, mais aussi dans la quête d'une vérité personnelle. Annie Ernaux; Camille Laurens; Chloé Delaume; Catherine Cusset (et bien évidemment aussi certains de leurs homologues masculins Hervé Guibert; Emmanuel Carrère) représentent cette veine du récit à laquelle on assigne, en dehors de la relation de l'événement lui-même, un contenu faisant sens. (1)

A preuve les considérations suivantes, extraites de la même étude :

"La réserve observée par George Sand ou par Simone de Beauvoir à l’égard de la confidence intime, notamment sexuelle, fait place, chez les jeunes écrivaines de ce début de xxie siècle, à une sincérité totale. " (id)

La notion de "vérité" s'y fait jour, comme chez Annie Ernaux :

"Annie Ernaux livre en 2001 aux lecteurs le journal intime tenu au moment où elle vivait cette passion (Se perdre). "Se perdre" propose  une “vérité” autre." (id)



L'ouverture à une autre dimension, vécue comme une dilatation du Moi, apparaît parfois :

"Catherine Millet dissocie radicalement sexualité et sentiment, cherchant dans cette frénésie érotique « l’illusion d’ouvrir [en elle] des possibilités océaniques." (id)



L'auto-thérapie s'y inscrit, le désir d'approfondir le savoir sur soi :

"Ces femmes se donnent pour but un progrès de la connaissance (Millet, Cusset, Ernaux) ou obéissent à un impérieux besoin confessionnel, à visée cathartique (Angot)." (id)

Un projet s'y fait jour :

"Dans ses livres qualifiés de « romans », Camille Laurens (...) mêle fiction et vérité biographique et donne comme vocation essentielle à l’autofiction " l’exigence d’une forme." (id)

Une vision littéraire de recherche s'y impose :

"Chloé Delaume fait porter l’accent sur le travail stylistique qui prend le vécu comme simple matériau. Elle élargit ensuite son projet, parlant d’autofiction « expérimentale » : il s’agit de provoquer des événements pour que l’écriture puisse les explorer." (id)

Des visées éthiques s'y dessinent :

"Catherine Cusset reconnaît comme autofictions trois de ses œuvres (Jouir, La Haine de la famille et Confessions d’une radine). (...) Mais, dit-elle, " ce sont des récits à la première personne, au présent, et dans lesquels je n’ai rien inventé". Catherine Cusset, " L’écriture de soi : un projet moraliste." (id)

Les œuvres précédemment citées s'inscrivant dans une marge indécise où se côtoient sans cesse, événements vécus, imaginaire, productions fantasmatiques, installent le lecteur dans une ambigüité dont il aura bien du mal à défaire l'entrelacement permanent. Tel le poète de Pierre Reverdy, dans "Le gant de crin", il occupera une "position souvent difficile et périlleuse, à l'intersection de deux plans au tranchant cruellement acéré, celui du rêve et celui de la réalité." Que l'on ne cherche guère plus loin le sentiment de malaise, parfois d'inconfort ou d'ambivalence qui nous étreint lorsque nous lisons ces auteurs situés en porte à faux, un pied dans le réel, un pied dans la fiction. Cette ambivalence permanente est un des signes majeurs de cette littérature de l'indécision dont Monica Martinat nous dit, dans un Séminaire intitulé "Le récit entre fiction et réalité. Confusion de genres.", toute la difficulté qu'il y a à percevoir des limites particulièrement floues :

"Les frontières entre la fiction et la réalité sont brouillées, et souvent on aime entretenir le brouillard qui les confond. Comment dès lors distinguer ce qui est vrai dans un monde extra-textuel de ce qui a été construit par un auteur, qui se réalise dans une œuvre et qui propose un type spécifique, particulier, de savoir du monde ? Sommes-nous en mesure de les distinguer de façon claire, alors que souvent tout est fait pour entretenir l’ambiguïté ?

Pour les romanciers, les nouvellistes et les conteurs, le récit littéraire offre des possibilités sans fin dans la mesure où, contrairement à l’histoire, il est non référentiel. Depuis Aristote, tous les genres « mimétiques » se définissent par leur capacité à dire non pas le vrai, mais le possible. Cette construction d’une vérité feinte a des attraits évidents en termes d’imaginaire et place l’auteur du côté de la création, plutôt que de celui du témoignage. Le mythos narratif introduit son propre ordre, sa propre logique des événements, laissant la liberté au lecteur d’adhérer ou non au pacte fictionnel."



Ici sont bien mises en lumière les limites de tout témoignage, ce dernier fût-il sincère. Il n'en demeure pas moins que sa nature l'incline à jouer constamment un jeu de funambule au-dessus de tentations mytho-réalistes. En dernier ressort la décision appartient au lecteur et à sa subjectivité. Que celui-ci, lisant une autobiographie, la considère avant tout comme une duplication du réel ou bien comme une fantaisie imaginaire importe peu en définitive. Ceci ne semble relever que d'un parti pris dont on ne saurait remettre en question les fondements.

Cette question du partage respectif des domaines entre réalité, fiction, roman a été posée à l'occasion de la publication de deux livres, sujet sur lequel Jean-Pierre Balpe, sur le Blog de Libération,  en septembre 2007, s'exprimait en ces termes :

"Un débat très confus agite actuellement le petit monde de la littérature au travers notamment de deux publications, celle de Mazarine Pingeot liée à l’infanticide de Véronique Courjault et celle de Marie Darrieusecq liée aux accusations de plagiat de Camille Laurens qui lui reproche de reprendre la thématique du décès d’un enfant, thème central de son livre «Philippe». Plusieurs journaux ou sites Internet (Libération, le Nouvel Observateur, Le Matin, Le Monde, Le Figaro, La tribune de Genève, 24 heures, Fluctuat.net, TF1.fr… notamment) ont publié des articles sur ces polémiques. La plupart en restent au niveau de l’anecdote ou, au mieux, dissertent sur le «droit de l’auteur à transposer la réalité dans la fiction». Aucun à ma connaissance n’a perçu, sous ces effets de surface ce qui se passe bien plus en profondeur de nos jours dans les rapports réalité-fiction.(...)"

"La littérature — et sur ce plan particulièrement le roman — parce qu’elle est faite des mots qui nous servent à communiquer au sujet du monde, s’est toujours construite sur un équilibre entre la réalité et la fiction. Sans la fiction il n’est pas de littérature mais l’usage du langage fait qu’il n’est pas possible, y compris dans les romans qui pourraient paraître les plus «fictionnels» de se couper d’un lien avec la réalité parce que, quoi qu’on fasse, c’est d’elle que les mots rendent compte. Une partie importante de la poésie repose sur cette impossibilité: faisant parfois semblant de ne rien dire, elle dit quand même et ce qu’elle dit est alors un rapport autre, particulier, au monde." (id)

(C'est moi qui souligne).

Bien des conceptions convergent pour situer le fait littéraire dans l'orbe conjoint du réel et de l'imaginaire. Sans doute est-ce là la seule position tenable. Ceux qui assignent la littérature à n'être qu'un miroir de la fiction paraissent vouloir s'en tenir à une définition trop littérale, laquelle fait l'économie d'une orientation contemporaine vers de nouveaux champs intégrant l'existentiel comme source de création. Dans "LES ÉCRITURES INTIMES AUX FRONTIÈRES DU RÉEL OU UNE LITTÉRATURE DU VRAI EST-ELLE POSSIBLE ?" , ANNIE CANTIN ( Fabula) rapporte un discours de cette sorte, définissant la littérarité comme subordonnée à la fictionnalité :

(...) "cette idée de mettre en balance la littérature et la réalité et de concevoir celle-là comme une simulation, illusion ou fabulation de celle-ci fut assez prégnante, tenace et partagée pour que l'artificiel s'impose finalement dans l'encyclopédie des savoirs général et spécialisé comme le caractère constitutif, voire tout naturel de l'œuvre littéraire.

(...) Et de là à faire de la fictionnalité le présupposé de la littérarité, il fut un pas facilement franchi."


Sans doute la polémique est-elle loin de se clore entre diverses écoles de pensée, selon qu'elles portent sur le fait littéraire, une vue plus ou moins classique ou contemporaine. En réalité il paraît bien difficile de démêler l'écheveau des significations, tellement ils sont imbriqués dans les registres interdépendants du réel, de l'imaginaire, du symbolique. La question n'est nullement de dire si une conception l'emporte sur l'autre. Pour notre part, nous rejoignons l'idée selon laquelle " [l]es autobiographies des écrivains sont nécessairement des mythologies " comme l'affirmait un article du Monde paru en septembre 1993.

Dissertant sur les événements du vécu, nous ne pouvons nous exonérer de nous poser des questions sur l'existence elle-même, sur son essence. Est-elle de l'ordre de l'évidence immédiatement démontrable ou bien ne peut-elle nous apparaître qu'avec l'ambigüité attachée à la fiction ?

Peut-être, avant de refermer les pages de notre existence, nous apercevrons-nous " que nous ne sommes qu'un genre de biofiction, d'histoire que le monde écrit à notre place afin de nous donner lieu et temps l'espace d'une vie. Dès lors, il n'y aura plus place pour une interprétation "vraisemblable". Nous serons dans la FABLE et nulle part ailleurs."


C'est sur ces lignes que prend fin un article publié sur ce même Site, dont le titre est :


"L'Aventure fictionnelle ou l'impossible réel." Bien évidemment, le débat reste ouvert !

 


Sources :


(1) : Eliane LECARME-TABONE. "L’autobiographie des femmes."





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