lundi 17 décembre 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret
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Annie Stern, « Brody Contre l’oubli », Editions Chatelet Voltaire, Cirey sur Blaise, 35 pages, 8 Euros.
L’écriture d’Annie Stern porte l’obscur à plus de clarté tout en luttant contre le mélancolique "pathologique". D’où la grande différence entre l’extinction de toute image dépressive et la vision de l’invisible que l’auteur parvient à toucher pour recoudre la chanson de l’existence. Certes la littérature ne cicatrise pas tout. Mais il existe dans « Brody » un exercice de recouvrement de tout ce qui fut tu par la famille pour la survivance au-delà des pogroms de l’Ukraine puis de la Shoah.
Refusant la rhétorique apocalyptique, le témoignage d’Annie Stern possède le pouvoir de nous faire marcher dans la vie. Il représente une expérience que Georges Steiner sut définir : « Lorsque le corps s’investit dans l’entreprise esthétique, il est soumis à l’action qui consiste à animer et à éclairer la continuité entre temporalité et éternité, entre matière et esprit, entre l’homme et l’Autre ». Annie Stern par son livre comme par son travail confirme cette affirmation. Elle a le mérite de s’élever contre la formule « poussière, tu retourneras à la Terre ».
Pour cela l’auteur fait preuve de deux « pensées » : la réaliste pour qui une "table est une table" et la symbolique sur laquelle repose la possibilité même du langage. Peut-on aller jusqu’à affirmer que l’identité de la créatrice ne trouve son véritable sens que dans une expression créatrice ? Non. Ce serait exagérer. Mais le livre montre que son auteur s’ouvre à une forme de renaissance.
Et si des chiens de garde sont présents en filigrane, la "monstruosité" est battue en brèche par le dynamisme de l’écriture qui devient une lutte contre l’enfermement et l’oubli. Les gisants du cimetière juif de Brody, mais aussi tous ceux qui ont été enterrés dans des champs de pommes de terre se trouvent enfin honorés et tirés du silence où les politiques ukrainiens d’hier comme d’aujourd’hui veulent les confiner..
C’est peu diront certains face à la puissance d’un mal qui est toujours prêt à renaître. Mais ce témoignage en fragments est plus que nécessaire d’autant qu’il ne possède rien d’une nostalgie simplement orientée vers le passé. Annie Stern crée une dialectique entre deux temporalités : celle du présent, celle du passé et deux atrocités (la stalinienne et la nazie). Elle crée aussi une l’archéologie d’un savoir qui passant du silence à la parole peut laisser espérer une forme d’espoir.
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