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Maya
mercredi 23 janvier 2013 par Jean-Paul Vialard

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Māyā 

 

 Photographie de Marc Lagrange

   Quel est donc ce troublant face à face dont, de prime abord, nous ne pouvons rien dire ? Notre parole est-elle scellée, comme retenue au bord de quelque abîme ? Vers quelle chute se disposerait l'Enigme Noire ? Car c'est bien de cela dont nous sommes d'abord affectés : d'un néant proche cherchant à se dissimuler sous les traits d'une imminente possession. Mais, par définition, l'Enigme, cette Enigme ne s'ouvre nullement à quoi que ce soit de dicible. Les lèvres ajointées ne le sont qu'à être muettes, à entretenir un habile suspens dont le temps lui-même, l'espace paraissent  absents.

  En-deçà du miroir se tient une inquiétante étrangeté, un mannequin d'albâtre déjà occupé à sa perte. Loin sont les vivants, derrière des rideaux de brumes. Loin est le langage qui ne fait plus ses vibrations existentielles. Visage blême, teint d'ivoire pareil à celui d'une geisha. Fleur de lys accrochée au zénith, seulement présente pour dire la pureté, le sacrifice, l'ultime cérémonie. Avant la mort ? Après la mort ? L'immobilité est si lourde dans le silence agrandi. Sans doute quelque chose va-t-il surgir que nous n'attendions pas, que nous ne pouvions supputer. Le jais des cheveux, l'arc charbonneux des sourcils, les cils pareils à de sombres éventails, la bouche de violente obsidienne, le colifichet noir attaché à l'oreille, tout cela est-il préfiguration  d'un rituel dont nous ne posséderions pas la clé ? Et ce bras refermant le cadre dans un geste de défense ne nous signifierait-il pas la présence d'un territoire à ne pas franchir ?

  Au-delà du miroir - mais y a-t-il vraiment cette présence-là, du miroir en sa possible réflexion  ? -, au travers de ce qui apparaît à la manière d'une vitre au tain terni, est le surgissement d'une épiphanie ne paraissant en rien le reflet de Celle qui s'y livre. Effet d'une bien étrange métamorphose nous restituant une image vivante de ce qui, déjà, ne serait qu'une trace sur la mémoire. Ou bien notre imaginaire nous suggèrerait-il, déjà, l'image de l'altérité ? Mais alors qui serait cette Inconnue venue de l'ombre, nous regardant comme du fond d'un puits ? De quelle tragédie serait-elle l'annonciatrice ? De quelles rives métaphysiques nous observerait-elle ? Pour nous délivrer quel message ?

  Mais ce qui nous fait face en sa troublante apparition, ne serait-ce pas, simplement, la Māyā, la déité par laquelle l'Illusion est livrée à nos sens assoiffés d'apparitions multiples, à notre curiosité constamment en quête de phénomènes subtils venus nous dire notre évanescente présence au monde ? Ce qui nous fait face avec sa charge de mystère, ne serait-ce pas notre propre esquisse aussi fugace que la trace de la buée dans le miroir ? A être posée la question se suffit à elle-même. Nous sommes toujours en chemin vers plus illisible que nous !

 


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