traduction Anne-Laure Brisac
jeudi 14 mars 2013 par penvinsPour imprimer
Monde clos de Christos Chryssopoulos parle de tous ceux qui perdirent leur lieu à eux. Il est sans doute à relire à la lumière de La Destruction du Parthénon, les Grecs se trouvant confrontés à ces deux drames, celui des exilés d’Asie Mineure d’un côté et celui d’avoir à gérer un passé trop lourd de l’autre.
D’une certaine manière ce roman peut apparaître comme un remarquable travail sur la forme. Il est fait de portraits de personnages, parfois repris, qui semblent n’être que de brillants exercices de style sans rapport les uns avec les autres, formant presque par hasard un ensemble plus ou moins homogène. Et pourtant à la relecture, mais, et c’est ce qui fait tout l’intérêt du roman, une deuxième lecture n’épuise pas le sujet, il apparaît que ces personnages dont il est dit que ce sont des individualités [...] indiscernables, interchangeables... donnent une richesse au roman par leur diversité et laissent percer peu à peu une identité que l’on ne remarque pas du premier coup.
Pourtant le titre et le premier chapitre nous mettent sur la voie : Monde clos, On a marché sur les cadavres et on est arrivés de l’autre côté.
Ce personnage sans nom que les autres appellent « Celui qui a marché » c’est celui qui a traversé la fosse où les soldats avaient abattu ses compagnons. Sans doute me suis-je laissé abuser par ce qui est dit de son histoire : Son histoire est devenue canonique, comme les textes sacrés, et n’admet pas d’interprétation. Elle est devenue littérature. Mais la littérature n’est-elle pas le lieu où l’on s’efforce de ne pas paraître avoir dit ce que l’on a dit !
Pourtant une femme le répète, il faut se débarrasser du passé :
Les morts n’ont aucune dignité, dit la vieille sorcière en faisant tournoyer dans les airs son rosaire édenté, on n’a rien à gagner à leur témoigner du respect.
Le personnage principal du roman c’est donc bien la cité des réfugiés, cette cité où sont parqués ceux qui n’ont plus d’histoire et c’est pour cela qu’il me paraît important de mettre ce livre en opposition à La destruction du Parthénon, peut-être pour cela aussi que j’ai eu du mal à comprendre le propos de l’auteur.
Ces hommes et ces femmes ont tellement peu de passé, que « Le tableau du salon » sera un de ces paysages romantiques de mauvaise qualité que les encadreurs vendent en ville, un de ces chromos sans épaisseur, une représentation stylistique de Venise en automne dans un cadre doré. Pour un auteur qui en quelque sorte appellera à la destruction du passé, quel apparent paradoxe que de stigmatiser ces réfugiés sans histoire !
Il y a pourtant un grave reproche que leur fait l’auteur, ces réfugiés sans passé ce sont des gens qui aiment la régularité et exigent que l’on s’y soumette :
Dans la cité des réfugiés il n’y a nulle exception. Les gens ici aiment la régularité et exigent qu’on s’y soumette. Ils ont le sentiment de voyager ensemble. Cela aussi doit mettre la puce à l’oreille, alors que les émigrés habituellement auraient plutôt tendance à s’enfermer sur leur passé ceux de Chryssopoulos en ont fait table rase. Ils se comportent comme des êtres sans culture, et par voie de conséquence vous imposent une morale commune. Le danger vient de là. Cette morale inacceptable devenue celle des gens sans histoire, comme peut l’être celle du père de cette Olga qui s’ouvre les veines pour échapper à ses mains et à ses lèvres.
Ce monde clos est insupportable à tous ceux qui sont différents, il y a Olga mais il y a aussi ce jeune homme efféminé que les gens raillent et détestent, comme s’il représentait la preuve répugnante de l’inceste le plus honteux.
Un homme cependant y survit : Léon P., l’homme à la jambe de bois, au membre mutilé, qui aime plus l’argent que les être humains, il ne succèdera pas à ses parents au mont-de-piété où L’histoire des objets […] était soigneusement conservée et archivée dans les tiroirs du vieux fichier […], cet homme-là quel est-il qui a élevé l’argent au rang de chose abstraite, irrésistible [et qui] ne le considère pas comme un moyen ?
Lisez ce livre, vous aurez envie de le relire et de vous longer dans l’œuvre de cet auteur qui en dit tellement sans en avoir l’air.
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