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Caspar Friedrich Strasse - Cécile Wajsbrot
lundi 4 juillet 2011 par penvins

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Alors que certains vivent totalement dans le présent au risque de basculer au premier coup de vent tels des arbres sans racines, d’autres sont tellement encombrés du passé qu’ils n’arrivent plus à vivre. Avez-vous déjà vu un arbre qui ne serait fait que de racines dit le héros du roman, poète d’Allemagne de l’Est inaugurant dans un Berlin réunifié une rue Caspar Friedrich, du nom du chef de file de la peinture romantique Allemande.

C’est pourtant grâce à ces racines, plongeant au-delà de la période du nazisme que l’auteur tente de redonner une histoire à l’Allemagne : D’un côté il y a le poète (romantique) qui a vécu comme retiré du monde dans un pays fier d’être du côté des vainqueurs, nous avions fait les pires choses et notre histoire devenait tout à coup une glorieuse épopée, de l’autre, il y a la femme aimée qui a perdu sa sœur dans un accident de voiture dont elle a réchappé et pour elle aussi le temps s’est arrêté sur cette route.

D’elle, le héros dira : J’étais le témoin de l’ombre, celui à qui elle pouvait tout dire, qui savait la blessure secrète, cette sœur perdue qu’elle pleurait encore. C’est aussi ce qui les relie l’un et l’autre à Caspar Friedrich qui a lui-même survécu au frère qui voulait le sauver de la noyade.

On lit donc en creux dans ce roman la fascination exercée par la mort - celle qui hante le peintre et celle qui hante la muse - cette mort, c’est aussi bien celle d’un romantisme qui aboutira aux horreurs du nazisme, d’une certaine façon, c’est en allant chercher un romantisme culturellement avouable que Cécile Wajbrot pourra se défaire du traumatisme de la délectation morbide des SS et c’est en partant à la recherche d’un passé antérieur au nazisme, celui de la peinture romantique que le héros trouvera le chemin d’un autre regard sur le passé de son peuple.

Pour renaître il lui faudra suivre l’itinéraire de Caspar Friedrich, le roman se parcourt de tableaux en tableaux, un peu comme un exercice de style autour de l’œuvre de Caspar Friedrich jusqu’à s’en détacher. La dernière rencontre du poète et de sa muse sera pour elle l’occasion de lui signifier : vous ne vivez pas, [...] vous rêver [... vous aimez] quelqu’un qui n’existe pas. En prendra-t-il conscience ? Tout d’un coup pour lui Être à Rügen n’avait plus de sens, d’une certaine façon, il en a fini avec le romantisme, la parenthèse du passé est refermée, celle du passé nazi bien sûr mais aussi celle du passé romantique en voyant qu’il n’existe pas un seul passé mais plusieurs, il semble avoir réussi à dépasser l’horreur des années de noires l’Allemagne.

Ce qui rend ce roman intéressant c’est l’interrogation permanente sur la poésie, une certaine poésie hypnotisée par le passé. L’écrivain qui a choisi la poésie ne se fait pas d’illusion sur le rôle qu’il lui fait jouer : nous contemplons un point du temps et de l’histoire dont nous ne sommes pas revenus et la muse porte l’estocade en affirmant : vous ne savez pas vivre. Claire Wajsbrot se répond à elle-même, elle tente de se réinsérer dans le cours du temps et se demande si la poésie, symbolisée également par la mise à l’écart de l’Allemagne de l’Est, mise à l’écart qui prend fin avec la chute du mur, laquelle entrainera presque mécaniquement l’impossibilité d’écrire.

La poésie est vécue ici comme une souffrance que le poète voudrait dépasser, la souffrance dont il est question c’est le silence sur l’histoire nazie de l’Allemagne : Le regard détourné de nos parents et de nos grands-parents force le nôtre à la fixité, une fascination pour les horreurs sur lesquelles la génération précédente n’a pas su s’exprimer et dont il importe de se débarrasser. Ce refoulement, cette mise à l’écart, la chute du mur est l’occasion d’y mettre fin, le poète est sommé de reprendre goût à la vie, mais à la différence de sa muse qui s’est mariée à un homme d’argent, le poète en inaugurant la rue Caspar Friedrich est celui qui met fin à la fascination tout en continuant de rêver : Je rêve, et je préfère rêver, si vivre, c’est ne plus croire à rien, ou croire au jeu faussé, à la dureté des squelettes, aux manipulations.

Ce que le poète découvre c’est donc que le rêve est encore possible, que malgré ce passé inavouable, l’Allemagne peut reprendre le cours de son histoire, qu’il suffit d’un changement de perspective, qu’il n’existe pas un passé mais plusieurs. On comprend bien qu’il s’agit d’un travail nécessaire pour revivre, on le comprend trop bien, comme s’il s’était agi d’illustrer une vérité de la psychologie, mais que le passé nazi ait pu être le futur du romantisme, le poète ne semble pas y attacher la moindre importance, peut-être n’y a-t-il à voir qu’une succession fortuite, mais peut-être pas et j’ai eu l’impression en lisant ce roman que Claire Wajsbrot voulait mettre entre parenthèses l’histoire du nazisme comme si elle faisait partie de l’histoire de l’Allemagne, mais sans vraiment s’y rattacher.

[...] cette rue dont aucun habitant n’a participé à aucune action de la sorte, peut nous aider, être le commencement, non d’une nouvelle histoire – comment faire table rase et comment oublier – mais d’un nouveau chapitre.

C’est toute l’ambiguïté de ce texte qui semble partir d’une idée et en faire l’illustration comme si l’auteur avait voulu soigner sa fascination négative pour les horreurs nazies et s’était laissé fasciner par les tableaux du maître du romantisme.



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