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L’étreinte sylvestre
dimanche 12 mai 2013 par Jean-Paul Vialard

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L'étreinte sylvestre.

 

 

                                     Sur une page Facebook de Dany Janton Benoist.

 

 

 Photographie de l'étrange, certes, mais qui cependant ne manque de nous interroger. Non que nous soyons saisis d'un quelconque sentiment d'horreur ou bien que cette vision purement fantastique sonne à la manière d'une prophétie. Encore qu'à y regarder de plus près, nous sentons bien qu'il y a un problème non résolu, une question demeurant en suspens. La confrontation des genres est tellement inattendue, mettant face à face la pure démesure sylvestre et la douceur féminine, son repli amniotique, pareillement à un retour aux sources.

  Nul doute que nous prenions le parti de ce qui prend forme humaine et essaie de se soustraire à la démesure, à la force tellurique racinaire, au surgissement purement dionysiaque semblant directement issu des ténèbres, sinon du néant lui-même. Mais cet arbre semblable à un monstre, malgré les vagues figures anthropomorphiques qui l'habitent, paraît tellement s'abreuver au plus pur des primitivismes qui soit. Encore enduit de glaise grasse, épaisse, nocturne. Le royaume de Satan, jamais nous ne l'imaginerions sous d'autres esquisses que celle-ci, ourlée de teintes mortifères, engluée dans de sombres convulsions chtoniennes. Quel est le péché dont cette Mortelle s'est rendue coupable pour attirer ainsi les convoitises d'une telle excroissance tératologique qu'on dirait sortie tout droit des représentations des jardins grotesques de la Renaissance ? On y retrouve le même hymne à un confondant archaïsme, les mêmes métamorphoses troublantes où l'on ne sait plus très bien selon quelle ligne de partage se divisent  végétal, animal, humain.

Là, nous sommes portés au seuil de la grotte primitive, tout près de la matrice où les formes sont encore indifférenciées, où le corps humain est semblable à l'éponge, à la pierre, à la concrétion bourgeonnante, à l'indistinction de ce qui, encore, ne vit qu'à être situé dans un magma, un bouillonnement, un maelstrom sans fin. La vie organisée, la hiérarchie des espèces, le lexique humain sont tellement loin, tellement hors de portée que nous sommes irrémédiablement plongés dans une sorte de cosmogonie balbutiante, et nous désespérons même qu'un jour, l'homme, la femme, puissent se dégager de telles forces sourdes, secrètes, muettes.

  Mais, à bien y réfléchir, notre sens du tragique, notre attrait pour le questionnement existentiel, nos infinis pas de deux tout autour de la finitude, de la bonde terminale, du tourbillon sans fin, toutes ces questions aporétiques, ne trouveraient-elles leurs racines dans ce mortel entrelacs de l'origine ? Mais, au fait, pouvons-nous prétendre échapper à ce qui, il y a une éternité, nous constitua ? Pouvons-nous aussi facilement nous extraire de la gangue d'argile, de la convulsion arborescente, de la tunique animale ? Pouvons-nous abandonner aussi aisément nos assises boueuses, renier en nous la lente progression de la fougère, le dépliement de sa crosse, nous fermer à ce qu'ont à nous dire nos impulsions reptiliennes, limbiques, alors que notre néocortex est à la peine, constamment bombardé par une nuée de sentiments contradictoires, de perceptions floues, de sidérations de tous ordres ? Vraiment le pouvons-nous ?

  Nous parlions, au début, de prophétie. Mais sa réalisation  est tout entière contenue dans ce que nous sommes ici et maintenant avec nos pieds d'argile, nos jambes de chêne, notre bassin d'eau, nos viscères de mollusques, le rugueux de notre tronc, la ramure de nos bras, le roc de notre maxillaire, la falaise du front, la crinière de notre tête, la sangsue de notre langue. Oui, nous sommes tout cela à la fois et pourtant, nous sommes Hommes, nous sommes Femmes, nous sommes Existants à l'oublieuse mémoire. Cela qui nous habite, nous crée de l'intérieur, nous propulse sur les rails infinis de l'espèce humaine, mais nous nous dépêchons de l'oublier, comme si, en nous, quelque chose se rebellait contre la pierre, le saurien, l'enroulement sans fin du lierre.

  Regardant à nouveau cette image, nous comprenons qu'il ne s'agit pas seulement d'une métaphore, d'une fantaisie de l'imaginaire. Cette femme, doucement lovée dans son berceau de racines, ne fait que venir à elle à partir de ce qu'elle fut et qui perdure en son sein, le sachant ou à son insu. Quant à l'arbre, il ne projette ses branches tentaculaires qu'à reprendre son dû, comme si, par ce geste symbolique, il voulait inverser le mouvement naturel de la cosmogonie, afin de tout confondre dans une troublante et confusionnelle origine. Ainsi la fable humaine n'en serait qu' à l'orée de son apparition, attendant le "kairos", le fameux "moment propice" des anciens Grecs avant de commencer à signifier.  

  

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