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L’attente cérémonielle
jeudi 14 novembre 2013 par Jean-Paul Vialard

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茶道   L’attente cérémonielle.    茶道

 

 

 

 

     

De la lumière, de cette lumière, nous ne pouvons rien dire. Jamais nous ne saurons si elle est aurore ou bien crépuscule. Elle est simplement « monde flottant », ce merveilleux espace de l’ukiyo-e浮世, estampe dont, jamais, on n’aperçoit les rives, tellement l’imaginaire recouvre tout de son voile énigmatique. Et cette couleur si impalpable, indéfinissable, entre la rose-thé et le discret céladon, comment la nommer ? Mais, a-t-on jamais donné un nom au vol de cristal de la libellule ? A-t-on davantage nommé le parfum des jours qui passent, la souplesse de la soie, l’espace qui s’installe entre les Amants ? A-t-on donné un nom à la fragrance des cerisiers en fleurs, à la couronne d’écume du Fuji-Yama, à l’atmosphère translucide des jardins zen ?

  Il nous faut nous rendre à l’évidence et nous laisser aller au silence, comme on renonce au savoir absolu, à la beauté souvent, à la vérité toujours. Bien des choses de la nature, de l’art, de la contemplation ne nous visitent qu’à l’aune de notre retrait. Nous mettre en vacance de nous-mêmes afin que quelque chose de l’ordre de l’esthétique, de la révélation, de l’étonnement puisse faire phénomène. Ceci ne se déploie jamais qu’à la mesure du recueillement. Il nous faut donc nous y disposer.

  L’image qui nous fait face est de cette nature. Il suffit de l’effleurer, de la laisser à sa plénitude. Elle ,- contentons-nous de cela - dans cette si belle posture hiératique en même temps que disposée à l’événement - nous pourrions la comparer aux muses en clair-obscur des toiles de Georges de La TourElle  donc n’aura qu’à se maintenir en son être, de la manière la plus simple qui soit. Ainsi, nous, les Voyeurs, serons libérés, tout juste placés dans cet indispensable regard oblique, celui de la perspective, de la troisième dimension,  à partir duquel émergeront les significations. Nous n’aurons guère à attendre avant que n’apparaissent les prémices d’une cérémonie que, bientôt, nous reconnaîtrons pour être l’une de celles ayant lieu au Pays du Soleil Levant日本 .

  Alors, il nous plaît de rêver. Alors, il nous plaît d’imaginer, de nous abreuver à cette si belle et étrange culture. Alors nous changeons de continent, de manière de vivre, alors nous existons autrement et, déjà, c’est comme une ivresse, une ambroisie que nous dégustons comme se déguste le saké 日本酒 , par petites lapées dans le «tokkuri», mince récipient de céramique blanche alors que l’alcool est porté à la température du corps.

  Puis nous n’avons guère d’efforts à fournir pour apercevoir la terre battue du doma , petit carré de boue sèche où nous devinons le four en argile  , la jarre de terre, les barils de bois avec les aliments, l’évier, en bois, lui aussi. Ensuite nous franchirons le seuil de la maison, glisserons doucement sur le plancher recouvert de tatamis. Tout autour de nous, semblables à des ailes de papillons translucides, des cloisons de papier huilé, les shōji - 障子 -sur lesquels se découpent les rectangles plus foncés des fusuma -  - Bientôt la pièce principale et son foyer irori - 囲炉裏 - posé à même le sol, son ouverture dans le toit par où s’échappent les minces volutes de fumée.

  Enfin, côté jardin, exposée aux forêts de bambou, aux jardins de gravier ratissé, aux coussins de mousse, aux pierres luisantes patinées par le temps, la merveille des merveilles, la salle de thé ou chashitsu - 茶室 la salle du recueillement par excellence. 

 


 

 

HiroshigeMariko, famous tea house, 21stview,

série des « Les 53 relais de Tokaïdo ».

Source : Wikipédia.

 

 Déjà nous entendons le bruit de grêle douce des socques de bois sur les allées gravillonnées du jardin couvert et, bientôt l’égouttement de l’eau dans les bassins de pierre, les invités procédant au rituel de purification, se lavant méticuleusement les mains, se rinçant la bouche. Puis nous les percevons à peine, comme s’ils glissaient sur l’air, gagnant l’alcôve tokonoma - 床の間 - admirant les parchemins, finissant par s’asseoir dans la position seiza - 正座 – sur les tatamis en paille de riz.

  Dans le clair-obscur de la salle de thé, les kimonos fleuris flottent à la manière de lents cerfs-volants, s’accompagnant de gestes mesurés alors que les paroles deviennent rares, se destinant à s’effacer. Dans l’air devenu soudain empreint de mystère, les ustensiles de la cérémonie font leur apparition, d’abord le chawan - 茶碗 - en raku, superbe tasse portant sur ses flancs la marque insigne du feu, de la terre, de l’eau ; puis le fouet chasen - 茶筌 - en bambou ; l’écope à thé chashaku - 茶杓 - ; puis viendra le moment où le thé sera fouetté, faisant son clapotis, alors que les seules présences seront  celles de sons infimes, de l’eau, du feu, que l’encens et le thé mêleront leurs fragrances tout près des décorations saisonnières amenant la nature à son éclosion, son rayonnement si peu apparent, comme pour dire la rareté de l’instant.

   La cérémonie déroulera ses anneaux, simplement, à la mesure de ce monde quintessencié où rien ne compte que le moment qui passe avec sa charge d’éphémère, son esquisse immatérielle, son caractère unique, une manière d’absolu. Là dans cette pureté qui ne saurait recevoir d’autre nom que celui « d’absence », de « vide », nous sommes plongés au cœur des choses alors qu’alentour le monde fait tourner son vertige. Mais entendons les paroles de cet autre monde, Ukiyo monogatari 浮世,- le « monde flottant » où tout semble s'installer dans une manière d'évidence heureuse, sans même qu'il soit utile de mobiliser quoi que ce soit, ni de son corps, ni de son esprit, cherchant seulement à se laisser envahir par l'éphémère vacuité d'une immatérielle temporalité :

 

"Vivre uniquement le moment présent,
se livrer tout entier à la contemplation
de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier
et de la feuille d'érable... ne pas se laisser abattre
par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître
sur son visage, mais dériver comme une calebasse
sur la rivière, c'est ce qui s'appelle ukiyo."

 

Les Contes du monde flottant (Ukiyo monogatari), 

œuvre de Asai Ryōi parue vers 1665. 

                                                                                                          

  Cette attente cérémonielle, nous aurions pu lui donner quantité d'autres assises, depuis l'attente préludant aux fééries érotiques dont le Gasen (« La Nasse à peinture »), comporte un chapitre consacré au « Corps humain et à la manière d’exécuter des peintures de printemps ou images d’oreiller licencieuses »,

 


  Source bnfL'estampe japonaise.

 

en passant par le rituel préparatoire de la Geisha - 芸者 - avant qu'elle ne revête son kimono à la large ceinture obi -- se disposant à jouer du shamisen - 三味線 -,

 

 Geisha jouant du shamisen

 ukiyo-e de 1800. (Wikipédia).

 

ou bien cette attente aurait pu précéder le nécessaire recueillement préparatoire au kabuki - 歌舞伎 - , forme épique du théâtre japonais traditionnel mêlant harmonieusement chant,  danse  et habileté technique.

 

 

 

Izumo no Okuni

fondatrice du kabuki

durant les années 1600(Wikipédia).

 

Mais, aussi, nous aurions pu en rester à l'attente en tant qu'attente, sans doute si proche de la Voie empruntée par  l'adepte du Tao  -, sorte de manifeste de ce qu'est l'essence de "l'orientalité",  laquelle reconduit le réel à sa nature ineffable, indicible, nullement versée à sombrer dans quelque bavardage qui serait le miroir d' une pure objectalité. Tao est entièrement contenu dans ce fragile équilibre, dans cette manière de fléau de la balance voulant signifier l'exact milieu existant  entre  l'unité du souffle primordial du Qi -   -  et la chute dans la bipolarité du Yin  et du Yang . C'est cela, cette harmonie intérieure de l'homme et du monde que le Taijitu est chargé de symboliser. Nous ne saurions mieux dire qu'en invitant à la méditation de cette Forme parfaite dont aucun discours, fût-il le plus savant, ne saurait arriver à bout, car "le symbole donne à penser" comme l'affirmait avec force Paul Ricœur dans un article désormais célèbre de la revue "Esprit".

  Quant au fait que nous ayons pu passer d'un concept nippon à une philosophie chinoise, d'une cérémonie du thé à la Voie empruntée par le Taoïsme ne constitue en rien un décalage du sens. L'art de la méditation, du symbole, de la relation à l'univers sont identiquement présents dans un genre d'unité cosmologique transcendant les différences qui, ci et là, pourraient se faire jour. Toujours y est en question l'inscription du Pratiquant dans un "juste milieu" ou bien un "choix propice", rejoignant même en cela le fameux "kairos""le moment propice" des anciens Grecs. Car tout choix ne peut, bien évidemment, survenir que dans sa relation à un temps qualitativement assumé.

  La leçon à tirer de ces multiples conjonctions réside dans leur caractère d'universalité. Car le symbole est identique à lui-même au travers du temps et de l'espace, deux caractères qui l'installent dans une manière d'absolu dont les événements et accidents du quotidien ne sauraient l'exiler. Partout où l'unité se révèle, partout où la matrice du monde s'illustre, les contradictions, non seulement ne s'opposent plus, mais  jouent une seule et même  partition, celle d'une belle symphonie dont nous ne saurions nous abstraire qu'à renier notre être. Et ceci ne saurait s'envisager qu'au péril de notre propre finitude choisie. Nous ne saurions y consentir ! 

 

 

 Source : Wikipédia.

 

 

 "Sur la Voie [Dào], il n'y a aucune question à poser, aucune réponse à donner. Celui qui pose malgré cela des questions, pose des questions spécieuses, et celui qui répond quand même se place hors d'elle. Celui qui se place en dehors pour répondre à des questions spécieuses, celui-là ne verra pas l'univers qui est autour de lui, il ne connaîtra pas la grande Source qui est au dedans." (Tchwang-Tseu).

 

   Source : Wikipédia.

 


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