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Cindy Sherman et le crime de l’art
samedi 23 novembre 2013 par Jean-Paul Gavard-Perret

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Cindy Sherman et le crime de l’art

Cindy Sherman, “Untitled Horrors”, Stockholm du 19 àctobre 2013 au 19 janvier-2014. Catalogue “Untitled Horrors” par Daniel Birnbaum, Lena Essling, Gunnar B. Kvaran, Hanne Beate Ueland - Astrup Fearnley Museet, Moderna Museet, Stockholm, Kunsthaus Zürich.

Cindy Sherman fut très vite ennuyé par la peinture « …il n’y avait rien à dire de plus. Je me contentais de copier méticuleusement d’autres œuvres, et j’ai réalisé qu’il aurait alors suffi d’utiliser un appareil photo et de me consacrer à d’autres idées  » dit-elle. Elle s’orienta vers l’art photographique en une forme de radicalité. Elle n’eut néanmoins pas besoin d’aller jusqu’au bout de la logique que souligna Pierre Molinier : " lorsque l’artiste est incapable d’assumer son rôle et que son œuvre barre la route à cet autre qui n’est que lui-même l’alternative reste le meurtre-suicide ". L’Américaine ne barre pas la route : elle l’ouvre en soulignant l’équivoque que porte en lui le couple artiste et modèle (criminel et victime) : l’une est le produit de l’autre et vice versa.

Plus que "meurtrière" de son modèle (elle joue d’ailleurs souvent ce rôle en ses prises), l’artiste en demeure aussi l’esclave consentante. Au crime fait place un voyage initiatique. Il permet non seulement de prendre le bas pour le haut, l’obscurité pour la lumière mais offre la possibilité de reconsidérer les rapports humains et ceux que les spectateurs entretiennent avec leurs « chères » images. Cassant le système de narration iconographique par divers types de décadrage et de mise en scène, Cindy Sherman modèle un nouveau regard entre le familier et l’inconnu. Face à l’ostentation programmée, ses reprises soulèvent bien des questions auxquels l’artiste ne prétend pas donner de réponses. Des figures génériques d’une mythologie populaire - parfois très sombre - deviennent des signes de failles qui parcourent la culture occidentale jusque dans ses ombres.

Le corps de la femme émerge loin de son statut de machine à fabriquer du fantasme ou d’écrin à hantises. L’artiste en inverse les effluves. « Le passé ne passe plus dans mes œuvres, elles sont créées contre lui pour des extases négatives » explique-t-elle. Et ses « Untitled horrors » comme leur nom l’indique n’ont pas besoin de titre : elles parlent toute seules. L’artiste y pastiche souvent l’univers de tableaux de maîtres, s’y approprie un grand nombre de genres visuels (extraits de films, pages centrales de magazines dits de charme, photographies de mode, portraits historiques et les images érotiques. Le livre propose une synthèse noire qui éloigne de tout artifice par l’artifice lui-même. L’activité mimétique de la photographie capote. Et, comme dans le " Portrait ovale " de Poe, la vie passe intégralement de la réalité à l’art, mais avec Cindy Sherman ni l’une ni l’autre ne sont, à la fin, laissées pour « mortes ». Certes lorsque la photographe « arme » son appareil et qu’une femme modèle se trouve étendue sur un lit cela ramène ironiquement des scènes de meurtre façon des revues américaines et européennes du type « Détective » que l’artiste affectionne (elle n’a cessé de jouer avec). Mais avec elle le meurtre restera métaphorique. Ce qui n’exclut pas pour autant sa violence.

Jean-Paul Gavard-Perret.

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