mercredi 19 octobre 2011 par penvins
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La guerre de 14 en toile de fond, ce premier roman de Montherlant est surtout un combat de l’ordre mâle contre l’ordre féminin, de la raison contre les sentiments. Mais si, sur le plan des idées, c’est une lutte entre le réalisme et le sentimentalisme, entre le désir charnel et le devoir, ces luttes en cachent une autre qui ne dit pas son nom et qui est pourtant l’âme même du roman, la lutte entre hétérosexualité et homosexualité. En ce sens Montherlant nous parle plus que jamais, à nous qui sommes confrontés à des siècles d’homophobie et qui n’avons pas encore bien défini les rôles des hommes et des femmes. Il est de cette génération qui voit disparaître ce qu’il appellera l’ordre mâle et qui l’exalte comme pour mieux se défendre de son deuil. Bien sûr, l’univers qu’il construit à partir de sa lecture des auteurs romains est surtout destiné à légitimer son propre comportement sexuel dans une société où l’homosexualité est un délit, l’apologie de l’ordre mâle répond à un besoin personnel d’autant plus fort qu’il se sent sans doute lui-même menacé dans sa virilité, mais cela nous parle à nous qui avons finalement reconnu que l’homosexualité n’était ni une maladie, ni un acte illégal.
Des quatre personnages, Alban de Bricoule, Prinet, Dominique Soubrier et Douce, Douce est le plus insignifiant. Tout dans Le Songe repose donc sur les relations entre les trois autres personnages, relations de camaraderie que l’amour vient polluer du côté de Dominique. La guerre est au centre du roman, mais cette guerre de quatorze n’est pas celle de Barbusse ni celle de Céline, elle est au contraire un symbole de force et de réalisme [ de « ce qui est » dans la langue de Montherlant] et elle est recherchée par Alban, il s’y joint volontairement alors qu’il aurait pu la faire tranquillement dans un bureau. Cette guerre est opposée à l’amour sentimental, tout ce que Montherlant désigne par ordre féminin dont il se défend et à quoi son héros ne succombera pas. À la guerre, on ne peut se permettre de laisser la raison s’enrayer, il faut ne pas mésestimer la force : et nous sommes destinés à être battus en fait, même après des apparences de victoire, pour la seule raison que nous mésestimons la force parce que : Chaque homme à qui nous laissons la vie sauve tuera un des nôtres. Un exemple de la stupidité du sentimentalisme est également donné avec le chien de Prinet qu’Alban en homme fort, à la différence de son camarade, n’hésite pas à tuer plutôt que de le laisser courir entre les jambes des soldats et de les mettre en danger. La sensualité, le désir physique contrairement à la sentimentalité n’est pas regardée par Montherlant comme un mal. Dominique de ce point de vue, lorsqu’elle se rapproche de Bouchard, est encore du côté de la force, elle affirme sa supériorité vis-à-vis de lui : Ce quelle recevait de ses propres générosités, c’était sans doute le contentement de lui être agréable, d’affirmer sa supériorité sociale, elle affiche son mépris pour le sentiment qui lui permettait de se croire intacte, elle est à l’image de Montherlant : Elle n’avait jamais cru que la sensualité fut un mal, mais seulement la sentimentalité.
Pourtant, c’est parce qu’il succombe à la sensualité qu’Alban se voit rappelé à l’ordre par les morts : Alors les morts se lèvent : « Quand nous recevions de toi, nous, nous avions mérité. Elle, en quoi a-t-elle mérité ? Retire ta main, ou tu déconsidères les gestes fraternels qui te sont venus pour nous ». L’explication Montherlant la donne :Lorsqu’il lui avait cru une raison, il l’avait traitée en homme, il avait eu le désir de sa raison. Cela était fini, après avoir été beau. A présent qu’elle n’était plus que chair, il la traitait en femme, il avait le désir de sa chair, et ce désir, comme l’autre était tout plein beau. Ce n’est pas la sensualité qui l’éloigne de Dominique, c’est qu’elle est redevenue femme, bien sûr, le désir est là, mais il ne saurait aller jusqu’à son terme ! Comment ce qui fut le grand secret de Montherlant n’a-t-il pas été deviné dès ce premier roman où le héros après s’être prêté au jeu des préliminaires refuse ce qu’elle attend à la femme qui se donne à lui sous prétexte qu’il a décidé de repartir au front ! Le front, c’est bien évidemment l’ordre mâle, mais la dernière image du roman est encore plus explicite, prenant le bois d’une clôture pour une frêle épaule Alban se met à la place du père qui confie à son enfant : Ah ! mon petit vieux, regarde donc... Ton père qui remets ça !. Comme ici, ce sera toute sa vie le comportement de Montherlant que de se mettre à la place du père qui initie l’enfant à l’ordre mâle, mais il faudra attendre La Ville dont le prince est un enfant et Les Garçons pour que les spectateurs et les lecteurs de Montherlant entendent ce qu’il n’a jamais cessé de dire de lui. Comme si la surdité des lecteurs avait été ce grâce à quoi Montherlant nous avait offert une œuvre considérable. Ce qu’il disait de lui était indicible et pour une part le reste encore aujourd’hui, c’est sans doute pour cela qu’il en a exploré toutes les facettes et que son travail est si riche.
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