Une plongée édifiante dans les arcanes de la société française des années 50
samedi 15 mars 2014 par Jacques LucchesiPour imprimer
Qui se souvient encore d’André Le Troquer ? Il fut pourtant l’un des personnages les plus importants de la IV eme république. Mais une sombre affaire de moeurs devait porter un coup fatal à sa carrière politique. cela ne vous rappelle rien ?
Né en 1884 dans une famille modeste, André Le Troquer parvint néanmoins à faire de brillantes études de droit. Parallèlement à son métier d’avocat, il s’engagea vite en politique, se faisant élire député sous les couleurs de la SFIO (le parti socialiste d’alors). Quoique marié et déjà père de trois enfants, il fut happé comme tant d’autres par le premier conflit mondial. Sa conduite héroïque lui vaudra deux décorations militaires mais il y perdra l’usage de sa main droite. La défaite de juin 40 puis l’occupation allemande ravivèrent son instinct combatif. Résistant de la première heure, il se rallia à De Gaulle avec lequel – insigne honneur -, il devait descendre les Champs Elysées lors de la libération de Paris, le 26 août 1944. Devenu l’un des hommes politiques influents de la IVeme République, il sera élu président de l’Assemblée Nationale, dernière marche, pensait-il, avant l’accession au pouvoir suprême. C’était sans compter avec le Général ramené par René Coty (alors président du Conseil) à la tête de l’état pour faire taire les factions qui menaçaient l’unité du pays. Nous étions en 1958, année charnière s’il en est et qui devait engendrer une nouvelle constitution. Malgré son admiration pour l’homme du 18 juin, André Le Troquer ne lui vota pas les pleins pouvoirs, contestant ouvertement sa légitimité démocratique. Quelques mois après, en janvier 1959, débutait l’affaire des ballets roses dont il allait être le principal accusé. Car André Le Troquer avait son talon d’Achille : une sexualité insatiable et débordante qui, surtout à la fin de sa vie, le portait vers les très jeunes filles. Cela devait être fatal à ses ambitions politiques et précipiter sa disparition en 1963.
Ce personnage, aussi trouble que flamboyant, méritait sans nul doute d’être tiré de l’oubli qui l’avait recouvert depuis un demi-siècle. C’est Benoît Duteurtre qui est l’artisan éclairé de cette résurrection avec cet ouvrage au genre mal défini. Ni roman ni biographie au sens strict du terme mais les deux à la fois, « Ballets roses » est avant tout une radiographie de la société française d’alors. C’est aussi, pour l’auteur du « Voyage en France », l’occasion de revenir vers cette époque qui a précédé sa naissance (il est né en 1960) et qui le fascine pour maintes raisons, dont la moindre n’est pas sa parenté revendiquée avec René Coty, son arrière grand-père. Tout au long de cette enquête subjective mais rigoureuse, Duteurtre fait resurgir un monde à la fois proche et lointain du nôtre ; un monde qui annonçait notre société hyper médiatique et son inflation technologique tout en perpétuant d’autres codes moraux (peut-être plus tolérants que ceux en vigueur aujourd’hui). Il faut lire les pages sensibles et goguenardes qu’il consacre à d’autres protagonistes de cette sulfureuse affaire, à commencer par Jean Merlu, l’instigateur dévoué de ces rencontres clandestines. Publié en 2009, « Ballets roses » fait écho à d’autres scandales du même jus, le plus récent étant bien sûr celui qui brisa la trajectoire politique de DSK en mai 2011. Quels que soient le temps et le lieu, les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets dévastateurs.
(Grasset, 17 euros)
Jacques LUCCHESI
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