mardi 1er novembre 2011 par Xavier Lainé
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L’écriture, c’est comme le pain
A propos de Jeanne Benameur, Notre nom est une île, éditions Bruno Doucey
Je te le dis, Jeanne, j’ai tant entendu parler, et puis j’ai tant lu, de toi et sur toi, que je me doutais un peu de ce qui se tramait en amont de ton écriture.
Vois-tu, Jeanne, ce qui me gène en ce monde, c’est qu’on ne peut y être simplement poète et qu’il faille se soumettre à des règles que d’autres (éditeurs en particulier) et qu’il faille passer sous les fourches Caudines du roman pour se faire un nom.
Alors, entre les lignes, j’avais bien lu une autre plume, bien plus essentielle, celle-là car dépouillée des contingences du récit, touchant à cette profondeur que seule la poésie sait aborder.
On découvre alors le puits et l’océan et cette fibre qui vogue de ports en ports jusqu’à accoster aux territoires de l’âme.
C’est là que Jeanne Benameur nous attend avec son tout petit livre édité chez Bruno Doucey. Tout petit par la taille mais si grand par la puissance de ses mots.
« Nous crachons des montagnes de mots emmêlés
aux poussières
aux décombres de phrases interrompues
à tout ce que nous n’avons pas osé »
Franchissant la frontière où les mots nous laissent, dos au mur, nous ne pouvons que voir le navire au quai des espérances,
« Tout reste à lire
nous le savons
dans l’herbe
dans le sable
sous le pied qui trébuche au caillou
sous l’algue
Il faudrait déchiffrer
tout ce qui est offert
lire l’empreinte »
Le poème se cache sous les feuilles et dans le sable, il brille sur la crête des vagues, divague en lents murmure dans le vent feulant aux cordages.
Voiles ouvertes, il nous invite à puiser aux sources de la terre une raison d’être à notre humanité.
Il dérange aussi les valeurs établies, ébranle nos certitudes, bouscule nos indifférence et montre du doigt nos complaisances et complicités.
Le mot ramassé au hasard de ces pérégrinations poétiques, d’exil en errances infinies, est celui qui nous relie à notre véritable humanité : nos esprits se rencontrent en territoire de douce connivence.
La dernière question qui demeure tourne autour de ces mots qui nous font si semblables et si différents :
« Comment penser qu’un mot peut changer une vie ?
Il faut imaginer.
Il n’y a pire fou que celui qui n’imagine pas.
Celui qui conduit à la mort des cortèges d’êtres humains parce qu’il en a reçu l’ordre. Celui qui peut ouvrir et fermer la porte d’une chambre à gaz.
Celui qui appuie sur le bouton qui envoie le missile.
Celui qui appuie le canon sur la tempe de l’autre.
Tous ceux-là n’imaginent pas.
Ils sont coupés de cette part humaine si profonde si fertile : l’imaginaire.
Il est beaucoup plus facile d’imposer lois et décrets iniques à des êtres à qui on a retiré la faculté d’imaginer.
C’est un temps que les humains connaissent.
C’est ainsi que toutes les formes de pouvoir totalitaire se sont maintenues. Partout. Et de tout temps.
Alors plus que jamais, le poème a sa place.
Parce que nos vies, mouvantes dans le temps, éphémères et fragiles, valent leur poème. Chacune.
Et ce n’est pas, comme la littérature aux yeux de qui cela arrange, la « cerise sur le gâteau ». Non, c’est le pain. Le seul le vrai qui nourrisse au plus profond notre être. »
Dans une discussion récente, je ne croyais pas si bien dire : « L'écriture c'est comme le pain. Il faut le pétrir longtemps avec beaucoup d'amour pour qu'il soit à peine mangeable, et une longue maturation silencieuse pour qu'il soit délectable. »
Et le chemin qui va de l’écriture au poème enfin lisible est bien long, trop souvent, en ce monde qui ne regarde la littérature qu’avec les yeux des actionnaires.
Manosque, 31 novembre 2011
Xavier Lainé
Jeanne Benameur, Notre nom est une île, éditions Bruno Doucey, 6€
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