samedi 19 avril 2014 par Jean-Paul Gavard-Perret
Pour imprimer
Jean-Yves Pranchère : habiter le temps
Jean-Yves Pranchère, « Une enquête de l’administration des choses perdues », Derrière la salle de bains, Rouen, 10 E..
« Dans la perte, le souvenir affole - parce que « cela a été » et que je l’ai manqué alors que j’étais là ; ou plutôt : parce que cela n’a pas été alors que c’était là » écrit Jean Yves Pranchère. Tout son texte s’inscrit sur cette dislocation, cette absence, ce regret, cette insécurité et cette déhiscence. Si bien que l’expérience existentielle demeure celle d’un désastre (dont Blanchot aussi a fait le centre de son œuvre). Jean-Yves Pranchère la reprend à sa main non dans le neutre comme l’auteur du « Pas au-delà » mais dans la révolte - sous forme plus de constat que d’action - face à l’expérience douloureuse dont toute intensité heureuse est exclue.
L’écriture reste à ce titre une parole errante dont l’activité ne peut rendre au monde. Au mieux elle est un rappel strident de ce qui fut éprouvé et qui ne peut bouger. Cette stridence a donc besoin d’être reprise, répétée pour échapper au sens comme au non-sens, bref afin trouver une troisième voie qui détourne ces deux concepts d’eux-mêmes dans ce que l’écriture semble rétorquer à son auteur : « tu as pensé cela il y a longtemps et tu y es autorisé encore ». Et ce afin d’offrir une paradoxale assurance en ce qui lui appartient et qui dit quelque chose de sa cohérence à la fois toujours défaite mais assumée. La parole devient donc la seule réponse possible à la perte comme à l’attente, aux bruits en creux comme au silence. Elle ne donne pas lieu à une interruption (car elle ne sauve pas) mais se poursuit pour habiter le temps.
Jean-Paul Gavard-Perret
toute reproduction ne peut se faire sans l'autorisation de l'auteur de la Note ET lien avec Exigence: Littérature