samedi 5 juillet 2014 par Jean-Paul Gavard-Perret
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Marie-Laure Dagoit : nouvelle « théorie » de l’image érotique
Marie-Laure Dagoit, « Ardente Nuvem & Ce que je ne dis à personne », 10 €, « Il faut soutenir le front haut, les injures et les bravades », 10 €, Editions Derrière laSalle de Bains, Rouen, 2014.
Les textes de Marie-Laure Dagoit sont des labyrinthes dans lesquelles l’auteure joue les louves et les gourmandes distantes. Mais qu’on ne s’y trompe pas : tout semble dit et rien n’est dit. L’explication fatale ne sort pas de la bouche elle est sur le bout de la langue et des doigts. L’aide du lecteur est requise s’il veut bien s’y plier. Le blanc du sens s’y fait tache, métaphore, vague onguent plus ou moins substantiel par endroits. Le sens ne s’y éprouve que par filet. L’humour implicite avertit que ce qui affleure ne tremble pas de se dire. Il n’y a plus de secret. Mais le jet de sens proposé n’est ni hommage, ni agrément. Le trou de la bouche devient un lieu où la jouissance s’absente. La narration elle-même dans son radicalisme et son effet de réel devient une image géante. La bouche n’épouse rien. La fellation est une ruse, une chimère, un jeu. Surgit moins une antipoétique qu’une mise à mal de la mise du mâle peu ou prou ridiculisé ou plutôt néantisé.
Il demeure d’ailleurs superbement hors champ. La fellation devient le passage métaphorique de lueur laiteuse sur le blanc de la page. L’ouate blanchâtre sortie de la parenthèse des lèvres apparaît comme l’équivalent littéraire du reflet et l’écho visuel d’une représentation mentale. La situation est une digression intempestive face à ce qu’on prend généralement pour un moment de bravoure. L’acte protège l’accordeuse de plaisir de toute émotion ou sensation libidinale. L’objet de délit et du délice est autre. L’Ardente s’amuse à « Sucer et vider les couilles fugitives / Sucer seule dans l’ombre / Faire grandir les queues pour soi-même ». Si bien qu’une telle fonctionnalité chez la narratrice est autant masculine que féminine » « Ces queues en moi dans ma salive / C’est là leur bonheur pas le mien ». Reste la feinte d’obscénité, le décalage des mises et remises.
Dès lors la cueillette du liquide blanc devient un jeu de la langue, un rite métaphorique. Ce qui peut paraître excessif est réduit à un chant faussement emphatique. L’écrivaine mène le jeu selon une perspective surréaliste que ne renieraient en rien les Joyce Mansour, Leonora Carrington ou Meret Oppenheim. Le sperme en sa succession de petits pois se réduit à la digression dont la narratrice n’est pas mécontente mais au sein d’un acte qui n’est pas plus amoureux que de bravoure. Celle qui s’autoproclame « salope » est tout le contraire. Un féminisme très particulier s’affiche. Il est à l’opposé à ce que les amazones condamnent. Pour autant Marie-Laure Dagoit fait mieux : elle prend le mâle à son propre jeu plus subtil que le matérialisme froid d’une Catherine Millet.
L’espace bunkérisé de la bouche four transforme le phallus en bouture de nuit. La situation érotique se réduit à une figure de « style » et non de fantasme. Marie-Laure Dagoit atteint par ce jeu l’intime du lecteur qu’elle presse à sa guise : il dérive comme une péniche, comme une marie-salope. L’habituelle dissolution de la littérature productrice de douceur et d’emplâtre substitutifs réparateurs déraille vers la profondeur paradoxale. Dans ces deux livres les mots ouvrent les prémices de l’anonymat le plus crasse d’un masculin réduit à objet. Les textes n’ont rien de gratuit ou de provocateur. La dérision domine. Ce qui est mis sous le nez est à la fois concret et immatériel. Se crée le passage d’un simple duplicata de la réalité à une vaste image poétique. Ce qui jaillit par effet de réel tourne court dans la luminosité d’un poème feuilleton. Il fait tourner à vide les théories les plus libérales, libidinales et machistes de la sexualité.
Jean-Paul Gavard-Perret
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