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Projections Privées - Gilles Rozier
dimanche 27 novembre 2011 par Meleze

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Denoël Paris 2008

Est-ce la première fois qu’un roman se passe dans une pharmacie ? Nous ne le savons pas. Quoi qu’il en soit il s’agit d’une grosse pharmacie dans une ville de province dont le chiffre d’affaires décline progressivement jusqu’à ce qu’elle soit détruite par un incendie.
C’est ce que l’on appelle dans les journaux un "fait divers", classification, qui est à l’origine de ce roman L’enjeu du livre pour son auteur est de rester au niveau du fait divers pour mettre en valeur les choix qui seront faits par ses héros. Or ce n’est pas facile, parce que la personne de l’incendiaire et ses mobiles sont connus. Ce n’est pas facile parce que "le fait divers" n’est pas sujet à une intrigue policière, c’est donc par d’autres ressorts que le livre se développe.

Il met en scène un jeune homme d’environ 17 ans, Victor, et son professeur de latin grec, Martin qui se rencontrent et deviennent amis autour d’une recherche commune. Dans les deux familles de ces deux personnages, il y a une ascendance juive qui a entrainé des cicatrices dues à la guerre et sur lesquelles tous les deux à leur façon et à leur échelle ont entrepris des recherches.

Les arrestations de la guerre ont été classées comme des faits divers et ont été transmises comme telles aux deux personnages qui entreprennent des recherches sur leurs familles. Entre-temps sont intervenus les mouvements de pensée initiés par Claude Lanzmann qui a rattaché toutes les déportations au phénomène de la Shoah si bien que le drame de nos deux héros est de savoir s’ils acceptent cette massification ou s’ils veulent conserver le souvenir de leurs morts avec les traces individuelles sensibles qui les accompagnent.
C’est une question très importante qui est très bien posée par Gilles Rozier justement parce qu’il l’enserre dans la catégorie des faits divers et que, par son récit, il l’en arrache comme une pierre précieuse, pour écrire cette phrase :" Martin sentait que la disparition du grand-père recelait l’insoutenable, mais il ne savait rien et les livres n’en disaient pas plus. Ils racontaient un destin collectif, pas ce qui était arrivé à Szmulek Wasjbrot, la véritable histoire, quel wagon, quelle baraque, quel voisin sous la couverture, quelle mort."

Gilles Rozier se fait ainsi observateur très fin d’une partie de la communauté juive qui refuse les analyses de Lanzmann . Il observe à la fois des individus non juifs qui ont été les sujets du même traumatisme créé par les déportations et la peur qui régnaient pendant la guerre et qui ont donné aux liens humains noués à cette époque une texture infrangible tandis que par ailleurs des héritiers se satisfont de l’emballage formel du destin commun d’une partie de leur communauté sous la forme de l’enveloppe appelée Shoah, aussi longtemps qu’ils peuvent en profiter et jusqu’à dilapidation de leur héritage.

Mélèze



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