jeudi 11 juin 2015 par Jean-Paul Gavard-Perret
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Casanova, « Histoire de ma vie », 3 tomes, coll. de la Pléiade, 2015. Casanova, Album Pléiade Casanova par Michel Delon, coll. Album de la Pléiade, 2015.
L’œuvre de Casanova après bien des avatars trouve enfin sa vraie dimension. Elle témoigne de l’extraordinaire richesse narrative et stylistique de l’auteur. La version enfin complète d’« Histoire de ma vie » dans la collection de la Pléiade prouve qu’à l’aspect téméraire du vénitien répond parfaitement sa prose. « L’Histoire » représente une parfaite perte d’équilibre, radicalement déroutante, proche du vertige. Casanova trouble la vision, emmêle les perspectives, perturbe l’acquis, menace de faire vaciller la raison, prise au piège d’un labyrinthe et de jeux de miroirs déformants sans chercher de justifications superfétatoires. Tout désordre se justifie dans ce journal qui, s’il cherche à sortir de lui-même, par le chemin de la folie peut atteindre une raison autre que celle dont l’absence est la folie. La lecture semble ne plus avoir de fin. Il s’agit ainsi d’une autobiographie-roman qui s’amarre dans la vie du lecteur qui y revient sans cesse pour tenter d’en percer les mystères innombrables, d’autant que chaque page est un chef-d’œuvre métaphysique d’une beauté exemplaire.
Lorsque l’auteur semble renoncer, le renoncement même devient protestation et non pas seulement son masque et ce qu’on appelle la réalité mérite souvent les phrases méprisantes et ironiques du cher Casanova plus seigneur que méchant homme (à l’inverse de Don Juan). Il fait preuve de vigilance en plein vide et s’il a beau faire souvent l’amour, le bonheur est forcément autre chose, quelque chose de plus triste peut-être que cette paix et ce plaisir, un air d’île (la Giudecca ?) ou de licorne, une chute interminable dans l’immobilité. Chaque aventure (amoureuse ou non) est l’occasion pour exécuter un portrait psychologique plein d’humour et de lucidité. Casanova est pathologiquement sensible à ce que lui impose le monde environnant, celui où il vécut, celui qui lui fut échu en partage. En un mot la circonstance l’assomma ; le monde le blessa mais l’œuvre les métamorphosa. D’où l’importance d’une des plus grande œuvre littéraire écrite en français.
Pour l’auteur comble de la misanthropie le mena à l’opposée du grégaire et de la grande illusion de la compagnie : à l’homme seul dans la salle de ses échos et de ses miroirs. Ainsi l’auteur tomba dans le paradoxe particulier : celui d’être peut-être au bord de l’altérité sans pouvoir franchir ce bord. La véritable altérité faite de délicats contacts, de merveilleux ajustements avec le monde, ne pouvait s’accomplir qu’avec une seule arme : la littérature. Elle permet non seulement de comprendre mais d’atteindre un paradis retrouvable.
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