Un regard romanesque sur la société française des années 90 et ses espérances aujourd’hui enfuies
samedi 27 février 2016 par Jacques LucchesiPour imprimer
Parfois des livres arrivent chez vous par le jeu aléatoire de la correspondance. Des livres que l’on n’aurait sans doute pas choisis spontanément si on les avait aperçus sur la table d’un libraire. On les ouvre par curiosité et là le « miracle » se produit ; on est littéralement captivé par le rythme des phrases, les images et les réflexions qui en jaillissent, au point que l’on ne peut plus les lâcher.
C’est ce qui s’est passé pour moi avec « Sami aime Shangzou » de Simone Balazard. Il faut dire que l’auteur(e) n’est pas n’importe qui. Professeur(e) de littérature aujourd’hui à la retraite, elle a publié, avant ce titre paru aux éditions Le Temps des Cerises, une dizaine de romans chez des éditeurs comme Julliard, Grasset ou Flammarion. Avec ce petit roman sorti en 1999 – mais la littérature n’est pas qu’une affaire d’actualité, heureusement -, elle revient sur une époque à la fois proche et lointaine pour nous : les années 90. Tout part ici d’un graffiti remarqué un soir de fête sur une façade parisienne ; une inscription presque trop pure, trop ingénue, en comparaison de celles qu’accueillent ordinairement les murs de nos villes. L’enquête menée par la narratrice peut commencer. Elle va rapidement identifier les deux jeunes gens qui se cachent derrière les deux noms de cette proposition universelle. Le premier – qui est aussi celui qui la polarise le plus – est un étudiant de dix-huit ans, algérien par sa mère et allemand par son père. Car elle a déjà croisé ce beau garçon dans un cours d’arabe hebdomadaire. Quant à la seconde, c’est une jeune chinoise fraîchement arrivée en France qui travaille comme serveuse dans une cafétéria voisine. Comment ces deux-là, à priori si différents quoique tous deux d’ascendance étrangère, ont-il pu se rencontrer et laisser leurs cœurs s’épancher ? C’est le mobile de cette histoire attachante qui nous entraîne rapidement dans un tourbillon de destins sur fond de première guerre de Golfe. Les protagonistes s’y rencontrent librement, des unions mixtes se forment et se défont et personne n’est attaché à son identité d’origine. Car la société que décrit Simone Balazard ignore manifestement les frontières et les barrières ethniques. Si ce tableau d’une France métissée, modèle d’assimilation républicaine, génère de la nostalgie, c’est qu’il apparaît, quelques vingt-cinq ans plus tard, comme une heureuse parenthèse, sorte d’âge d’or socialement évanescent. On peinerait à le retrouver dans la France de 2016, minée par le communautarisme et ses dérives fanatiques. Comme Simone Balazard l’écrivait déjà, avec une lucidité douloureuse, dans les dernières pages de son roman :
« Sans doute, ce qui nous caractérisait, en cette fin de siècle, et parmi nous plus particulièrement les jeunes, c’était une sorte d’idéalisme vague qui nous faisait minimiser la cruauté, la perfidie et aussi la sottise, la balourdise. Nous avions têté le lait des Droits de l’Homme, de l’égalité des chances, nous avions cru très fort à la puissance de l’éducation, aux vertus de la lecture, au développement de l’antiracisme. Nous avions chanté pour les Ethiopiens et fièrement épinglé sur nos vestes la petite main jaune de « Touche pas à mon pote ». Nous avions été des cons. » (Page 106).
Oui, c’est ainsi qu’a pris fin l’euphorie démocratique de la dernière décennie du XXeme siècle. Depuis, les rapports humains et sociaux n’ont fait que se durcir et la guerre est revenue frapper à nos portes. Cette société ouverte et festive reviendra-t’elle dans ce pays ? Nous l’appelons, en tous les cas, de nos vœux. Mais il se pourrait bien que pas mal d’eau ne s’écoule sous nos ponts avant que nous ne puissions à nouveau regarder l’étranger sans crainte ni suspicion, comme un frère à part entière.
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Jacques LUCCHESI
[1] Nota Bene : cet ouvrage, encore chiffré en francs, est à commander directement chez l’éditeur, Le Temps des Cerises, 6 Avenue Edouard Vaillant, 93500, Pantin
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