samedi 20 août 2016 par penvins
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On pourrait y voir un roman à la gloire des médiocres, des gens ordinaires, de ceux qui ne se sont jamais battus sinon sous la contrainte, on peut aussi lire ce roman désabusé comme un pied de nez aux bien-pensants, à ceux qui sont toujours d’accord, qui ne veulent pas faire de vagues, qui préfèrent oublier dans la pierre la mort de ceux qu’ils appellent des héros et qui ne furent que les victimes consentantes de la guerre. Parce que l’héroïsme, le vrai, aurait été de refuser, mais du côté de Georges Hyvernaud pas d’héroïsme. Ecrasé par la vie, au point de ne pas donner suite à ces deux seuls romans, manquant d’ambition, le lecteur n’aime pas ça. La littérature il la préfère héroïque, romantique bien sûr mais lu, le narrateur, i a vécu les transports d’humains que l’on prenait pour des paquets. La machine à broyer Georges Hyvernaud ne sait pas lutter contre, ce sont toujours ceux qui travaillent pour elle qui gagnent, ceux qui font marcher la machine :
des types sérieux, des techniciens imperturbables, des fonctionnaires en béton armé
description qui rappelle comment l’horreur s’est implantée en Europe, mais qui ne s’arrête ni au nazisme, ni au pétainisme, qui dit à quel point la machine est bien rodée, depuis les huit heures de travail répétitif chez Busson frères, Eaux gazeuses jusqu’ au consensus social autour des héros que se disputent les différents mouvement de Résistance.
On s’est donc mis à dénombrer les morts. C’est alors que le tumulte a commencé.
Nous on en a cinq
Nous sept
Le narrateur est celui qui fait des écritures pour gagner sa croute, celui que l’on a envoyé au collège, qui a raté sa licence, qui n’a pas fait son chemin comme Bourladou et qui n’est pas comme lui installé dans le plus stupide conformisme bourgeois. Il ne se vante pas de ses minables faits de résistance, il sait ce qu’il en coûtait de s’opposer aussi bien pour les gardiens que pour les gardés précise-t-il :
Tous pris dans la même inconcevable mécanique
Assurément ce n’est pas avec ce genre de discours que l’on fait le buzz, aucun parfum de scandale chez Hyvernaud, qui n’a que mépris pour l’ascension sociale gagnée au prix du conformisme et de la soumission aux bonnes règles et à cette Morale à laquelle il a été nourri comme le furent ses parents :
Et ils la connaissaient bien mes père et mère la Morale. Ils l’avaient apprise à l’école communale, vers 1880. Ils l’avaient apprise en même temps que les participes passés conjugués avec être et avoir ; en même temps que les départements, avec leurs préfectures et sous-préfectures rangées par ordre alphabétique.
On est en 1953, la guerre vient de se terminer, dire que les Français, comme les autres – les gardiens et les gardés - ne furent pas tous de farouches résistants, que la bureaucratie est l’école de la soumission, que la bonne Morale pas plus que le désir d’ascension sociale ne fabriquent des héros qui donc pouvait l’entendre ? Aujourd’hui encore ce discours va tellement à l’encontre de la pensée dominante, il est tellement difficile de comprendre celui qui dit :
Les grandes phrases, les grandes attitudes me mettent en méfiance.
Comme si il y avait les héros d’un côté et les salauds de l’autre, comme si il fallait qu’il y ait
une liste de salauds pour que ceux qui n’y figurent soient assurés de la correction de leurs principes et de la fermeté de leur conduite
Il y eut certes des héros, mais la plupart furent anonymes, il y eut certes des salauds mais il y eut surtout des gens ordinaires pris dans la grande machine à décerveler et il n’est pas sûr du tout que cette machine n’ait pas été et ne reste pas la plus forte. Le livre de Georges Hyvernaud est une tentative de dire à quel point nous sommes manipulés par un système que lui-même n’a pas réussi à renverser. Son livre fera un bide et le ferait sans doute encore aujourd’hui si quelqu’un s’avisait de dire, nous n’étions pas de taille à lutter.
Et là-dessus cette envie de pisser. J’ai tenu tant que j’ai pu. Et puis, il y a eu cet arbre au bord de la route, solitaire dans le décor vide. Un arbre qui avait l’air humble et décent. Je me suis mis voluptueusement à pisser contre l’arbre. Derrière moi continuait le pesant défilé des crabes. La sentinelle se tordait. Ses copains aussi. Il y avait de quoi. C’était plutôt marrant, ce type boitillant qui essayait de courir en rajustant sa culotte mouillée. Un type qui peut parler de Picasso ou de l’art nègre, réciter des poèmes de Claudel. Intellectuel de mes deux, va. Franchement marrant.
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