Editions de l’Ogre
dimanche 23 octobre 2016 par penvinsPour imprimer
Neuf nouvelles déclinent la même obsession dans des genres très différents mais toujours avec ce style très riche qui, sans doute aucun, permet à l’auteur de ne rien dévoiler de ses angoisses que ce qui en est l’essentiel : Cet enfant laissé au fond comme un jumeau mort au creux de la matrice. La première nouvelle donne le ton :
J’avais échappé à la mort, me sentais allégé, comme si l’on m’avait délesté d’une partie de moi-même qui resterait à jamais là, tout au fond à croupir.
Le héros de Romain Verger abandonné par Donvor ressemble terriblement à un
et la mer rabat inlassablement tes efforts, te repousse, ...
il avance dans le noir sur le chemin qui s’invente et ne mène nulle part, il se dit que c’est à lui désormais de creuser là-dedans
Destinée humaine !
Mais au-delà de la destinée commune il y a dans ces nouvelles la présence insistante de l’enfant disparu que souligne la nouvelle Reborn, cette sœur a-t-elle jamais existé, n’y a-t-il pas eu inversion de bébés ? Comment se fait-il qu’il doute de son existence au point de se dire :
Peut-être est-ce pourquoi tu éprouves le besoin d’aimer toutes ces filles, pour te sentir vivant dans le plaisir que tu leur donnes...
On retrouvera ce besoin d’aimer plusieurs filles dans la nouvelle L’année sabbatique. Tandis qu’un oiseau gît au fond d’une pissotière, que des oiseaux ne cessent de mourir près de lui, le héros cherche sa renaissance sous le regard de Paul, l’autre, celui dont Manon se souvient dans ses bras. Outre Manon il y a Vera, Saeko, Jeanne et Emma. Le sang coule entre les cuisses des femmes et le héros se demande à laquelle il va confier la tâche de le porter. Revenir sans cesse sur la gestation, tenter par les mots de rejouer ce qui s’est mal passé ? Raviver c’est faire revivre. Et Romain Verger en écrivain fait revivre par les mots.
Tu as repris le pouvoir sur la langue et tu contrôles maintenant tout ce que tu entends ou qui sort de ta bouche. Tout cela te procure un immense plaisir, l’incommensurable extase de la libido sciendi.
Le désir de savoir, de connaître le secret de l’autre, dans la nouvelle Ploumanac’h il s’agit d’un homme vu s’aventurer au plus bas de la basse mer dont le narrateur se demande s’il n’est pas mort ; il s’agit aussi du fils du narrateur revu à l’occasion de l’exploration des rochers supposés être le lieu secret de Ploumanac’h. La scène donne toute la dimension de cet omniprésent fantasme :
D’un bras trop court, je me suis aventuré dans la brèche, faufilant ma main entre les parois suintantes de la pierre, palpant le noir humide. J’avais la chair de poule en repensant à Marie, à cette petite salle d’accouchement…
L’espoir vient avec Anton, le dernier survivant, l’élu :
Va-t’en Anton. Quitte ta mère et ton berceau […] Cours le monde, ravive la cendre des plaines,…
L’espoir nait de la catastrophe, quand le père est mort et que la mère se meurt, Anton se trouve débarrassé de l’obsession de renaître, il est enfin autre à l’origine d’un autre monde (la nouvelle semble faire écho au dernier homme celui qui reste seul sur l’île que tous ont fuie).
On lira avec amusement la dernière nouvelle où l’auteur raconte sa mise à mort - celle de son texte ?- lors d’une séance de lecture dans une librairie. Nous laissons au lecteur le plaisir de lire cette fable et nous saluons au passage les libraires qui font le sale boulot, après tout il faut bien que, d’une façon ou d’une autre, le lecteur parvienne jusqu’au texte même si certains tombent dans un fétichisme qui n’a rien à voir avec la littérature !
La langue de Romain Verger est forte, elle devrait – en principe - dissuader ses lecteurs de venir en librairie pour autre chose que pour elle !
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