Editions Grasset, 2016
mercredi 4 janvier 2017 par Alice GrangerPour imprimer
Ce volumineux essai du diplomate et homme politique Dominique de Villepin est beaucoup plus que « Le petit manuel de la paix » qu’il nous invite à lire en conclusion ! Impossible de ne pas être admiratif devant ce livre si brillant, si intelligent, si exhaustif dans son analyse des effets profondément déstabilisants de la mondialisation et de la situation particulière de chacun des pays en fonction de son histoire, de ses humiliations, des déséquilibres régionaux provoqués par les guerres, les réorganisations d’après-guerre sans anticiper les problèmes, la guerre froide et la chute du mur de Berlin, la décolonisation, l’importance dans les conflits de la perte d’un passé glorieux plus ou moins lointain mais dont l’énergie est toujours prête à se réveiller dans la faille d’un Etat fragilisé ou détruit, etc. Dominique de Villepin a, d’ailleurs, mis l’humiliation, les blessures, les ressentiments et la non-reconnaissance au cœur de la genèse des conflits et des guerres, et il nous fait entendre que le travail de la paix en réhabilitant la politique et en ayant une vision à long terme ne peut réellement s’engager qu’à partir d’un abandon de la logique de l’humiliation. Bien sûr, cette note de lecture sera forcément un peu longue, pour vraiment suivre le fil qui nous fait entrer dans le labyrinthe où tuer le Minotaure et en sortir libre par ce fil, comme dans un rituel de passage de l’adolescence à l’âge adulte, ou le passage de témoin entre la figure paternelle de Jacques Chirac auquel ce livre est dédié et la figure filiale de Dominique de Villepin qui, sortant pourtant son livre au moment des primaires de la droite, ne se présente pas alors qu’il se situe à l’évidence à un niveau très supérieur à celui des candidats. Nous nous disons que celui qui a toujours été nommé et n’a jamais été élu voulait d’abord accomplir symboliquement ce rituel de passage, par ce livre, et à sa conclusion, il a acquis la stature symbolique d’un homme d’Etat reconnu ! Sans jamais perdre de vue la complexité humaine, ni celle des situations à l’intérieur et à l’extérieur des pays qui fait que ce n’est jamais si simple ni si rapide de faire bouger les choses !
Par ce livre très bien écrit, l’auteur sème en nous lecteurs les graines de la paix juste par cet acte généreux et si rare de la part d’un homme politique de partage de son savoir pointu de diplomate acquis d’une part par une formation spécifique au Centre d’analyse et de prévision où il s’est préparé à la réflexion stratégique, à la Direction des Affaires africaines et malgaches où il a été initié au pluralisme, à la complexité de ce continent, et d’autre part par une riche expérience. Il nous invite à avoir cette exceptionnelle, complexe, changeante vision des problèmes du monde, à nous entraîner à les analyser dans son sillage, et même à le suivre dans ses propositions pour construire la paix que nous n’avons entendues dans la bouche d’aucun autre politique s’adressant à nous. Il me semble que ce geste de transmission en puissance à chacun de nous lecteur habitant de la planète, en pariant que nous serons à la hauteur pour le comprendre, d’un savoir élitiste immense concernant la terre où nous vivons ensemble, acquis par une formation d’excellence ouvrant ensuite à des carrières privilégiées car tout en amont prépare à de beaux rôles, vient résonner avec l’impuissance du garçon de 13 ans, à Caracas, allant donner une fois par semaine des leçons d’alphabétisation à des garçons de son âge en maison de redressement, qui étaient humiliés et battus. Ce garçon qu’il était se rendit compte qu’il était impossible pour lui d’effacer cette injustice criante, violente, et que lui était du côté très privilégié des choses, il étudiait dans un des établissements les plus chics de la ville, il portait comme tous ses camarades un uniforme impeccable. Ce livre dans lequel il partage toute son expérience, son intelligence et ses idées très constructives pour la paix mondiale, et qui met particulièrement en relief le fait que sa formation élitiste est comme un don qu’il a ensuite fait fructifier sur le terrain diplomatique et politique, n’est-il pas une réitération des leçons d’alphabétisation d’autrefois, mais cette-fois-ci il peut partager avec nous ses privilèges, en vrai passeur de paix, parce qu’il s’est au cours de tant d’années enrichi des mots et des savoirs qui sont parlants pour tous. Ce partage-là nous alphabétise, nous citoyens du monde qui sommes inquiets des dangers que court notre humanité avec cette mondialisation et qui croyons de moins en moins à nos élites politiques ou autres. Ainsi, nous sommes infiniment plus éduqués, plus formés à la diversité des regards que requiert la complexité du monde et des conflits, et nous sommes capables d’être plus critiques et adultes face aux discours et promesses électorales, la paix peut vraiment être au bout d’un bulletin de vote. Déjà, que ce garçon de 13 ans, né dans la haute société des expatriés, fréquentant les écoles des élites et donc promis aux plus beaux rôles, aille faire de l’alphabétisation est une question. Mais Dominique de Villepin nous raconte son histoire familiale. Un père industriel qui entraîne sa famille de pays en pays, de cultures en cultures, donc dans un monde ouvert et changeant, où les identités sont blessées, où il y a des coups d’Etat. Chaque jour ce père épluche et met en fiches les articles de journaux faisant écho des mouvements et secousses du monde, infatigable de curiosité et comme entraînant la famille dans une sorte de tourbillons de drames, d’instabilités, de changements, tandis que sa mère comme dans un incessant mouvement de bascule ramène ses enfants et son mari à l’abri de sa si douce paix. Nous avons l’impression dans ce récit de Dominique de Villepin que la mère incarne le privilège dont jouit la famille d’expatriés, qui est quand même assuré par le père industriel qui en a les moyens et sans doute la culture, et que le père incarne celui qui transmet à ses enfants et à son épouse la sensation imminente d’une faille, d’un tremblement de terre, voire l’approche du temps où les humiliés de la terre, les humains qui ne partagent pas leurs privilèges, qui sont les proies des injustices, de la pauvreté, du non accès au savoir, à la reconnaissance, viendront demander des comptes. D’un côté cette mère, comme plus tard l’épouse dans une semblable aventure d’expatriation, joue la partition d’une sorte de retour dans un paradis de douce paix, et de l’autre ce père en joue la parturition en orientant les regards vers les failles et les remous du monde, vers une passion des autres, de l’ouverture, vers le désir qui s’échappe de l’installation. Nous imaginons que le garçon de 13 ans, déjà sensibilisé par ce père et peut-être par un pressentiment blotti au plus profond de la famille, anticipe cette demande de comptes en allant alphabétiser les jeunes délinquants de son âge. Mais il ne peut pas faire grand-chose, et son geste reste une sorte d’aumône charitable non dépourvue d’une discrète humiliation car le même âge entre ces garçons et lui ne signifie pas égalité, et le garçon bien né est très sûr que dans son cursus il n’aura jamais comme concurrents pour les beaux rôles réservés à ceux qui sont formés à l’excellence ces pauvres autres humiliés. Mais nous imaginons qu’il reste pour la vie avec cette curieuse sensation d’imminence de la demande de comptes de la part des humiliés. Un peu comme si 1789 revenait et exigeait l’abolition de ce qui était alors les privilèges de la noblesse et du clergé. Comme si la trace de ce partage était encore intacte dans cette famille, et transmise au diplomate et à l’homme politique ? N’écrit-il pas justement que, plus que jamais, s’accumulent les inégalités entre le Nord et le Sud, que l’Occident a multiplié de manière exorbitante ses privilèges empêchant les changements et ajustements, qu’il faut que nous privilégiés lâchions nos héritages du passé sinon nous courons le risque d’être emportés, décapités par le coup de guillotine valant coupure de cordon ombilical, le jour où l’on nous demandera des comptes ! Dominique de Villepin semble depuis l’enfance avoir été familialement sensibilisé à l’existence de plus en plus insistante d’un tiers état mondial, et s’être très tôt positionné, formé et engagé pour répondre par l’abandon des privilèges, par le don, par le partage, dont ce livre donne acte. Cette sorte d’aristocrate, au sens grec bien sûr du mot, où άριστος signifie « excellent » d’où l’aristocratie comme le gouvernement des excellents, des meilleurs, évoque, comme s’identifiant à eux, le duc de Clermont-Tonnerre ou le Vicomte de Noailles, qui en 1789 prirent l’initiative de la réforme. Tandis que, écrit-il, nous l’Occident donnons des leçons au monde, prônons un universalisme de bon aloi, nos actes contredisent nos paroles, notre domination est encore dans le monde financier, politique, commercial, et le verrouille. La seule réponse, celle d’un diplomate aristocrate éclairé du XXIe siècle mondialisé est une meilleure régulation du traitement de ce qui relève des biens communs de l’humanité. Voilà sa vision, non pas d’un côté les privilégiés et de l’autre les humiliés de toutes sortes, mais l’humanité, la communauté internationale, et son environnement planétaire, mise à mal par la pollution, les changements climatiques, et le risque d’anéantissement par une troisième guerre mondiale.
J’insiste donc pour montrer la dimension de partage qu’il y a dans ce livre ! Partage de savoir, partage d’intelligence, de vision à long terme de choses cruciales pour l’avenir de l’humanité, absolument sans crainte de ne plus être celui qui, seul, sait, l’élite, voire l’homme providentiel. Il écrit qu’il ne croit pas à l’homme providentiel, à l’horizon de 2017, mais davantage à la capacité collective de corriger nos excès et de trouver une voix plus modérée et plus durable ! Il se dit disciple d’Héraclite, son « connais-toi toi-même », son « Il faut s’étudier soi-même et tout apprendre par soi-même », et le fait qu’il est impossible de se baigner deux fois dans la même eau de la rivière, qu’on pourrait entendre comme le fait que les eaux amniotiques matricielles dont les privilèges seraient une continuation symbolique ont coulé, sont perdues. Alors, ce qui est aussi particulièrement frappant dans ce récit qu’est aussi ce livre, c’est qu’à aucun moment Dominique de Villepin ne renie une enfance lui ayant transmis la passion des voyages et une infatigable curiosité des autres et de l’histoire, des études puis une carrière diplomatique et politique qui porte l’estampille de l’élitisme. Au contraire, il met en relief la solidité de sa formation, de ce qu’on lui a transmis, il ne tarit pas d’éloges sur la Maison qu’est le quai d’Orsay, sur cette sensation d’être entouré par l’excellence, d’être bien conseillé pour débuter, depuis son père jusqu’à Jacques Chirac ce sont des personnages forts qui n’ont pas manqué de le mener jusqu’au contact de l’essentiel, cette faille des inégalités, des humiliations, des risques de conflits et de guerre mais aussi au plus près de la possibilité d’agir, de bâtir la paix. Donc, voici quelqu’un qui est bien guidé depuis toujours, bien formé, bien orienté, bien engagé dans le bon rôle au bon endroit, bien éclairé, qui ensuite comme dans un passage de relais tendu par des aînés a le privilège de représenter la France auprès des grands de ce monde qu’il peut tutoyer, quelqu’un qui n’est jamais abandonné à l’aveuglement, à l’infantilisme, au consumérisme mondialisé, à l’ignorance, à la tiédeur du lit des privilèges, à l’ambiance club des riches. Au contraire, tout a été fait pour lui comme dans une famille, une école, une Maison, une formation minutieuse et une carrière de l’excellence, peut-être dans cette conscience vive et apaisante d’un Etat-nation fort en quelque sorte incarné autant par l’environnement familial qu’ensuite par l’excellence de la filière de formation. Il a été élevé dans le culte de la patrie et la passion des voyages, de l’histoire, comme depuis toujours destiné à cette vocation d’un passeur de paix. Peut-être y a-t-il même en lui l’étrange savoir d’être l’enfant autant de cet Etat-nation que de ses parents, puisqu’il a grandi avec cette idée d’appartenir à un grand et ancien pays, une réalité transmise familialement. Donc, on pourrait se dire, oui, il fait partie de l’élite, d’un entre soi planétaire des grands, on lui a tout donné pour qu’en plus de son parcours privilégié il ait aussi le privilège de jouer le beau rôle, notamment par ce brillant livre qui nous arrache l’admiration. Parce que c’est sûr qu’il est quasiment impossible de pouvoir jouer ce genre de beau rôle quand on est né du côté des humiliés, des infantilisés. Or, ce livre de partage, qui parie aussi sur nos capacités de lecteurs, on a l’impression qu’il se fait lui-même une sorte d’école de l’excellence ouverte à tous, celle dont Dominique de Villepin a profité, voici qu’il nous l’ouvre, qu’il nous invite à venir nous y former, et sur ces bases aller nous-mêmes faire nos expériences dans la rencontre des autres, auxquels nous nous ouvrons en ne perdant jamais de vue que leur histoire est différente de la nôtre, et que des blessures, des humiliations, des injustices peuvent s’y cacher que nous devons faire attention à ne pas faire revenir comme un retour de refoulé violent par une attitude dominante, arrogante. Cette excellence dont il a profité, ces privilèges, loin de s’en sentir coupable en tant qu’aristocrate de l’Ancien Régime, il a l’idée incroyable de la partager avec nous lecteurs ! Ce livre est si riche, si précis, si patiemment tissé dans ses moindres détails politiques, planétaires, conflictuels, et si tendu vers l’avenir et la paix dans ses propositions et ses idées, qu’on a l’impression que son auteur a eu le désir de nous y accueillir et de tout nous donner afin que chacun de nous puisse avoir la capacité, le savoir, l’intelligence, la passion, d’être acteur de la paix du XXIe siècle mondial. Une vraie formation à la complexité du monde et de chaque autre, un récit qui nous invite à ne pas avoir peur de l’autre mais à en être curieux, un voyage nous emmenant au plus près du nouveau grand jeu global que la mondialisation en bouleversant les rapports de force entre puissances et entre pays a mis en place, une leçon de vie qui nous arrache à la fausse simplification des événements et nous grandit en nous apprenant à ne pas humilier mais aussi en ne nous laissant pas victimiser. Dominique de Villepin conclut son livre en évoquant ce sentiment de gâchis devant une promesse non tenue qui l’étreint depuis tant d’années. Nous lecteurs lui répondons, mais si, voilà, par ce livre de partage vous avez tenu votre promesse. Vous avez partagé avec nous l’école de l’excellence, l’école de l’apprentissage pour la construction de la paix, l’école qui nous offre la liberté de penser, de juger, d’être de vrais acteurs du monde de paix, d’égalité des chances, d’accès à un art de vivre. Nous aussi par ce livre avons l’impression de revenir avec vous dans les écoles qui vous ont formé à l’analyse du monde, nous aussi vous accompagnons silencieusement sur le terrain, dans vos dialogues et rencontres diplomatiques, nous aussi vous écoutons lorsque vous proposez des choses pour que l’Europe se fasse enfin, pour qu’elle puisse renouer avec sa mission dans le monde, pour que les pays arabes fassent aussi une Union un peu comme celle de l’Europe, etc. Pour la paix d’aujourd’hui et de demain, les acteurs doivent être aussi chaque citoyen du monde, à condition qu’ils soient bien formés, tirés du statut de petits ignorants abîmés par le consumérisme qui profite aux plus riches, à condition qu’ils soient capables d’analyser, de juger, de prendre des décisions qui peuvent s’étendre à la manière fractale comme une reproduction du même motif initial. La capacité de jugement, celle que ce livre peut nous faire acquérir, s’il est lu pas à pas avec passion et beaucoup d’enthousiasme et d’imagination, peut changer le visage de la crise, et lui donner son sens grec, κρίση, le jugement ! La quête du déclic pour refonder un ordre mondial qui est au cœur de ce livre, avec la paix comme boussole et comme écartement loin de la logique de l’humiliation, peut vraiment atteindre son but comme aussi celui d’un livre digne de ce nom dans chacun des lecteurs, qui sont en puissance des citoyens éclairés de l’Etat-nation-monde. Ce livre nous invite à penser loin, à penser la diversité, à penser un monde sans cesse changeant, surtout à cesser de nous croire le centre du monde, à sortir de notre cocon matriciel occidental douillet et à ouvrir des yeux naissants sur le dehors planétaire, à abandonner notre arrogance. Nous parions : une lecture, un déclic ! Le silence de ceux qui n’avaient pas vraiment de voix même s’ils sont censés la donner par le vote a été écouté par ce diplomate de la paix. Comme le dit de la nuit Homère dans l’Iliade pour interrompre le combat entre Ajax et Hector, le silence aussi mérite qu’on l’écoute ! Et Dominique de Villepin mérite aussi cette reconnaissance qu’il est un diplomate et passeur de paix qui réhabilite la politique qui en a bien besoin ! On a senti dans ce livre, parfois, comme un sentiment d’impuissance, être aussi doué, avoir une telle passion du monde et une telle vocation, et voir l’état du monde qui ne prend pas encore le chemin de cette paix qu’il désire tant !
D’abord, Dominique de Villepin analyse pour nous la mondialisation des crises et les nouvelles guerres, pour ensuite aborder la construction de la paix, de la culture de la paix à la diplomatie de la paix et aux porteurs de paix.
C’est ça qu’il lui faut, qu’il nous faut admettre : on ne peut rien transformer d’un coup de baguette magique, le monde est ainsi, les autres et les autres pays nous ne pouvons pas les changer comme nous voulons, il y a une altérité contre laquelle nos fanfaronnades se brisent, nous sommes dérangés par le fait que non, il n’y a pas un océan de paix autour de nous ni des pays que nous pouvons dominer et influencer dans le sens de nos intérêts exclusifs, le monde est cassé, le ventre matriciel occidental est déchiré, nous devons ouvrir nos yeux de nouveau-nés sur le dehors, sentir des climats pas toujours tempérés, la mondialisation enclenche notre traumatisante naissance, est une parturition en acte. La France se sent agressée, elle doute de ses forces, elle est lasse, presque défaitiste devant la tragédie, la τραγωδία qui peut la faire se replier sur le souverainisme ou le conservatisme n’arrive pas à se tourner vers la chanson, la τραγούδι ! Le mot grec pour dire intégration, assimilation, ενσωμάτωση, σώμα étant le corps, nous fait entendre que c’est avec notre corps complètement sorti hors de sa matrice, coupé de son abri, non retenu dans un fantasme généralisé d’abri, de ventre, que nous devenons membre à part entière de la communauté humaine mondiale. Un mot qui implique une appropriation de son propre corps, et la sensation d’être libre dehors, avec les autres, pour l’aventure singulière de la vie. Sur cette base, lorsque l’humanité se reproduit, c’est pour que l’aventure humaine singulière continue, meilleur message de cet être humain singulier qu’est en vérité la mère à ses enfants. Or, une sorte de perversion n’inverse-t-elle pas les choses, afin de maintenir la vie humaine dans une matrice fantasmatique infantilisante faisant batterie d’élevage d’humains profitant aux calculs du consumérisme et aux privilégiés de plus en plus riches ? Le renversement pervers soutient que nous vivons pour nous reproduire, et tout ne se passe-t-il pas en vérité ainsi, alors que nous nous persuadons par exemple que le but de la vie d’une femme est d’être mère, qu’alors elle l’est pour la vie comme si ses enfants, avec leur corps justement, ne sortaient jamais d’elle, et qu’elle, avec son propre corps, n’avait pas à aller vivre l’aventure singulière de sa vie ! Ne pourrait-on pas percevoir l’ultime humiliation qui se cache derrière le fait que les femmes touchent le gros bonus d’être faites pour la noble mission d’être mères pour toujours contre le sacrifice de l’aventure d’une vie singulière que, pourtant, elles pourraient avoir le désir de transmettre, comme paradigme, à leurs enfants ? Comprendre cela aurait des conséquences autrement révolutionnaires que celle du féminisme où les femmes visent à être des hommes réussis !
Ayant ce privilège de représenter la France à l’étranger, Dominique de Villepin même jeune diplomate sait que pour nouer des dialogues et des négociations avec ses homologues d’autres pays, ou des chefs d’Etat, la première chose est d’accomplir cet acte de paix qu’est la reconnaissance d’une place, d’un statut, à chaque autre, même si celui-ci est un dictateur. Il sait presque d’instinct que l’humiliation est une bombe à retardement de la violence. Donc, dans chaque rencontre, loin de mettre en avant une sorte de domination occidentale qui en rajouterait à des situations conflictuelles, il essaie d’entendre quelles sont les humiliations du passé, les conflits gelés, qui peuvent revenir dans la situation présente. Sa formation l’a permis d’anticiper, bien sûr, et il connaît la complexité de chaque pays, région, chef d’Etat avant la rencontre, ce qui permet d’éviter les écueils, et de mieux pouvoir faire des propositions dans lesquelles les ressentiments et impasses peuvent le plus raisonnablement trouver audience et la faim de reconnaissance être exaucée, sur un plan d’égalité entre les deux interlocuteurs. Pour chaque cas, chaque pays, région, empire, le diplomate a pris soin de rembobiner le fil de l’histoire jusqu’à son temps le plus ancien, loin d’attacher l’autre sur le lit de Procuste pour être allongé ou raccourci aux normes occidentales. Ainsi, il entend les raisons de cette guerre qui se mondialise. Lui aussi se sent contemporain de guerres qui menacent en plusieurs régions de la planète, comme autrefois son père lui faisait entendre les tempêtes du monde, de la décolonisation tachée de sang en Algérie aux coups d’Etat en Amérique latine, à la guerre du Vietnam par les Américains à l’indépendance accordée par la France à Djibouti. Lui aussi se sent concerné par les horreurs de la guerre, comme ses ancêtres officiers dans l’armée blessés ou tombés sur les champs de bataille dont la mémoire était célébrée en famille, comme ces figures paternelles que sont pour lui le général de Gaulle ou Jacques Chirac qui n’a jamais oublié la guerre d’Algérie. Dominique de Villepin se sent contemporain de ces guerres différentes et de plus en plus asymétriques, il les regarde et les analyse soigneusement pour faire ressortir les responsabilités occidentales ou historiques, les choix du passé faits sans aucune vue à long terme et sans rien anticiper des déséquilibres et bombes à retardement provoqués par le fait de ne considérer que nos propres intérêts. Celles du Moyen-Orient, celles d’Afrique, celles qui menacent d’exploser entre le bloc des puissances c’est-à-dire entre la Chine et les Etats-Unis ou entre la Russie et les Etats-Unis, celle du terrorisme qui cherche à provoquer la guerre civile jusque chez nous en affaiblissant notre Etat si ancien et auquel nous tenons tant, un terrorisme qui a une faculté d’adaptation inédite fondée sur les failles des Etats et est capable d’exploiter le spectaculaire médiatique comme personne pour se faire une image mondiale efficace pour le recrutement parmi les laissés-pour-compte de nos pays et de la terre. Comme Jacques Chirac, imprégné de ces horreurs, a toujours su qu’il fallait œuvrer pour la paix, lui aussi, à l’ONU en 2003, a su brillamment par son discours applaudi être main dans la main avec le Président français pour dire non à la guerre en Irak. C’est d’ailleurs avec une admiration un peu filiale que Dominique de Villepin fait un beau portrait de Jacques Chirac, parlant de son désir de défendre les plus faibles, le montrant sans calcul, combattant pour le respect des cultures, amoureux de la différence, très en avance pour sentir que le monde ne change pas seulement au niveau étatique, financier, économique, technologique mais surtout parce qu’il y a cette aspiration des peuples à résister et à faire entendre un jugement. Elle est extraordinaire cette reconnaissance de Dominique de Villepin à l’égard de personnages forts, qui s’offrent ainsi à l’identification et au passage de relais, qui permettent un enrichissement de sa propre image et une maturation, depuis l’autre jusqu’à soi-même. C’est Chirac qui met la puce à l’oreille du jeune Dominique de Villepin sur la nécessité de réinventer la diplomatie, en augmentant le réseau diplomatique afin que les conflits se résolvent par le dialogue entre chacune des parties sans exclure personne de la table des négociations et non pas par la guerre.
Puisque le Moyen-Orient est aujourd’hui la zone de tous les dangers en matière de guerre, que le terrorisme nous vient de là pour semer la mort, la peur et la guerre civile chez nous, c’est avec une particulière attention que Dominique de Villepin écoute la blessure du monde arabe. Le talentueux diplomate du XXIe siècle pleure le mensonge des Etats-Unis sur les armes chimiques, qui a déclenché la guerre en Irak en 2003. Depuis 1979, il n’y a là qu’un seul champ de bataille, une immense guerre civile. Un fossé immense les sépare du monde occidental dominateur, le décalage est abyssal, nous devrions entendre leur incompréhension et leur résistance. Ce qu’il nous fait entendre, c’est surtout cette humiliation du monde arabe, encore vive, après le démantèlement de l’Empire ottoman, et ensuite le partage du Proche-orient en 1916 entre la France et la Grande-Bretagne, ainsi que l’abolition du califat par Atatürk en 1924. Mais il suit le fil de l’humiliation jusqu’à un passé bien plus lointain en notant que le Moyen-Orient se déchire par une vaste insurrection sunnite pour laquelle l’Occident est le principal ennemi parce que la question arabe sunnite hante les esprits depuis que ce fut une population auréolée de la gloire de l’islam dans les temps de l’âge d’or du califat. La chute des Empires arabe a laissé, écrit-il, cette région sans équilibre, ces populations ont été humiliées du fait de ne plus jamais être au cœur du jeu politique islamique, passant toujours d’influence en influence, avec les Turcs, les Perses, les Ottomans. La blessure, la non-reconnaissance, tout cela est resté en embuscade, et la guerre en Irak déclenchée sur un mensonge et sans l’aval de l’ONU a libéré ces énergies en sommeil. Dans la confusion entre Al-Qaïda et Saddam Hussein, on a détruit un Etat sans penser à lui substituer autre chose. Or, c’est toujours un Etat qui met fin ou empêche la guerre civile, comme nous le rappelle si bien Dominique de Villepin, qui ne croit pas au mythe du bon sauvage. L’Etat est une sorte de violence légitime qui met fin aux violences de chacun y compris lorsque c’est un retour violent du refoulé d’une faim de reconnaissance gelée par des siècles de domination, et en échange d’un renoncement des parties différentes à exercer cette violence l’Etat offre à cette diversité la protection, un territoire, des droits, des institutions, une infrastructure, des biens communs, des valeurs partagées, une culture variée. La guerre en Irak a détruit, tout en étant indifférente à la destruction de cet Etat, auquel nous Français sommes attachés depuis des siècles comme aucun autre peuple ! Comme l’écrit Dominique de Villepin, le déséquilibre a été décidé sans voir loin les conséquences géopolitiques. L’Iran en a profité pour établir plus ou moins un protectorat sur l’Irak. Derrière, il y a la rivalité entre Chiites et Sunnites, rivalité d’hégémonie entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. La rancœur tapie au cœur des populations traumatisées par les horreurs de la guerre sera le meilleur terreau pour l’Etat islamique qui va pouvoir compter sur leur appui pour leur objectif, qui est de conquérir un territoire, de fonder un Etat. Voilà comme la logique est implacable ! Cet Etat détruit, alors que c’est le seul garant contre la guerre civile comme nos vieux pays le savent depuis si longtemps sans reconnaître pourtant ailleurs ce droit à l’apaisement vraiment à la base du travail de la paix, il revient comme un retour du refoulé le plus brutal, le plus sauvage, le plus violent parce qu’il fait aussi se déchaîner cette guerre civile que l’Etat justement apaise, par l’Etat que les djihadistes veulent bâtir ! La reconnaissance d’un droit à l’Etat revient de manière sauvage par le terrorisme de l’Etat islamique, et semble mettre en acte une sorte de loi du talion : puisque l’Occident a été indifférent à la destruction de l’Etat au Moyen-Orient autour de cette guerre en Irak en laissant les violences revenir, alors le terrorisme vient les faire revenir chez nous aussi, partout en Occident mais aussi dans le monde puisque l’islam est dans tous les continents. Au cœur de la crise régionale, explique Dominique de Villepin, il y a le fait que la vague islamique est déjà là au début du XXe siècle, et qu’elle va se développer surtout à partir de 1979, par plusieurs mouvements concurrents, les Frères musulmans anti-occidentaux mais modernisateurs, le mouvement djihadiste terroriste qui éveille la conscience de la « Oumma » et dont Ben Laden fait partie, et les Salafistes plus traditionnels qui cherchent juste à avoir de l’influence et qui ont le soutien de l’Arabie Saoudite. Au cours de la Première Guerre mondiale, lorsque la France et la Grande Bretagne en traçant dans la région des frontières reprenant les anciennes démarcations administratives ottomanes, il n’y a eu absolument aucune écoute des humiliations et aucune longueur de vue sur le retour du ressentiment suscité par la période de la domination ottomane ! D’une part, nous avons par notre absence de l’écoute de l’autre dans son histoire et sa faim de reconnaissance ravivée dans la région des humiliations du passé, mais en plus nous avons totalement raté l’occasion historique d’une pensée et d’un projet de construction dans la région d’une grande nation arabe, pouvant réconcilier des pays différents parce que chacun y aurait retrouvé sa place singulière ! Au lieu de cela, nous avons par exemple laissé la guerre froide exercer sa partition dans cette région, avec l’Egypte de Nasser et l’Irak de Saddam Hussein adossés à l’Union soviétique et le mouvement monarchiste piétiste wahhabite soutenu par les Etats-Unis et l’Occident. Dominique de Villepin analyse ainsi la situation du Yémen, de la Libye, de la Syrie où la question sunnite est importante mais où l’Etat résiste parce qu’il est plus ancien et que Al-Assad a choisi une répression massive impitoyable pour le sauvegarder, avec le soutien russe, les chars turcs, et le silence assourdissant de l’Occident. Celui-ci est resté indifférent à l’urgence de négociations politiques, avec tout le monde autour de la table, et sans jamais perdre de vue que sauvegarder l’Etat est indispensable. Mais l’Occident avait déjà un autre ennemi, Daech, et s’est donc rendu responsable d’une négligence si lourde de conséquences, car la région est sous implosion et, comme l’écrit Dominique de Villepin, une menace mondiale parce que l’islam terroriste est présent dans de nombreux pays de la planète, parfaitement organisé dans sa guerre asymétrique pour exploiter justement la faiblesse des Etats et le ressentiment des populations. L’Occident n’a pas vraiment pris conscience d’une part de l’objectif de l’Etat islamique concernant la fondation d’un Etat sur un territoire, et d’autre part qu’il sait parfaitement capter la résistance à la modernité tapie dans chaque personne humiliée pour une raison ou une autre. L’Occident, en vérité, est aveugle au contenu politique de l’islamisme, et donc vraiment politiquement immature et irresponsable. Dans les différents parcours des terroristes recrutés, il y a toujours l’humiliation, le manque de reconnaissance et de place, des ruptures professionnelles, familiales, sociales, et une soif de revanche exploitée par l’Etat islamique, et permettant à Daech de s’étendre à l’infini, par exemple auprès de jeunes à la dérive, en quête de toute-puissance et formés aux jeux vidéos et aux films d’action. Là aussi, c’est l’autre aspect, côté occidental : la faillite de l’Etat-nation à offrir à ces jeunes les conditions d’une instruction, d’une éducation aussi bien au savoir, à la culture, qu’à la capacité d’exercer un choix et un jugement en toute liberté mais en connaissance de cause. Daech exploite, pour son recrutement, le fait que l’Etat-nation ne respecte pas sa mission, mais au contraire laisse les inégalités se creuser, les espaces de non-droit exister, la guerre civile larvée revenir. Des jeunes en mal de reconnaissance et de visibilité trouvent dans le terrorisme une issue spectaculaire. La mondialisation médiatique, avec son ouverture aux quatre vents sans vraiment de clefs pour que les habitants de la planète aient les capacités de juger, comme s’ils étaient encore en la matière de petits ignorants sous l’influence de simplifications et accrochés à leurs conforts qu’ils tremblent de perdre, sert à l’Etat islamique pour son recrutement. L’hégémonie occidentale est attaquée par les changements des rapports de forces, par la fin de sa suprématie économique, par le retour de la rivalité des puissances entre la Chine et la Russie, entre la Chine et les Etats-Unis, par la menace d’une sorte de retour de la guerre froide entre la Russie et les Etats-Unis, par le chômage endémique. L’Islam terroriste peut donc jouer sur le fait que l’Occident aussi a ses humiliés, qui ont perdu, comme les Sunnites, leur âge d’or, beaucoup ont l’humiliation coloniale tapie encore en eux dans leurs banlieues zones de non-Etat. La mondialisation dévastatrice montre les zones d’échec en France, les divisions de l’Europe, suscite les replis sur soi . Le terrorisme vient à la place d’une parole politique impuissante ici mais aussi absente là-bas ! Le terrorisme met avec violence en pleine lumière le manque total de réflexion à long terme de l’Occident, l’absence de stratégie politique d’avenir, et nous paierons tous l’absence de travail diplomatique en vue de réconcilier tous ces Etats fragiles en envisageant une grande nation arabe, une confédération arabe en créant des instruments de rapprochement et de coordination, une sorte d’Association des Etats faibles dans un ensemble plus large, sans jamais imposer de transfert de souveraineté, comme à l’image de l’Europe. Pendant la période transition, il pourrait y avoir la tutelle des Nations unies. L’Etat islamique, écrit Dominique de Villepin, revient comme une maladie politique !
La mondialisation a décentré le monde, les États-nations cèdent le pas à des empires, comme la Chine qui fait retour après deux siècles, celui des États-Unis, celui d’une Europe, certes, encore fragile, celui de la Russie aux pieds d’argile. Chaque habitant de la planète en est déstabilisé, comme si se rejouait une traumatisante naissance, avec la perte d’un confort d’avant. C’est pour cela que Dominique de Villepin insiste tellement sur la réhabilitation de la politique. Car c’est à la politique qu’il revient de traiter les conflits afin que la qualité de vie de chacun soit assurée. Aujourd’hui, la politique a pour mission d’assurer cette qualité de vie dans un environnement planétaire nouveau, avec de nouvelles donnes, et comme si nous rejouions tous un âge naissant. Et, ajoute-t-il, nous ne devons jamais oublier que le plus puissant moteur de la politique est la soif de reconnaissance. Celle de pays entiers, d’empires tel celui de la Chine après l’humiliation de deux siècles d’effacement sur le plan mondial, mais aussi celle de chaque habitant. La politique classique n’est plus efficace, au choc de la brutalité du monde il se produit une sorte de décivilisation, une décomposition de la société civile car les inégalités s’installent entre les capitales florissantes et les zones rurales et les petites villes qui sont laissées pour compte, des Etats ont failli, en Amérique latine c’est la fin des régimes progressistes. Un événement comme la chute du mur de Berlin a par exemple avec la fin de la guerre froide eu des conséquences sur l’Egypte, qui a perdu l’appui soviétique. Dominique de Villepin analyse le cas de l’Égypte, un État qui a ses racines profondes dans l’histoire, dont la capitale hypertrophique du Caire a une bureaucratie très ancienne, avec des strates qui remontent aux pharaons, aux vizirs, et ainsi de suite. Nasser avait fondé en 1952 un socialisme d’Etat avec le soutien de l’Union soviétique. Sadate a mis fin à cette ère pour une dépendance militaire aux Etats-Unis, et un partenariat commercial avec l’Arabie Saoudite. Mais cet Etat corrompu perd l’attachement de la classe moyenne urbaine et de la paysannerie après l’abolition de la réforme agraire de Nasser au profit de grands propriétaires. Ce qui a fait que des zones périphériques ont été hors contrôle de l’État (toujours cette question de l’État qui oublie une partie de ses habitants !) et sont passées sous contrôle de tribus. La mondialisation, par exemple depuis la chute du mur de Berlin qui a changé les rapports de force, les soutiens, a avivé les inégalités et transformé les équilibres territoriaux. En Egypte, le déséquilibre auquel l’Etat n’a pas fait face est énorme entre le Caire qui concentre les élites, la nouvelle génération très méprisante formée aux affaires et à la finance , et le reste du pays plus traditionnel. Une rupture d’équilibre qui, comme toujours, fait revenir une organisation ancienne par exemple tribale et des conflits oubliés. C’est logique, lorsque l’Etat est faible, les structures traditionnelles sont fortes. Mais personne n’a eu une vision longue des conséquences sur les ruptures d’équilibre de la fin de la guerre froide et du démantèlement de l’Union soviétique ! Personne n’a anticipé les ressentiments, les humiliations des laissés-pour-compte ! Idem pour la Libye, l’intervention de la France et de la Grande-Bretagne ayant fait sauté le verrou géopolitique. Personne, avec la chute de Kadhafi, n’a tenu compte de l’importance des tribus dans ce pays, cruciales pour l’équilibre politique. On est intervenu sans aucune réflexion sur le rôle stabilisateur d’un Etat, on l’a détruit sans jamais avoir conscience qu’il était ce qui mettait fin à la guerre civile, comme partout, comme chez nous il y a déjà longtemps. L’Occident intervient dans les zones de conflits sans garder à l’esprit qu’il faut sauvegarder un Etat si nous voulons réellement travailler à la paix. Sinon, c’est le retour de la guerre civile, l’état avant l’Etat. En Afghanistan, même erreur, même indifférence, là où il y avait déjà les difficultés des Patchounes dans un ensemble d’ethnies diverses, l’invasion soviétique de 1979 a détruit l’ordre traditionnel entre ethnies et tribus, puis l’intervention militaire occidentale a permis la revanche des ethnies minoritaires, d’où le début d’une politique d’opposition avec la disqualification politique des Talibans. Mais jamais une paix ne peut exclure une partie, c’est comme cela que se constituent les bombes à retardement de l’humiliation. En Irak, après l’intervention militaire américaine, les Occidentaux n’ont jamais pris en compte, par ignorance et indifférence, que c’étaient les tribus qui assuraient la régulation sociale et l’équilibre politique. Pour ce qui concerne l’Afrique, Dominique de Villepin nous rappelle qu’il y a un djihadisme africain ancien, datant du XVIIe siècle, qui fut glorieux et aussi important que le colonialisme. Il souhaiterait que nos politiques en tiennent compte dans la région de la bande sahélienne où ce souffle religieux rassemble encore les ressentiments, les frustrations, la pauvreté abandonnée à elle-même. Dominique de Villepin, dans son analyse de la mondialisation de la guerre en suivant le fil de l’humiliation montre à quel point l’interventionnisme occidental en Irak, Afghanistan, Libye, a fait du djihadisme notre créature, en provoquant par notre absence de vision et d’action à long terme un immense ressentiment parmi la population. C’est ainsi que le terrorisme a pu faire levier sur les dégâts que nous avons provoqués. La destruction ou l’affaiblissement des États a fait des régions sans loi, a détruit des services publics, et cela a été facile pour les terroristes de s’y substituer pour l’entraide sociale, l’ouverture d’écoles, l’argent distribué, s’installant partout dans ces failles, se substituant à l’État ! Nous leur avons permis d’étendre le domaine de la guerre, écrit Dominique de Villepin ! En Europe centrale aussi se pose le même problème, où des populations inquiètes, seules face à la Russie et à la Chine, peuvent basculer sous la « protection » de l’Etat islamique ! Mais c’est avec l’Arabie Saoudite que la crise régionale peut le plus dangereusement s’enflammer ! La chute du prix du pétrole a atteint son prestige. Toujours la question de l’humiliation ! De plus, la dynastie des Saoud est vieillissante, et son alliance avec l’Occident est très mal vue, suscitant dans la population un sentiment de trahison. La chute des Saoud serait une catastrophe immense, toujours cette question de l’affaiblissement dangereux d’un Etat, il faut tout faire pour l’éviter, ne pas tomber dans le simplisme de la dénonciation du régime, mais avoir une vision à long terme pour toute la région, et œuvrer pour la création d’une grande nation arabe.
Dominique de Villepin nous éclaire la nouvelle scène mondiale, qui se partage en trois empires, ce qui doit nous inciter à nous impliquer politiquement et diplomatiquement de manière différente, nous aussi devons transformer notre place et notre influence dans cette nouvelle donne, en premier lieu pour résister aux nouveaux risques de conflits. Ce retour des empires avec la mondialisation rend indispensable l’émergence d’empires bienveillants, et l’Europe pourrait ainsi retrouver sa place, son influence ! Celui des Etats-Unis commence avec Obama à s’effacer en donnant le sentiment d’une curieuse faiblesse, à dessiner un changement du rapport du monde à l’Amérique, à commencer par Poutine qui prouve en Crimée et en Ukraine qu’il ne la craint plus, et par la Chine qui se met en mouvement pour ériger en mer de Chine « la grande muraille de sable ». Nous assistons à des mouvements de plaques tectoniques ! La Chine, tournée vers l’intérieur, qui a une relation de nécessité avec le monde parce qu’elle n’est pas auto-suffisante, surveille la présence américaine proche depuis la Seconde Guerre mondiale. Celui de l’Europe est fragilisé, décentralisé, un empire de consensus dont l’unité se fait très lentement mais sûrement avec la mobilité des travailleurs, l’interdépendance culturelle, un espace universitaire commun. L’Empire russe fait face à ces trois empires, il a des airs de fantôme du passé, il inquiète l’Occident. Autour du personnage inquiétant qu’est Poutine, Dominique de Villepin retrouve pour nous le fil de l’humiliation, qui permet seul d’accorder audience, comme toujours, à la soif de reconnaissance, afin que la construction de la paix soit possible et que nous ne retombions pas dans une nouvelle guerre froide. Saisissant le fil de cette humiliation lors de rencontres avec Poutine, par exemple à l’occasion de la guerre en Irak, il s’aperçoit tout de suite qu’avec lui la relation doit prendre un ton amical autour de passion commune pour l’histoire, d’égal à égal, en écho à l’amitié franco-russe ancienne, et même en tenant compte de la défaite de Napoléon lors de la campagne de Russie, comme prendre acte que l’arrogance française face à lui doit rendre les armes, et alors le dialogue est possible ! Ainsi, Dominique de Villepin, en le voyant pour son peuple comme une sorte de nouveau général de Gaulle, réalise que la politique de Poutine est la seule possible pour une nation fière et humiliée par son effondrement, puis par les sanctions occidentales et par la paupérisation de sa population. Poutine joue le redressement moral et stratégique de son pays, et le prouve magistralement en Syrie. Poutine voue tous ses efforts à incarner l’Etat, toujours l’Etat ! Et oui, sinon gare à la guerre civile ! L’urgence politique perpétuelle s’élève à partir de l’effondrement soviétique que Poutine a connu. L’Occident doit entendre cette humiliation, et la légitimité qu’il y a à vouloir affirmer l’Etat ! Dominique de Villepin donne un exemple très significatif de l’ironie mordante de Poutine, qui met en relief l’intelligence vive de ce personnage, par la réponse qu’il fait à la question de la différence pour lui entre pessimisme et optimisme ! Il ne faut pas oublier qu’entre eux la relation est amicale, et que, de pote à pote, on peut s’envoyer des vannes à la figure ! Poutine dit : le pessimiste renifle son verre de cognac 50 ans d’âge et dit avec dégoût, « ça sent les punaises ici ! » D’abord, il choisit un très bon cognac français, pas de la vodka, il a un Français très distingué en face de lui ! Il a l’air de lui dire, à ce pote français distingué qui pourrait lui offrir un si bon cognac, comme pour lui faire sentir l’art de vivre sophistiqué à la française, vous êtes bien installés dans vos conforts et votre certitude d’une culture supérieure, vous, et vous ne vous apercevez pas que la mondialisation est en train de vous infliger l’humiliation, et de ne pas s’en apercevoir, c’est ça le pessimisme, le déclin d’un si beau pays ! Cela sent les punaises, c’est-à-dire ça sent l’humiliation, le déclin, l’effacement de la scène du monde si on ne se ressaisit pas ! Puis Poutine continue : l’optimiste rentre chez lui, s’allonge sur son matelas froid et couvert de vermines et s’écrit joyeusement, « quelle excellente odeur de cognac ! » L’optimiste, c’est le Russe qui, lui, a pleine conscience de l’humiliation, des vermines, de l’inconfort, et qui tend tous ses efforts au redressement moral et stratégique de son pays aux yeux du monde, et ainsi il parie de pouvoir dans l’avenir assurer à sa population un art de vivre comparable à celui du pays ami la France, d’où l’odeur de cognac ! C’est l’histoire de la bouteille à moitié vide et du pessimisme français face à la bouteille à moitié pleine des Russes en train de réagir dans la nouvelle donne de la mondialisation, où notamment ce n’est plus exactement la même chose avec les Etats-Unis qu’au temps de la guerre froide, par exemple Poutine peut d’autant mieux reconstruire sa puissance et la faire reconnaître au monde en Syrie que les Etats-Unis et l’Occident se sont désinvestis, les Etats-Unis se réorientant vers le face-à-face avec la Chine et l’Europe engagée dans la lutte contre le nouvel ennemi, Daech. Poutine est un stratège qui sait immédiatement exploiter les glissements des rapports de force. D’ailleurs, Poutine peut aussi être goguenard en voyant la France et l’Europe encore reliées à l’Amérique par le cordon ombilical de l’OTAN alors qu’elles devraient songer à leur indépendance et à reconstruire leurs alliances ! Poutine tient un discours patriotique conservateur alliant la fierté soviétique, la mémoire de l’époque tsariste et la ferveur orthodoxe afin de mobiliser la société, dans le but de redresser l’Etat, et il vise aussi à construire son influence. Il s’agit d’éviter, bien sûr, que ses voisins proches et ceux qui ont été amis d’aller ou de rester dans l’orbite des Etats-Unis. Alors, par exemple Poutine réorganise le secteur gazier et du pétrole, pour en faire un instrument de pouvoir en échange de sa liberté d’action. Le gaz naturel a été le cordon ombilical entre l’Ukraine et la Russie. A propos de l’Ukraine, où l’Europe a humilié Poutine en s’alignant sur les Etats-Unis, au lieu d’avoir une vraie vision de la complexité de la situation de l’Ukraine, Dominique de Villepin évoque une indépendance incomplète, son incapacité à construire un Etat (toujours) crédible, sur fond de liens culturels et historiques étroits avec la Russie. Il nous montre l’Ukraine comme une terre blessée des rivalités entre puissances, qui a été ballottée entre les Romanov, les Habsbourg, l’Empire ottoman du XVIIIe siècle au XIXe siècle, puis prise dans l’étau nazi et soviétique. La politique occidentale, par l’accord de libre-échange et par les sanctions a humilié la Russie. Alors qu’il est urgent de songer au contraire à construire un ensemble cohérent et viable autour de la Russie, dans le cadre d’une communauté historique et d’une solidarité diplomatique. D’abord, il s’agit de reconnaître la légitimité de la Russie dans son désir de retrouver son rang.
Cette construction d’un ensemble cohérent autour de la Russie, pour l’Europe, peut s’envisager tandis que la compétition se prépare entre la Chine et les Etats-Unis. La Chine veut sécuriser ses approvisionnements, venus de l’extérieur, elle vise donc des territoires avec lesquels elle construit des partenariats alimentaires comme en Afrique. Sa nouvelle stratégie est celle de « la nouvelle route de la soie », car elle doit assurer des lignes de transports viables. C’est un Etat (toujours lui) qui se centre sur la consommation de sa population, et y consacre toute sa stratégie extérieure. Mais, depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis freinent l’hégémonie chinoise en mer de Chine. L’opposition entre ces deux empires se joue aussi en Amérique du Sud, où pendant la guerre froide les Etats-Unis ont empêché à tout prix que le bloc soviétique y pénètre, en n’hésitant pas à soutenir des régimes dictatoriaux. Avec Obama, l’Amérique latine prend une importance économique et politique croissante car c’est un énorme potentiel de marché de libre-échange. Mais c’est un bras de fer avec la Chine qui débute, pour le contrôle politique de cette région riche en réserves minérales. Or, c’est une région où les divisions de l’histoire, les héritages de l’ère coloniale, les violences refoulées peuvent très bien revenir si l’affrontement des deux puissances provoque des déséquilibres en affaiblissant les États. Cependant, souligne Dominique de Villepin, la Chine n’a pas le désir de contester l’hégémonie des Etats-Unis, elle veut juste contrôler les leviers de l’hégémonie mondiale, et par exemple créer une alternative, tout en bâtissant également avec les Etats-Unis « l’harmonie sous le ciel ». Dominique de Villepin nous fait comprendre à quel point cette restructuration du monde en trois empires plus la Russie nous fait tourner la page de la colonisation et de la décolonisation où tous les peuples s’étaient déguisés en Etats d’Europe occidentale ! En fait, c’est un nouveau problème qui s’impose, une autre domination ! La mondialisation dominante, écrit-il, cherche à construire une sorte de compatibilité planétaire sur le moteur puissant qu’est l’individualisme consumérique, sur le fait que les populations atteignent un niveau de prospérité égal en ce qui concerne les besoins de base. Or, c’est là que les inégalités augmentent ! Car le besoin de reconnaissance, toujours lui, des pays, des empires, de chacun des habitants de la planète fait apparaître que le désir vise autre chose que d’être un petit consommateur heureux. L’humiliation est certes celle de la Russie, des peuples arabes, de la Chine qui a été absente deux siècles, de l’Afrique laissée à mal par la colonisation et une décolonisation sans aucun travail de construction de la paix, de l’Amérique latine et aussi l’humiliation de l’Europe qui perd son influence et voit la guerre civile suscitée par le terrorisme, mais ne serait-elle pas tapie aussi au cœur de l’être humain réduit au consommateur, au petit auquel il faut fournir de quoi se nourrir ce qui permet aux riches de monopoliser encore plus de richesses ?
Le capitalisme, écrit Dominique de Villepin, est en profonde mutation sous l’impact de la révolution technologique et digitale. Comme chaque nouvelle révolution s’accompagne de la découverte d’une nouvelle ressource, qui provoque des conséquences géopolitiques, la nouvelle ressource est immatérielle, c’est l’information, rendant possible l’accumulation de données personnelles qui, en dehors de tout contrôle place chaque habitant de la planète comme cible des calculs de la publicité, du marketing, accroissant les inégalités mondiales par l’enrichissement fou de quelques géants de l’Internet. C’est là que le fameux consommateur est piégé, colonisé, mis sous influence et surveillance ! Cette révolution technologique et digitale se branche directement sur ce fameux consommateur, en connaissant tout de lui, en pouvant anticiper ses besoins, ses désirs, il est totalement circonvenu. Le problème c’est que ces géants de l’Internet sont tous Américains, et servent les intérêts américains ! Et c’est facile de jouer sur des algorithmes pour rendre visibles ce que l’on veut et rendre moins visibles ce que l’on veut censurer. D’où la nécessité absolue d’alternatives, à l’initiative de l’Europe, de la Chine, du Moyen-Orient, de la Russie, afin de rétablir la diversité planétaire et la reconnaissance d’une place à chacun !
Ces changements font croître les inégalités, c’est pour cela que Dominique de Villepin insiste pour la réhabilitation de la politique, et propose une redistribution des richesses sous la forme d’un revenu universel, afin que chaque humain sur cette planète soit pris en compte pour ce qui concerne au moins ses besoins de base. Juste pour signifier que dans ce dehors inquiétant, pas toujours humainement accueillant, il y a l’ébauche d’un Etat soucieux d’une amorce de justice !
Poursuivant toujours son analyse de la guerre, de ses origines à sa mondialisation, Dominique de Villepin nous rappelle que la pulsion de guerre est dans notre nature, et que la violence surgit dès qu’il y a relation. La sédentarisation fit naître, il y a longtemps, la guerre. Et la première structure de l’Etat la consolide, car si l’Etat met fait à la guerre civile, à la violence entre humains, il doit s’étendre, partir à la conquête d’autres territoires, d’autres ressources. La guerre est mère et fille de la civilisation, car elle exige de s’organiser, d’avoir des institutions pour conquérir, et l’Europe est pleine de ces guerres, elle est un grand cimetière sous la lune ! L’Etat moderne exige de ses souverains qu’ils le défendent contre ses rivaux, et le XVII et XVIIIe siècle sont secoués de batailles. Ensuite, la guerre s’essaime vers le nouveau monde pour conquérir l’Amérique convoitée. Même esprit pour l’aventure coloniale. L’État-nation qui émerge aux XVIIIe et XIXe siècles massifie la guerre, d’autant plus que la révolution industrielle décuple ses moyens pour conduire à une production industrielle de la mort. Pour la première fois, une partie importante de la population est touchée, rendant visible le sang. Dans la foulée, la décolonisation s’est faite dans l’aveuglement des déséquilibres laissés derrière, des ruines, des ressentiments, tandis que nous restions dans la certitude de notre supériorité et d’être le centre hégémonique du monde. Nous avons rapatrié chez nous le modèle colonial, reporté sur la population immigrée, installant chez nous une ségrégation que nous n’avions jamais connue ! Sans jamais avoir la conscience de continuer à humilier. Désormais, avec cette bombe à retardement de l’humiliation en particulier post-coloniale, la violence de la guerre est diffuse, plus sauvage, la violence surgissant partout où l’Etat ne joue plus son rôle, que ce soit dans des pays affaiblis ou chez nous dans des zones oubliées de l’Etat. Avec le terrorisme, la guerre a basculé vers l’asymétrie. Une sorte de guérilla qui essaie toujours de gagner une partie de population à sa cause, sur la base des ressentiments. Dominique de Villepin analyse finement cela en Afghanistan. La guerre asymétrique doit donner l’impression que plus personne n’est en sécurité, qu’il n’y a plus vraiment d’Etat fort. D’ailleurs, en même temps que les ravages déstabilisateurs du terrorisme, ce sont les grands empires qui sont en train de rivaliser pour des questions d’hégémonie, de territoires, d’accès aux matières premières et aux débouchés du libre-échange, pour des questions aussi de soif de reconnaissance. De grandes manœuvres se font parce que la Chine n’a pas d’accès direct aux océans, d’autant plus que l’on a découvert dans la zone des gisements de pétrole. Les conflits territoriaux du siècle dernier refont surface. La « Grande muraille de sable » de la Chine vise à affirmer sa souveraineté, son désir de devenir une puissance navale, ceci parce qu’il y a la présence des Etats-Unis, qui a une position stratégique depuis l’effondrement du Japon en 1945. Le risque de conflit dans cette région a ses racines dans la Seconde Guerre mondiale, et se réactualise parce que la Chine a besoin de pouvoir aller chercher ses ressources à l’extérieur, tandis que s’accroissent les besoins de sa population en matière de qualité de vie. Le Japon, quant à lui, craint à la fois l’escalade de ces conflits, et le relâchement du partenariat avec les Etats-Unis. Chacun lutte pour sa place, et pour être reconnu ! La Russie s’invite aussi dans ce jeu extrême-oriental, avec le Japon. Dominique de Villepin nous fait bien comprendre que tout bouge, tout le monde s’arme, et que dans tout cela l’Europe reste dans le déni, pratique la fuite en avant en n’ayant toujours que le réflexe de la prise des armes, ne se décidant toujours pas à se proposer en médiatrice pour un travail de la paix ! Poutine augmente ses armes conventionnelles et modernise ses forces nucléaires, mais il s’agit pour lui d’être dissuasif vis-à-vis de l’OTAN. L’Ukraine permet jusque-là le jeu stratégique des Américains en Europe orientale tout près des Russes, leur principal opposant. Ce serait différent si l’Europe décidait de son indépendance vis-à-vis de l’OTAN, s’il y avait une défense européenne où la France, seule à posséder l’arme nucléaire, serait en première ligne. Et si se faisait un rapprochement avec la Russie, tout en gardant des liens forts avec les Etats-Unis. Alors que tout reste propice à la guerre ! L’esprit de guerre, écrit Dominique de Villepin, prend le pas sur l’esprit de paix, qui doit mettre tout le monde autour de la table, n’exclure personne, et l’Europe retrouverait toute sa place d’avoir cette initiative diplomatique et politique sur un plan mondial ! Au lieu de cela, voici que la Chine ne se contente pas d’être sur la défensive mais son armée se projette à l’extérieur, comme anticipant une confrontation globale. La Russie joue sa transition vers un nouveau modèle, il s’agit pour elle de réparer l’humiliation par un retour du rêve tsariste à travers une modernisation du pays. Mais les Européens restent incrédules depuis la fin de la guerre froide, comme s’ils ne réalisaient pas encore le retour des Russes avec Poutine et sa volonté incroyable de reconnaissance. Quant à la France, elle reste fascinée par ses casques rutilants, ses apparats, ses dorures, rêvant à son passé glorieux qui s’exportait par les conquêtes coloniales, qui se réactualisent maintenant par les interventions militaires, comme au Mali, en Libye. La guerre s’étend aussi par la lutte contre le terrorisme, au lieu de réfléchir à comment faire pour l’étouffer en agissant sur les sources de financement, et par des projets de coopération afin que le ressentiment des populations cesse.
Dominique de Villepin est bien placé, parce que ses ancêtres faisaient souvent partie des élites de l’armée, pour savoir que l’armée, colonne vertébrale des Etats pendant cinq cents ans, si elle a fortifié les frontières, installé des pouvoirs, reste aujourd’hui encore un modèle exclusif dans le monde pour créer un nouvel Etat, ce qui est valable aussi pour l’Etat islamique. Or, c’est cela qui devrait changer ! Il faut, écrit-il, que les forces de paix prennent la main. Que beaucoup d’autres acteurs sociaux s’y engagent. Certes, puisque la guerre est mondialisée, il faut une armée qui puisse agir partout sur la planète pour assurer la sécurité des populations ! Mais non pas une armée au service des rivalités entre puissances hégémoniques ! L’humain étant au centre de la construction de la paix, nous devons admettre que nous ne pouvons rien faire seul, et que, par exemple, est fini le lien ombilical de l’OTAN avec les Etats-Unis, il ne s’agit plus de la domination atlantiste et de guerre froide ! Le meilleur moyen de battre l’Etat islamiste est de travailler ensemble à un Etat-monde ! D’ailleurs, si nous acceptons de voir la bouteille à moitié pleine, nous nous apercevons que la Chine elle-même privilégie les partenariats civils, une fois qu’elle a prouvé qu’elle était aussi une puissance militaire à la hauteur de l’américaine, d’où le porte-avion chinois… Ce serait tellement nouveau, une armée mondiale qui veillerait à ce que la paix ne s’éteigne pas ! Dans cette stratégie-là, l’indépendance est vitale ! La France, comme la Russie, comme chacun des autres pays, doit être indépendante, un peu comme chaque être humain dont la différence est reconnue ! Donc non seulement le lien avec l’OTAN doit être rompu, et d’ailleurs la Russie sait brouiller les radars, mais l’Europe doit se doter d’un GPS à elle ! L’armée doit se réformer, intégrer beaucoup d’autres métiers. Il est urgent de sortir d’un esprit de domination et d’occupation, qui était au cœur de la stratégie militaire coloniale. Il faut donner à l’armée un rôle positif, celui de sauvegarder les populations en cas de conflits armés entre puissances rivales ou en cas de guérillas terroristes, face à des milices ou des guerres civiles. Ceci toujours et toujours en même temps que la diplomatie du XXIe siècle engage des dialogues avec toutes les parties autour de la table. Il est temps, écrit Dominique de Villepin, de se réveiller d’un long sommeil stratégique ! Nous ne sommes plus, dit-il, au temps où l’armée reflétait la société avec ses hiérarchies, ses officiers supérieurs venant de la bourgeoisie ou de l’ancienne aristocratie, et des troupes venant du monde ouvrier et paysan. Maintenant, observe-t-il, l’armée s’unifie vraiment socialement par une idéologie économique et managériale, elle fabrique de la gestion, elle intègre beaucoup de métiers spécialisés et peut être source de formations pour beaucoup de jeunes. Nous devons en finir avec la nostalgie des galons, avec une armée façonnée par l’État monarchique comme c’est toujours le cas en France où le président de la République est aussi chef des armées. La démocratie ne peut se fixer qu’en restreignant le pouvoir de l’armée, en lui fixant des missions pour la sécurité des populations, conjointement avec la diplomatie et la politique. Or, il y a en ce moment un effacement inquiétant de la diplomatie française ! En France, l’État-Major, a une influence directe sur le président ! Bien sûr, il faut l’armée, mais c’est le politique qui doit avoir la priorité ! Le dialogue, la parole, la diplomatie, toujours la reconnaissance de l’autre, de son histoire, de ses blessures, de sa soif de reconnaissance. Il s’agit aussi d’associer les citoyens à la réflexion, justement en rendant possible, comme le partage de savoir que ce livre réalise, qu’ils soient éduqués, qu’ils aient tous les éléments en mains pour comprendre, juger, émettre des idées, proposer, faire entendre leur voix. La refondation de la politique chère à Dominique de Villepin exige que l’on donne un rôle majeur aux ambassades, que l’on développe le renseignement à un niveau européen. Il faudrait un droit international du terrorisme, pour que la coordination en matière politique et opérationnelle soit mondiale. Il faudrait plus de contrôle des Parlements sur les ventes d’armes. Nous pourrions parrainer une organisation de la sécurité au Moyen-Orient, propose-t-il. Avec les casques bleus de l’ONU, les forces de missions de la paix avaient amorcé un tournant. Mais il faut améliorer cela, avoir des écoles de formation, etc. Sinon, ils ne peuvent pas vraiment imposer la paix. L’art de la paix doit vraiment être pris au sérieux, martèle Dominique de Villepin.
Pas si facile, reconnaît-il, de déclarer la paix ! Depuis si longtemps, nous résolvons les conflits par la guerre, sans jamais nous soucier de l’humiliation qui va de pair avec le fait de faire plier l’autre ! Jusque-là, la guerre avait pour but de nous permettre de nous situer dans un lieu, voire un abri, une sorte de ventre. Il y avait « nous », bien à l’abri, et les « autres » c’est-à-dire les « barbares », les « inférieurs ». Même si la guerre est passée de nationale à internationale, le motif reste le même ! C’est que la guerre offre des récits spectaculaires, est à la base de tous les jeux vidéo, de la télévision. Il faut inventer une culture de la paix, et travailler à la transmettre. L’initiative de ce livre amorce le travail de la paix par un partage incroyable ! Il est en effet impossible de construire la paix si les populations sont oubliées, qui par ce livre sont identifiées comme des lecteurs invités à se former dans l’école de l’excellence. Or, la politique des sanctions, par exemple à l’égard de la Russie, pénalise aussi les populations ! La Russie, pour y réagir, s’est tournée vers la Chine, et cela a créé d’énormes difficultés pour les exportateurs français ! Cette paix qui fait l’impasse sur les faibles est un très mauvais calcul des forts, outre qu’elle se fait toujours dans une logique de la domination. La construction de la paix est mal partie dès le début dans le conflit israélo-palestinien. Le mouvement sioniste était né au XIXe siècle par l’intellectuel viennois Theodor Herzl, et la fin de la domination ottomane avec la Première Guerre mondiale lui ouvre la possibilité d’avoir un territoire, qui devient naturel, bibliquement promis, avec les émigrés juifs fuyant le nazisme. Mais le foyer juif s’installe dans un environnement colonial britannique. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’indépendance de l’État d’Israël et des États arabes semble logique, mais personne ne se soucie du tracé incertain des frontières, ni du ressentiment arabe, ni du sort des nombreuses familles palestiniennes qui ne bénéficient plus de la protection d’un État. Situation complexe car Israël est soutenu par la puissance européenne, cet Etat se dote tout de suite d’une armée puissante. On ne prend pas en compte l’environnement des Etats arabes ni la revendication palestinienne d’avoir un territoire. A partir de 1970, parmi les puissances arabes la montée de l’islamisme est logique. A partir de 1973, la guerre des Palestiniens contre Israël se double d’une guerre civile entre Palestiniens, entre l’OLP en exil avec Yasser Arafat qui fait le pari de la négociation et le Hamas qui est pour la lutte armée. Avec Rabin, l’équilibre était précaire, mais avec son assassinat, et l’arrivée d’Ariel Sharon, il y a un renforcement du Hamas. Rien n’est réglé aujourd’hui, une gangrène s’est plutôt installée dans la région, et une accumulation de frustrations qui fait le lit du terrorisme. La complexité du problème est devenue encore plus inextricable avec la modification de l’environnement régional avec la Syrie. Dominique de Villepin souligne à quel point seule une intervention déterminée de la communauté internationale peut faire sortir de l’impasse la réconciliation.
Il insiste sur le fait que le travail de la paix a besoin de personnages forts, et d’images. Chacun des personnages doit pouvoir jouer sa partition, hors consensus, dans de nouvelles aventures, de nouvelles péripéties. Ainsi, les BRICS jouent l’entrée en scène d’une alternative, et mettent en lumière que le monde est changeant. La diplomatie, plus que jamais au temps de la mondialisation, ne peut se cantonner dans le confort rassurant de ses chancelleries. C’est, dit-il, au contraire un métier à haut risque, qui doit d’une part s’ancrer dans une culture personnelle, et d’autre part une culture collective de l’Etat, qui s’est tissée au fil des siècles. Le balancement est incessant entre une maison prestigieuse où ses enfants sont une élite choyée et le monde ouvert et très complexe. Par exemple l’Afrique, qui exige tellement cette diversité des regards que seule l’expérience donne. L’autre doit encore et toujours être reconnu dans sa complexité, ses blessures, ses humiliations, ses réussites, et surtout dans sa soif de reconnaissance. C’est pour cela qu’il est aussi très important que le diplomate soit lui-même, dans cette Maison comme la nomme Dominique de Villepin, très solide au niveau de la reconnaissance, de son image de soi, ce qui se réalise dans l’école de l’excellence qui forme son élite. Sur cette base, sur cette solidité d’une culture et d’une formation, d’une image de soi, le diplomate peut aller prendre des risques avec les autres, où l’événement fait brutalement irruption. Bien sûr, le diplomate doit être une sorte de chasseur à la battue, car il ne peut s’avancer seul.
La manière dont Dominique de Villepin nous parle des institutions de la paix est très intéressante ! Ces institutions rendent possible la paix surtout lorsque celle-ci est asymétrique, à la limite de la faillite, avec des haines et des passions toujours vives. Si rien ne fait par exemple société entre des peuples, seule une volonté politique, se matérialisant par exemple par des institutions de la paix, peut recréer de l’unité, et tenter de faire de la paix avec de la guerre. Ces institutions doivent rendre visible la paix, avec un tiers qui en prend la responsabilité. Ainsi s’est créée l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la Coopération en Europe) à la sortie de la guerre froide. Importance, insiste Dominique de Villepin, de visibiliser la scène pour la représentation de la paix ! Bien que l’institution ait des bases juridiques, sa réalité est surtout d’ordre spectaculaire, elle met en scène des acteurs qui peuvent trouver là de la reconnaissance internationale en échange d’un apaisement. Il y a toujours cette question d’une paix qui ne peut se faire que s’il y a un gain de reconnaissance parmi les acteurs qui souffrent de ne pas en avoir ! Donc, les institutions de la paix ouvrent des scènes où ces acteurs invités aux négociations peuvent se rendre visibles et être valorisés, tout en faisant entendre leur parole, leur diversité. Il faudrait faire une sorte d’OSCE aussi dans le contexte Moyen-Oriental et le risque d’explosion de la crise Iran/Arabie Saoudite, propose Dominique de Villepin ! La Cour permanente d’arbitrage de la Haye, en 1899, fut la première institution de la paix. Nous avons aussi la CVR (Commissions de vérité et de réconciliation), qui théâtralise le processus de la guerre vers la paix. Par exemple pour l’Algérie, il faudrait une Commission de vérité et réconciliation pour régler des conflits entre Etats ou des guerres d’indépendance, afin de visibiliser sur une scène la parole de témoins de la guerre, les crimes commis. Au cœur d’une machinerie des images mondiales, avec un tiers qui n’est pas partie prenante dans les conflits mais porte la volonté politique de l’apaisement, la guerre peut aller vers la paix, il est important de voir aussi ce que voient les autres, de comprendre les analyses qu’ils défendent, et pour cela il faudrait aussi repenser les réseaux audiovisuels internationaux, afin qu’une véritable diversité soit assurée, sous l’égide des Nations unies.
En 1945, nous rappelle Dominique de Villepin, est apparu un nouvel ordre, qui est exercé hors des juridictions nationales au nom de l’humanité tout entière comme victime et partie civile au procès. Donc l’humanité, qui habite la planète, et qui a soif de reconnaissance en tant que telle. A Nuremberg émerge une ébauche de droit international, mais la guerre froide a un peu gelé les choses… Dans les années 1990, la Cour pénale internationale (CPI) a pour mission d’obtenir la paix par le droit. Mais c’est compliqué, d’autant plus que ni les Etats-Unis ni la Russie n’ont ratifié le Traité de Rome ! De plus, cette CPI est une justice des vainqueurs, puisqu’elle dépend des pouvoirs exécutifs nationaux ! Mais, en tant qu’institution, elle a surtout le mérite de mettre en scène, toujours cela, les crimes de guerre ! Cette CPI pourrait, propose Dominique de Villepin, se saisir des actes de terrorisme, ce qui leur donnerait la dimension internationale de crimes contre l’humanité ! La voix de l’humanité se ferait entendre !
L’auteur note que la logique d’appropriation des ressources surtout stratégiques rend possibles des guerres depuis la sédentarisation des humains, qu’elle provoque bien plus de conséquences que l’inégale répartition imposée par la nature, et qu’elle est l’étoffe du désir, mettant en acte passions, jalousies, recherche du pouvoir. Ce sont les joueurs qui font le jeu, avec leur irrationalité, avec leur anticipation, leurs calculs. Les divisions sociales, économiques et culturelles sont les causes des guerres qui sont rendues possible par exemple par l’appropriation du pétrole au siècle passé, et de l’eau peut-être bientôt. C’est un peu comme si l’absence d’un Etat au niveau mondial par manque d’une volonté politique et d’une vraie reconnaissance d’une humanité planétaire faisant nation perpétuait la guerre civile entre Etats, grandes puissances, comme si chacun devait se garantir une sorte de matrice aux ressources illimitées pour l’éternité, et que l’étranger et le dehors menaçaient cet équilibre-là. Le désir pourrait être mis à la place d’une volonté de faire Etat mondial et presque défier la violence légitime absente de cet Etat et le manque de protection qui s’ensuit. Le désir outre-passe les besoins, il anticipe les manques comme une fin possible d’un temps matriciel entre soi, comme l’irruption d’étrangers menaçants, parce que dehors il n’y a pas non plus d’organisation politique du vivre ensemble qui d’une part met fin à la guerre civile et d’autre part garantit une qualité de vie depuis la nourriture jusqu’à l’éducation, la sécurité, la culture, l’art. Cette appropriation met toujours en lumière une régression à une logique plus infantile, un « je veux tout garantir pour moi pour l’éternité dans mon abri extensible parce que dehors je ne vois rien qui me garantisse une vie de qualité et de sécurité. » La question de l’appropriation des ressources sans véritable négociation pour le partage n’est-elle pas le symptôme d’une logique encore de gestation, dans le souci sans fin de rester branché par le cordon ombilical à un placenta fournisseur, les autres étant vus comme des ennemis désirant cette même appropriation ? La Communauté européenne du charbon et de l’acier est née pour calmer le climat de guerre civile autour de ces deux ressources ! Dominique de Villepin propose de faire de même pour le pétrole dans les pays arabes. L’OPEP allait dans ce sens, mais le conflit Iran/Arabie Saoudite l’a vidée de son sens ! Il faudrait créer une communauté régionale du gaz et du pétrole, mais cela nécessite, écrit-il, une prise de conscience mondiale qu’il existe une solidarité fondée sur les échanges économiques liant nos destins à quelques chiffres abstraits très dangereux ! Toujours, cette urgence d’une volonté politique qui limite les turbulences dangereuses des parties au profit de tous, de la communauté internationale. C’est toujours le même principe d’un Etat mettant fin à la guerre civile en échange de la protection et de la sécurité, et d’une nation qui se fait autour de valeurs communes, ceci exigeant une véritable réhabilitation, à un niveau mondial, de la politique et de ses débats, qui s’occupe des conflits et des exigences des peuples. Par exemple, les fins de conflits doivent être sous tutelle de politiques d’accompagnement et de transition, sous l’égide des Nations unies et de bailleurs de fonds internationaux palliant des États affaiblis pour la reconstruction d’infrastructures aux enjeux vitaux. Les pays occidentaux, s’ils ne veulent pas s’exposer à des bombes à retardement, devraient apprendre à faire cela. Eux qui ont des Etats forts et anciens, certes désormais malmenés par la mondialisation, devraient savoir que la paix exige aussi des Etats forts ailleurs, chez ceux qui jusque-là étaient vus comme des étrangers ennemis ou des inférieurs. Pour que la demande de comptes ne revienne pas nous exposer en pleine figure, nous devons l’anticiper, et par exemple voir les ressources, stratégiques et vitales comme l’eau et la nourriture, comme appartenant à l’humanité, et que notre environnement planétaire n’est pas à l’image d’un placenta auto-nettoyant et aux ressources illimitées. Notre environnement lui-même a ses équilibres, qu’il s’agit de connaître et de respecter, en sachant anticiper tous les déséquilibres qu’une transformation par exemple scientifique peut provoquer. Nos modes de vie d’apprentis sorciers doivent faire l’effort de l’apprentissage de l’environnement, de sa flore, de sa faune, de ses micro-organismes, des équilibres qui se sont construits pendant des millénaires. Ce n’est pas seulement par rapport aux autres, autres pays et continents, autres êtres humains, que nous devons nous apercevoir de la faim de reconnaissance, en quelque sorte les déséquilibres environnementaux provoqués par les activités humaines ne sont-ils pas ces violences et ces guerres sous forme de tornades, de fonte de banquise, d’inondations et de pollution qui se déchaînent parce que les équilibres ne sont ni reconnus ni respectés ? Nous restons aveugles, indifférents, c’est-à-dire que nous n’avons quasiment pas ouvert des yeux naissants sur le monde ! Nous peinons à naître et à être curieux du dehors, nous nous replions encore vers notre abri !
À un niveau mondial, l’interdiction de négation des crimes contre l’humanité fut un acte politique restreignant la liberté de parole pour le motif d’un ordre public international, sur fond de souvenir de la barbarie de la Seconde Guerre mondiale. Importance de la mémoire des horreurs des guerres pour les institutions de la paix ! Chaque nation ne devrait-elle pas tisser la mémoire de ses génocides, arménien, amérindien, Shoah, esclavage ? L’école est ce lieu naturel de réconciliation justement parce qu’elle accueille une génération qui n’a pas connu ces crimes ! Il faudrait une mémoire mondiale de la paix, par exemple pour l’esclavage qui traiterait la mauvaise conscience et les désirs de revanche qui empoisonnent les relations ! Une telle mémoire favoriserait le renversement de la colonisation en œuvre de civilisation, puisque c’est vrai que la créolisation en est née. Un lieu de mémoire, donc, comme l’Unesco pour les patrimoines !
Le rejet de la guerre est, écrit Dominique de Villepin, un travail intérieur, qui peut par exemple se faire par l’art, qui est un combat pour les représentations. Un peintre par exemple va combattre avec une réalité violente pour lui substituer d’autres images parfois en déchirant l’horreur. Dominique de Villepin cite le peintre franco-chinois Zao Wou-Ki, peintre des chaos et abîmes, qui retourne la violence pour rechercher la paix. L’art nous permet à chacun d’arracher la paix à la dureté du monde, de traverser une déchirure traumatisante et voir autre chose. Cet art imprègne le monde, les relations sociales, affirme que vivre ensemble en paix est possible, par-delà le vertige du monde, et ce n’est pas l’affaire d’une élite qui saute d’une exposition à l’autre dans un entre soi de privilégiés qui domineraient la beauté ! Désormais, la domination occidentale est finie, de jeunes pousses apparaissent partout, en Afrique, en Asie, en Russie…
Il faut, écrit le diplomate et homme politique, une diplomatie de projet, qui réponde à l’instabilité des pays, à l’isolement et à la pauvreté des populations par le développement d’infrastructures, routes, hôpitaux, accès au numérique, électricité et eau potable, échanges culturels, religieux, politiques. Il faut que la domination se change en coopération entre tous, sinon la demande de comptes revient sous forme de cette guerre asymétrique, le terrorisme. Cette diplomatie de projet doit mettre en acte la possibilité que chacun, où qu’il soit sur la planète, soit visible et reconnu dans ses besoins, son identité, sa différence et son jeu social par rapport aux autres.
La Chine, par son nouveau projet de « Nouvelle route de la soie », anticipe l’augmentation de ses besoins de consommation intérieure, ne désirant que s’assurer à l’extérieur ses débouchés en matières premières. En même temps, à cause de l’humiliation de ses deux siècles d’effacement, elle cherche à s’ouvrir à l’extérieur et à y retrouver une place, une reconnaissance mondiale. Elle cherche aussi à sécuriser son pays en désenclavant des régions d’Asie centrale comme le Caucase, le Pakistan qui sont dangereux pour sa sécurité. Troisièmement, ce projet est stratégique, parce qu’elle cherche à lutter contre l’encerclement américain, ce qui inquiète les Etats-Unis. Ce projet chinois fait bien sûr écho à l’âge d’or chinois des routes médiévales, et c’est très important pour retrouver une fierté, mais c’est aussi une chance inédite pour le monde, rendant possible des projets collectifs propices à un meilleur équilibre dans les affaires du monde, une participation mondiale entre Asiatiques, Européens, Moyen-Orientaux et Africains. Construction d’infrastructures qui permettent au continent asiatique une intégration renforcée sur le plan commercial et politique, facilitant les partenariats industriels et technologiques dans les secteurs de l’énergie, de l’assurance, de l’ingénierie. Ce maillage joue le développement de demain, la « Nouvelle route de la soie » offrant un récit qui peut être paradigmatique pour d’autres, qui dessine une inédite possible solidarité entre peuples. Ce projet de coopération mondiale peut évidemment être très efficace pour la lutte contre le terrorisme islamique juste en sortant les populations du ressentiment en développant leurs régions. La France et l’Europe devraient réfléchir à s’impliquer dans ce projet, à anticiper et à mobiliser l’opinion publique, pour pouvoir se proposer dans ses domaines spécialisés comme l’énergie, le tourisme, les infrastructures, en misant sur la culture, les échanges universitaires, l’art de vivre.
Un autre projet qu’anticipe Dominique de Villepin est « eurafricain ». Un programme de coopération entre l’Europe, le Maghreb, l’Afrique subsaharienne. Cela mettrait fin aux crises en Afrique et à la dérive des deux continents. D’autant plus que, dit-il, l’Europe a un devoir d’action car sur l’Afrique vont venir des nuages économiques, sociaux, politiques. Le projet « eurafricain » pourrait par exemple lisser les montagnes russes des prix des matières premières, calmer les relations affectives complexes. Il s’agit aussi de reconnaître l’autre, de le traiter d’égal à égal et d’admettre par exemple que l’Afrique est elle aussi source de croissance, le continent est riche en ressources agricoles et énergétiques, mais à ne pas voir comme un Eldorado à piller ! Il s’agit plutôt de voir cinq Afrique différentes ! L’Afrique du Nord, l’Afrique occidentale, l’Afrique sahélienne, l’Afrique australe, l’Afrique orientale. Avec l’Afrique, l’Europe doit surmonter le ressentiment colonial, et la France et la Grande-Bretagne devraient prendre la tête du projet « eurafricain » avec la francophonie ou l’anglais comme instrument. Dans ce projet aussi, Dominique de Villepin, dans le souci de la population, donne la priorité aux infrastructures, pour que personne ne soit laissé pour compte dans l’environnement qu’une volonté politique, enfin, organise pour une vie sociale possible. D’abord, les transports, autoroutes, maritimes, voies ferrées inter-régionales, ce qui permettrait aux ports de la Méditerranée de se moderniser. Le Maroc pourrait réaliser un projet qui lui est cher, devenir la plate-forme d’échange avec l’Afrique de l’Ouest. Ce projet permettrait aussi le dialogue des cultures, avec un rôle important pour les diasporas ! Culture, cinéma, littérature, art, tout cela prend une vigueur sans précédent en Afrique et au Maghreb !
En lisant, nous entendons l’insistance avec laquelle Dominique de Villepin nous parle de l’Etat. On a l’impression qu’un Etat fort, soucieux de chaque citoyen, pourrait pallier même aux vicissitudes familiales en termes d’origines défavorisées ou de fragilités de l’environnement parental. Car si cet Etat est fort, si ses institutions telles que l’éducation, la santé, la culture sont attentives à chacun, chaque membre de la communauté à laquelle il assure la protection et les infrastructures nécessaires à la qualité de la vie individuelle et sociale se sent plus enfant de cet Etat que de sa famille. En quelque sorte, la famille elle-même élève l’enfant dans l’amour de la patrie, regardant cet autre qu’est l’enfant avec les yeux exigeants de l’Etat. Mais, constate Dominique de Villepin, l’Etat aujourd’hui peine à assurer la cohésion des sociétés, alors qu’il devrait être le meilleur rempart contre la violence de tous contre tous, y compris celle qui veut accaparer pour une élite les filières d’excellence, etc. Il faut donc une volonté politique de refondation, de consolidation. Au lieu de cela, notre pays s’arc-boute entre le souverainisme nostalgique d’un âge d’or et le populisme. L’Etat doit prendre acte de la mondialisation, de l’ouverture au monde, de la mobilité, des nouveaux rapports de force, de la fin de la domination occidentale, de la communication. Il doit s’adapter, trouver une nouvelle légitimité et une nouvelle vitalité. Chaque Etat ne devrait-il pas se penser comme une partie de l’Etat mondial ? La politique, en tout cas, est indispensable, qui assume et fonde notre volonté de vivre ensemble. Nous devons prendre conscience des failles de notre système démocratique, que nous avons pourtant exporté à travers le monde. L’Etat solitaire et tout-puissant est une vue imaginaire, et sa souveraineté n’a jamais été vraiment respectée. Cette vue imaginaire, j’aimerais la raconter en me saisissant de la célèbre sentence de Confucius qui dit que, lorsque le sage montre la lune, l’idiot regarde son doigt. Je dirais, lorsque l’idiot veut montrer la lune pleine de ses petits, il montre son doigt ! Juste avec son petit organe, voire organe du pouvoir, l’idiot a rempli le ventre de la lune de tous ses petits, qui en ont de la chance ! Et la lune dit, très maternelle en regardant le pouvoir qu’elle a pour ses petits, je sais faire pour qu’il en reste pour les enfants ! Nous n’avons jamais vraiment respecté vis-à-vis de d’autres États la non-ingérence dans les affaires intérieures. Il faut, écrit Dominique de Villepin, refonder un ordre international, sur un principe supérieur à la souveraineté, en créant une hiérarchie entre la communauté internationale et chacun des Etats pris individuellement. Ce serait jeter les fondations d’un Etat global, et donc le respect de l’humanité. La mondialisation exige que les Etats cèdent un droit de tirage sur leur souveraineté. Un droit mondial est en train de voir le jour, mais gare aux inégalités de traitement, aux intérêts des plus forts… Mais, insiste Dominique de Villepin, un Etat ne peut se faire de l’extérieur. Il s’agit d’augmenter les efforts des Nations unies pour la reconstruction des infrastructures administratives des Etats, de lutter contre les corruptions, de former les personnels administratifs, d’ouvrir des écoles de formation pour cadres intermédiaires de l’administration, état civil, cadastre, d’instaurer une efficacité des services sociaux, un appareil judiciaire, des forces de sécurité, une tutelle provisoire de l’Etat en reconstruction. Tout ceci en vue de la satisfaction des citoyens, et dans l’anticipation de leur demande de comptes déjà entendue depuis leur silence. Sous l’égide de l’ONU, l’Europe pourrait avoir vocation de reconstruire ces Etats. Les Etats des régions faiblement étatisées doivent être, en vue de la reconstruction solide, être mis en solidarité, mutualisant des ressources, sécurisant les environnements. Il faut beaucoup travailler pour pallier les déséquilibres énormes entre les grandes villes ouvertes sur le monde, et les zones rurales coupées de tout. Importance du développement des infrastructures, pour que l’Etat reconstruit joue son rôle avec le ciment de la solidarité entre son peuple. En France aussi, il y a des zones de défaillance de l’Etat, avec ses populations marginalisées, qui n’ont accès à presque rien de ce que l’Etat leur doit. Il y a un vrai affaiblissement des services de l’Etat dans de nombreux quartiers et zones rurales, pourtant il devrait y avoir en la matière égalité d’accès pour tous ! Le populisme et l’islamisme sont des maladies voisines, sources de violence chez les laissés-pour-compte. Dominique de Villepin parle longuement de ces banlieues où nous avons reconduit une logique coloniale d’humiliation. Chacun doit pouvoir recevoir ce qu’il lui faut pour avoir une liberté réelle, pour être en prise sur les choix de sa vie, de son métier, de son environnement. Chacun a le droit de ne pas être dans un environnement où prime la richesse familiale sur ce que l’Etat offre, où c’est encore comme si chacun était dans une matrice, plus ou moins généreuse, où la formation élitiste n’ouvre ses portes qu’à ceux que leur origine trie sur le volet. L’Etat digne de ce nom devrait ne pas laisser faire ce traitement inégal de l’instruction de ses jeunes générations ! L’école devrait être le lieu originel de la paix, dans une mixité sociale et culturelle ! L’autre exigence de ce monde ouvert à la mondialisation qui s’accélère est la réactivité, mais les logiciels de l’administration ne sont pas adaptés, il faut centraliser les projets de réforme numériques de l’Etat, former ses acteurs. Il s’agit de repenser la démocratie non pas comme une revanche contre l’Etat, dans une révolution sans cesse à faire avec ses têtes guillotinées, mais comme métamorphose de l’Etat-nation en une communauté où ceux qui agissent et ceux qui subissent peuvent additionner leurs forces, où agents et sujets de l’Etat ne font qu’un, le citoyen pouvant participer parce qu’il est éduqué, pouvant s’engager. Déjà, les domaines associatifs sont très dynamiques ! C’est le partage des valeurs, non pas une communauté de traditions, qui cimente une société. Les énergies personnelles précieuses doivent pouvoir s’émanciper et s’engager !
Dominique de Villepin a un plaisir évident à évoquer, dans la quatrième partie de son livre, les porteurs de paix, c’est-à-dire les diplomates ! En particulier, cette diplomatie inter-étatique ne peut avoir de sens que si la communauté internationale est reconnue, et que si on définit qui parle pour elle. Pour l’instant, elle semble incarnée par les Nations unies, qui est régulatrice de la communauté internationale. Cette communauté internationale gêne, bien sûr, une organisation mondiale se fondant sur des rapports de forces. Elle commence à être plus concrète sur le principe westphalien de l’égalité des nations entre elles (souveraineté des Etats, intégrité des frontières, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes). Mais encore ! Car la mondialisation transforme la vision de l’humanité, non cantonnée dans des frontières qui ne protègent plus vraiment ! Jacques Chirac appela à une « alliance mondiale », en 2002 à Johannesburg, pour le développement durable, souhaitant que la diplomatie avance sur cette voie traitant de manière collective les défis de l’environnement. Dans l’ombre, les Nations unies accomplissent difficilement le travail de la paix. Le Conseil de sécurité est son symbole, mais il est fragilisé par l’émergence de la Chine, qui n’est pas représentée de manière permanente, ni l’Afrique, ni les Musulmans du monde. Il s’agit de prendre en compte les transformations du monde ! Le Conseil de sécurité est encore un vestige de la guerre froide et d’un monde sous emprise coloniale ! Impuissance des institutions actuelles. Des fourmis diplomatiques travaillent dans l’ombre, dans un labyrinthe de couloirs. Pour arriver aux compromis, dans l’enchevêtrement permanent des enjeux. Le vrai pouvoir est en train de se tisser dans une culture de l’action internationale. Les diplomates, qui se fréquentent beaucoup, deviennent des passerelles de la paix. Au Conseil de sécurité, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne comptent beaucoup, mais si la Russie et la Chine sont en retrait, la Russie commence à jouer un rôle et la Chine manifeste son désir de prendre une responsabilité mondiale plus grande. Des fonctionnaires de l’action internationale sont à l’œuvre. Le secrétaire général de l’ONU doit savoir naviguer entre les contradictions, le juste équilibre et la discrétion. Il sait se donner des relais. La diplomatie mondiale doit négocier tous azimuts, et les chefs d’États se connaissent beaucoup plus. Des espaces de dialogues d’égal à égal s’ouvrent, réponse diplomatique au tourbillon de la mondialisation.
En vérité, constate Dominique de Villepin, le monde est encore en quête d’une épine dorsale, et les relations internationales sont souvent des mascarades. Mais c’est en évoquant le général de Gaulle, qui avait tracé l’esquisse d’un axe liant la France, l’Europe, l’Asie et la Russie, qu’il propose, pour la sécurité collective, une coopération entre la France, l’Allemagne, la Chine et la Russie. Toujours ce souci de reconnaître une place à la Chine, à la Russie, un traitement d’égal à égal, prenant acte du retour sur la scène internationale de ces deux empires qui furent humiliés par leur effondrement et effacement. Cette coopération, faite de partenariats diplomatiques, serait la « dorsale eurasiatique » qui scellerait une alliance des « vieilles civilisations » remontant aux profondeurs de l’histoire, et sur le plan géographique ce serait une alliance de l’Europe et de l’Asie, ainsi que sur le plan économique, politique, culturel, une alternative à notre isolationnisme et notre unilatéralisme atlantique… Cette coopération se ferait dans une reconnaissance des différences de chacun : la Chine n’a pas une volonté de puissance à l’occidentale, elle veut avant tout la protection et l’unité interne de son aire de civilisation, elle veut une paix d’ordre à l’étranger et la paix civile à l’intérieur, cette « harmonie sous le ciel » alors même que ce pays tourne autour du volcan éruptif des violences sociales, avec l’Europe le terrain d’entente se fonde sur le respect, la tranquillité mutuelle, la coopération pragmatique. Quant à la Russie, inquiète sur toutes ses frontières, elle résiste à l’Ouest aux tentations européennes, à l’Est aux intérêts chinois en Sibérie, au Sud au verrou d’un monde musulman, se battant avec les armes d’un vieil empire, avec une diplomatie de qualité et une discipline exceptionnelle, gardant une relation forte avec l’Occident, toujours dans un équilibre entre ouverture au monde et repli autarcique culturel et économique. La reconnaissance des singularités de la Chine et de la Russie implique aussitôt celle des Etats-Unis, et celle des pays émergents. En n’oubliant pas l’Allemagne, dans le constat que la diplomatie allemande se cherche.
Nous devons devenir des médiateurs et des porteurs de paix, martèle Dominique de Villepin. Cela implique que l’Occident accepte de ne plus croire pouvoir décider du destin du monde, qu’il commence à traiter d’égal à égal les autres pays, à les voir vraiment peser tous autour de la table de négociation mondiale pour la paix. Mais cela exige aussi que l’Europe, notamment, retrouve sa fierté, son excellence aristocratique, idem pour la France. Il ne s’agit pas du tout de faire marcher la guillotine, bien au contraire. L’Europe et la France, en reconnaissant les autres, la Russie, la Chine, les pays arabes, l’Afrique, etc. peuvent en être reconnues comme porteuses d’une qualité de vie et de valeurs venant d’une histoire ancienne pouvant jouer sur la scène internationale comme un nouveau paradigme pour l’humanité. Il ne s’agit pas du tout de déprimer, de se guillotiner, au contraire ! L’excellent, l’aristocrate Dominique de Villepin sait très bien que seule la reconnaissance de l’autre, sur la scène internationale diplomatique comme dans les relations humaines, permet d’éviter la guillotine, l’excellence de l’aristocrate pouvant alors vraiment jouer le rôle du paradigme, du porteur et médiateur de la paix. Nos valeurs, notre qualité de vie, notre histoire, notre Etat ancien et fort qui sut apaiser tellement de guerres civiles et religieuses et notre continent arriva par-delà deux guerres mondiales à bâtir la paix, tout cela peut devenir très important, comme une école d’excellence ouverte à ceux que nous avons reconnus sur un pied d’égalité dans leur diversité ! Oui, l’Algérie par exemple est une puissance montante, et peut jouer comme modératrice et stabilisatrice dans un environnement à l’instabilité chronique. Le monde a soif, écrit Dominique de Villepin, d’exemples heureux, visibles sur la scène internationale. Par exemple celui de la Tunisie, où la révolution de jasmin est la seule à avoir réussi dans la région, simplement parce que ce pays est déjà un Etat-nation sur la base de la mémoire carthaginoise source de fierté. Toujours cette fierté que les Etats vont chercher dans le passé glorieux ! Et que nous aussi, Européens et Français, pouvons aller chercher dans notre histoire, au lieu de nous résigner aux changements de la mondialisation qui nous chassent du centre du monde ! En Tunisie, il y a une large classe moyenne éduquée (grâce à Bourguiba), d’où une société civile vivante moteur de la révolution mais aussi de la modération. Toujours l’importance du partage, de l’ouverture de l’école de l’excellence à l’humanité, pour qu’au jour des demandes de comptes il ne reste pas que la guillotine de la guerre civile comme seul choix ! Par rapport à la Tunisie, où la menace du djihadisme est vive, Dominique de Villepin constate que l’Europe reste timorée, alors que c’est dans ce pays que la stratégie conjointe de développement économique aurait le plus de sens.
Bien sûr, il n’oublie pas l’Inde, ce pays qui vit à part, pays monde qui se suffit à lui-même, pays d’innovations technologiques et de traditions immuables. Pays où il y a un grand chantier de modernisation, où il y a beaucoup de violences mais où l’apaisement se sent. Au carrefour de l’océan indien, on ne sait pas encore comment elle va jouer sur la scène internationale, si elle fera un partenariat stratégique avec les Etats-Unis par exemple. Il faut juste la reconnaître, autour de la table, aux côtés de chaque autre pays de la planète.
Afin que chaque laissé-pour-compte de la planète ne soit plus oublié, Dominique de Villepin a à cœur d’identifier quel pays, quelles puissances peuvent jouer le rôle de passerelles. Par exemple le Qatar a la vocation de passeur, connaissant lui-même dans sa chair la menace de la confrontation des puissances, car il est coincé entre l’Iran et l’Arabie saoudite. L’Emir a su mettre le Qatar sur la carte du monde. Et il a une volonté d’influence dans le sens d’une réconciliation régionale. Et le Maroc, pays-rivage, veut aussi jouer le rôle d’un pont entre l’Europe et l’Afrique, et d’un pôle de stabilité et de développement vers l’Afrique occidentale.
Les privilèges exorbitants sont liés au manque de règles internationales concernant l’économie. Instabilité des prix mondiaux qui ont détruit des pays africains, instabilité des systèmes monétaires qui ont envenimé la crise : au nom de la responsabilité mondiale, il faudrait que la stabilité monétaire devienne un bien mondial, et que l’ensemble du système renonce volontairement à une partie de sa souveraineté monétaire. L’idée d’une valeur-refuge or s’impose peu à peu, et la Chine est la première productrice de cet or, ce qui fait pencher les choses du côté de la compétition sino-américaine… La banque centrale doit poursuivre une politique d’acquisition importante pour pouvoir rivaliser. L’or pourrait devenir un arbitre entre les monnaies. Il faut une vraie volonté politique mondiale pour construire cela !
Mais quelque chose bouscule plus que tout l’ordre des Etats : Internet. C’est une sorte de « surmondialisation », écrit Dominique de Villepin. Les géants de l’Internet, dit-il, ont un vrai projet politique, il faut avoir pleine conscience de cela. Ce projet politique (Twitter, Facebook, Google, Microsoft, tous américains !) est celui de construire une société civile qui serait coalisée contre l’Etat, dans un espace de liberté individuelle supposée. Mais la démocratie y est en fait menacée, car dans l’enchevêtrement des juridictions nationales, seul le droit américain a un impact significatif. Internet, sorte de confessionnal planétaire, sait tout de tout le monde, et exploite nos données personnelles pour faire des fortunes colossales sans jamais reconnaître nos droits de propriété intellectuelle. Grâce aux algorithmes, ils peuvent exercer la censure où ils veulent ! Il n’y a pas de contrôle démocratique d’Internet. Mais la Chine développe une stratégie visant à empêcher l’empiétement américain sur son Internet. Elle verrouille l’accès à Facebook et Google en faisant émerger leurs Wechat, Baidu, Huawei. C’est une sorte de nouvelle guerre froide qui pointe, et l’Europe, si elle ne réagit pas, sera très démunie. Il faut qu’elle crée ses propres entreprises ! Bien sûr, la législation prolifère, mais il n’y a pas encore de vraie impulsion politique en vue d’assurer la démocratie mondiale sur Internet. Il faut prendre en compte qu’Internet permet le développement économique de régions oubliées.
L’Occident veut encore contrôler la pensée, gagner la bataille des idées, coloniser les cerveaux. Dominique de Villepin écrit que la pensée du monde constitue une dimension stratégique de gouvernance internationale, et que le pouvoir d’influencer sur Internet est supérieur à celui des armées. Et, par exemple, remplissant le vide laissé par les Etats-nations, les think tanks (traduction approximative en « laboratoire d’idée » ou « groupe de réflexion ») ont posé la base d’une société civile mondiale, mais avec le risque d’une dérive de l’échange d’idée vers une foire mondaine où les grands de ce monde se donnent en spectacle. Il faut sauver la pensée stratégique du danger de l’uniformité, et de la dominance anglo-saxonne. En France et en Russie, nous peinons, écrit Dominique de Villepin, à développer nos propres outils d’influence, à cause de la résistance passive de la culture d’Etat, et en France de la persistance de l’intellectuel engagé et nous l’avons vu à l’œuvre par exemple en Libye… La France peine au rattrapage car elle résiste à l’usage de l’anglais d’où sa difficulté à faire entendre ses propositions et ses initiatives. Or, il est urgent de renouveler le modèle du think tanks afin de faire entendre les pensées nouvelles et de rupture, car l’intérêt du monde est dans le pluralisme, l’imagination, de permettre à chacun d’exprimer sa spécificité par ses propres moyens. Face aux cultures de la société civile mondiale, les cultures d’Etat ont leur mot à dire, et cela pourrait être porté par les diplomates développant une culture d’Etat internationale ! Toujours ce souci, dans les analyses et les propositions innovantes de Dominique de Villepin que chaque voix s’exprime et soit reconnue autour de la table des débats, des échanges et des négociations internationales ! Toujours ce souci de faire disparaître la logique de l’humiliation partout où elle se tapit ! Toujours ce désir qu’il n’y ait plus de laissés-pour compte dans l’accès à l’école de l’excellence, qui peut passer par les débats, les échanges d’idées, les livres, l’art, la culture, c’est-à-dire le fait que l’excellence des uns s’ouvre aux autres, ce qui profite au jeu des reconnaissances de l’autre en effaçant le clivage entre dominants qui ont les idées et les petits inférieurs qui n’en auraient jamais tous seuls ! La différence des points de vue et histoires de chacun fait des idées différentes !
L’auteur n’oublie pas non plus l’indispensable action sociale, parent pauvre de la politique internationale. Or, l’enjeu sur ce terrain, Dominique de Villepin en est persuadé, est plus politique qu’humanitaire. En effet, c’est le rôle de l’Etat de faire qu’il y ait de la justice, alors que la charité traîne toujours avec elle une discrète humiliation… Pendant la guerre froide, il y avait de la rivalité dans la politique d’aide au développement en Afrique, Amérique latine, etc. mais à partir de 1990 cela s’est gelé. Kofi Annan a fait d’intenses efforts, et la bouteille est à moitié pleine. Cela profite aux acteurs philanthropiques, dont les ressources ont tellement augmenté, mais c’est du saupoudrage, du court-termisme, sans plan d’ensemble. Il ne peut, écrit Dominique de Villepin, y avoir de vraie politique de diminution des inégalités mondiales sans prendre en compte les grandes forces qui les produisent et la marchandisation à marche forcée de larges parts du monde. Et oui, les consommateurs, qui devraient devenir de plus en plus conscients de ce qu’ils consomment et être capables de choix, de résistance, de responsabilités environnementales, de transformation de leurs modes de vie ! Avec le libre-échange, il faut instaurer des mécanismes de garantie et de compensation pour les secteurs en danger, et engager les multinationales dans un pacte de responsabilité en matière de normes sociales et de revenus, en jouant sur les images de marque. Mais ne faut-il pas une vraie volonté politique internationale ? L’éducation à la santé doit aussi être un enjeu très fort de la mondialisation. En particulier par la sécurité alimentaire qu’il faut veiller à assurer par un Etat mondial capable de nourrir l’humanité. La mondialisation a mis en concurrence les paysans du monde entier, et a opposé deux modèles, celui de la course de la production intensive tournée vers le marché, et celui du modèle vivrier là où l’autre ne peut s’implanter. Les pays émergents, l’Afrique, par la création de banques spécialisées, et d’infrastructures, pourraient faire émerger une agriculture exportatrice et enrayer son exode rural. Quant aux enjeux environnementaux, ils ne relèvent pas que du devoir commun de l’humanité mais bien de la stratégie politique. Les désordres climatiques nous posent la question de notre manière d’habiter la terre ! Comme si c’était une matrice jamais quittée, et dont on n’aurait pas à se préoccuper parce qu’une instance placentaire et maternelle y veillerait dans le meilleur des mondes ? La pollution n’est-elle pas directement liée à nos industries, à nos choix sociaux et économiques, ou à des exploitations relevant de nos convoitises ? La consommation se faisant ailleurs, peut-on faire peser les responsabilités sur les pays producteurs de pétrole, ou sur la Chine usine du monde ? Le débat doit se politiser, et l’Europe, par exemple, doit s’engager dans la voie de l’exemplarité et de l’éducation des opinions publiques. Depuis tous les horizons mondiaux, chacun de nous est interpellé dans son mode de vie, et, éduqué, doit prendre sa part de responsabilité et de transformation de façon de vivre plus respectueuse des équilibres de l’environnement terrestre.
Des pages sont évidemment consacrées aux exilés, comme si ceux-ci étaient les vrais humains jetés hors de l’abri matriciel, dans un dehors où aucune vraie organisation, aucun Etat ne veut les accueillir, n’a anticipé l’événement de ces naissances traumatiques, sauvages. Jetés dehors par les guerres civiles où l’Occident a souvent sa responsabilité, par la pauvreté, par les conséquences dramatiques du changement climatique. Le monde est ouvert, et nous, privilégiés, y réagissons par la fermeture. Or, ceux qui frappent à nos portes nous demandent des comptes, et nous ne voyons pas, nous n’entendons pas, car nous sommes dans nos abris comme des pas encore nés ! Les réfugiés qui frappent à nos portes sont pourtant le résultat tragique de turbulences créées le siècle dernier. Selon le droit international de 1951, les Etats doivent les accueillir, mais le traitement de l’accueil des réfugiés de guerre en France et en Europe est inacceptable. Question politique mondiale, bien sûr, et chaque Etat doit accueillir selon ses possibilités et responsabilités. Or, les pays instables et pauvres font bien plus que nous qui sommes riches ! Cela favorise les clans mafieux, et l’Etat islamique. Dominique de Villepin propose pour aider les réfugiés des budgets alimentés par les Etats membres ou par une taxe mondiale. La question des réfugiés, écrit-il, est aussi diplomatique, car elle est liée à la signature de traités ! En tout cas, il s’agit d’une question sociale mondiale, car les réfugiés, ces mis dehors à la recherche d’un Etat accueillant, sont en train de constituer la première classe sociale planétaire ! Ces errants ont droit à leur place sur terre, alors que la logique de l’humiliation est encore sur eux, comme s’ils étaient les ennemis mettant en danger nos abris matriciels ! La mondialisation est en train de bouleverser la structure sociale imposée par l’Occident ! Certes, un autre visage de la migration est celle d’une oligarchie riche, achetant chez nous de grandes propriétés, eux appartiennent à la classe supérieure mondialisée… A l’autre bout de l’échelle, nous avons le prolétariat mondial qui erre, sans droits politiques et sociaux, et même sans droits humains. Qui sommes-nous, pour refuser une place sur la terre qui devrait être un bien commun de l’humanité ? D’autant plus que ces prolétaires sont exploités et durement traités en beaucoup d’endroits de la planète, Moyen-Orient, Inde, en caste humiliée et rejetée dans son infériorité culturelle et sociale ! Rien n’a changé en deux siècles, soupire Dominique de Villepin ! Il faut, écrit-il, une prise de conscience collective pour créer, bien sûr par volonté politique, un embryon de droit international par exemple dans le cadre d’une Organisation internationale du travail. Il espère que ces émigrés auront, comme le dit Bernanos, le dernier mot dans la mondialisation ! Toujours et toujours, Dominique de Villepin va à la recherche des humiliés, et les rend visibles dans ces pages, leur donne une reconnaissance. C’est un début !
L’Europe, qui avait inscrit la paix au cœur du projet européen en 1948, pour empêcher qu’une nouvelle guerre se produise, est encore bien incapable de porter la paix, au contraire elle entretient guerres et conflits, sans vision et analyse à long terme ! Son climat tempéré en fait-il un symbole matriciel dont il est difficile de sortir, de faire le deuil en se voyant enfin comme une partie seulement d’un vaste monde ? Elle fait le vide autour d’elle, en Ukraine, Turquie, Maghreb, elle s’est mise en retrait du monde en s’alignant sur les Etats-Unis, elle s’est imaginé un destin à part, matriciel, Europe pavillon au jardin très soigné dans un lotissement résidentiel tranquille… Cette Europe n’a pas su voir le Moyen-Orient qui se transforme, la Russie qui monte en puissance, la Chine qui retrouve sa place sur le plan international, elle s’est désengagée du monde en croyant ne plus en avoir les moyens, et surtout elle n’a pas vu la violence, au contraire elle a porté la guerre en Libye, Mali, Syrie, Irak. Ainsi elle se rétrécit et se militarise, elle se vide de l’intérieur, se querelle aux yeux du monde, n’arrive pas à retrouver sa fierté, à faire jouer autrement que par la domination son influence car elle n’analyse pas les conflits mondiaux en suivant le fil des humiliations et de la soif de reconnaissance. Elle ne reconnaît pas, elle n’est donc pas reconnue, et fataliste elle laisse la bouteille se vider. Son espace Schengen donne l’impression que les ennemis sont prêts à l’envahir… L’Europe se défait, dit Dominique de Villepin, car elle oublie son histoire. Et il analyse pour nous l’histoire de la Grèce que l’on réduit à sa gloire antique alors qu’elle a subi des siècles de domination et de soumission, que son État n’est pas légitime aux yeux des citoyens, et que l’Église, l’Armée et les armateurs y ont des privilèges exorbitants. Puis l’histoire de l’Angleterre, qui a bataillé pour être une île, qui s’est éprise de son splendide isolement, est partie à la conquête des mers. Il évoque l’Allemagne des guerres napoléoniennes et de la génération romantique, le monde qui s’est effondré devant l’invasion étrangère, la jeunesse qui s’est levée dans le culte de la nation, de la langue et de la mort. Dans cette Allemagne, s’est formé un nouveau type de militants en route vers le nazisme. Deux camps sont encore en lutte, celui du rêve européen contre l’Allemagne cauchemardesque.
Pourtant, l’Europe se construit bel et bien, communauté de valeurs fondée sur le droit, rêvée par ses fondateurs pour lutter contre les nationalismes et le racisme, tournée vers la diversité et la complexité. Persiste pourtant une Europe club de nations orgueilleuses, regardant avec mépris le monde. L’Europe est une terre hautement inflammable, mais les Européens ont cru à partir de 1945 qu’il serait facile de diffuser la démocratie ! Des Etats se sont unis par la bureaucratie, imposant la démocratie par le haut, et est-ce possible ? Dominique de Villepin fourmille d’idées pour poursuivre cette construction de l’Europe, par exemple faire un Conseil constitutionnel de l’Europe, ou bien faire élire au suffrage universel le président de l’Union aujourd’hui désigné par le Conseil européen. Cela montrerait une unité de la représentation européenne au monde. La maladie de l’Europe, dit-il, est liée à l’absence de parole politique. D’autre part, il s’agit de regarder la réalité de l’hégémonie allemande, à la fois politique, moraliste, économique. La réunification de l’Allemagne a déplacé le centre de gravité vers la Mittleleuropa, et la nation veut renaître sur de nouvelles bases, Merkel incarnant cette transition. Alors que le couple franco-allemand a fait l’Europe, la France n’a pas su se constituer un nouvel équilibre après la réunification, elle est restée figée à l’état antérieur, et l’Allemagne s’est peu à peu désinvestie du couple. Les façons de faire de la politique sont très différentes de part et d’autre, l’Allemagne croit à la règle, la France à la volonté et elle se sait Etat-nation tandis que l’Allemagne pense Kultur-nation. La France a fait l’erreur de ne pas admettre le droit de l’Allemagne à vivre un renouveau collectif. Mais l’Allemagne ne peut être seule à assurer la stabilité de l’Europe ! Elle a besoin de la France ! Il faut donc miser sur la renaissance du couple franco-allemand, d’autant plus que la France est la seule en Europe à être une puissance nucléaire, et à être membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Il faut harmoniser les choses entre les deux pays, en matière fiscale, sociale, droit au chômage, retraite, mobilité, un vrai marché commun du travail ! Dominique de Villepin voit la bouteille à moitié pleine, l’empire européen s’étendant comme autrefois les Etats-nations, suscitant bien sûr des résistances. Certes, c’est encore embryonnaire et complexe. La transformation des institutions est lente. Il faudrait une sorte de ministère européen de l’agriculture. Il faut reconnaître que l’apport de l’Europe de l’Est met l’Europe agricole en première puissance mondiale. Les années à venir seront, dit-il, dures, à chercher un point d’équilibre entre la France et l’Allemagne ! Il faut rendre visible ce qui marche ! Et il faut une politique anti-terroriste européenne, et les Européens ont une expérience longue du terrorisme ! Les instruments actuels du renseignement ne suffisent plus, il faut créer une sorte de FBI européen. Il faut aussi unifier la règle de l’asile. Puis, le domaine économique, où il y a plus de leviers ! Nous devons sortir d’une économie de rente financière, d’une vie sur les acquis du passé, les entreprises doivent lier des partenariats avec le reste du monde, idée chère à Dominique de Villepin, qui mesure la peur qui habite les pays européens à l’égard des autres. Mais c’est de la force du pôle européen que dépend la paix mondiale dans les prochaines décennies, dit-il. Elle doit compter comme l’un des trois pôles principaux du monde, avec son propre destin, à condition de se construire une position et des intérêts indépendants, à mi-chemin du bloc nord-américain et de la Chine, en se taillant un rôle de médiateur, d’arbitre. Cela donnerait plus de chance à l’émergence africaine, diminuant le risque d’être prise dans la compétition entre Américains et Chinois pour les ressources et le marché, ce qui causerait un grand désordre. En ce qui concerne cette Afrique, l’Europe a en effet avec elle un lien symbolique de développement et d’accompagnement. Avec l’Euro, et compte tenu du Brexit, l’Europe, écrit Dominique de Villepin, a vocation à être une zone financière, en complétant le marché unique des biens par un marché du travail et une harmonisation fiscale. Il faut aussi en finir avec le fait humiliant que ce soit le FMI qui vienne sauver des Etats européens ! Comme des grands prenant notre indépendance, nous devons créer une sécurité systémique par une finance européenne, un Fonds monétaire européen ! Et, sans doute, devrons-nous effacer les dettes en Europe ! Les entreprises européennes doivent s’ouvrir au partenariat avec l’Asie, mais sans céder le contrôle complet. L’Allemagne, elle, parie sur ses PME, non sans craindre des difficultés à venir avec les investissements chinois. L’Union européenne doit se débrouiller pour garder sa dimension de pôle manufacturier et technologique par une protection raisonnée du marché, et garantir sa place au rang des meilleurs dans l’innovation et l’économie du savoir. On a harmonisé les diplômes européens, rapproché les systèmes universitaires, encouragé la mobilité. L’Europe existe déjà par cela, et par un marché européen du travail ! L’atout de l’Europe, à faire valoir au niveau international afin de retrouver notre place face aux autres et notre fierté, se trouve dans le choix de vie de ses habitants, sa liberté, sa recherche du bien-être, sa qualité de vie. Nous nous démarquons vraiment à ce niveau-là, notre capital humain vaut paradigme, nous nous distinguons ainsi et ouvrons cette école-là de l’excellence aristocratique ! Nous pouvons être reconnus pour cela sur la scène internationale, nous aussi y retrouvons une place où nous nous distinguons, nous n’avons pas besoin d’être pessimistes ! Reconnaissons et faisons reconnaître notre système d’enseignement et de formation excellent, notre école moins inégalitaire qu’en Amérique et plus propice au parcours individuel que le système asiatique. Notre gisement de pétrole à nous est nos capacités de consommation ! Peu à peu, Dominique de Villepin dans son livre fait se placer les pays, les continents, les empires, les régions, dans la carte du nouvel ordre du monde, où chacun est traité d’égal à égal, est reconnu dans sa différence, où il est possible de faire valoir des qualités que d’autres n’ont pas mais aussi d’apprendre dans une école de l’excellence mondiale des qualités que nous n’avons pas, dans une vaste aire d’échanges où ni la guillotine ni la guerre civile ni les guerres et ni le terrorisme ne viennent plus servir la peur de l’étranger et le repli dans son abri. Le diplomate du XXIe siècle nous démontre que sur de nombreux aspects, nous sommes la première puissance du monde, nous avons un message à partager avec le monde justement à propos du lent travail de la paix, nous qui avons une expérience et un cheminement sur la coexistence du politique et du religieux qui pourrait servir à la réconciliation de l’islam avec la modernité. L’Europe a été le laboratoire de la paix civile aujourd’hui en train d’être mise en œuvre dans le monde entier, elle a donc un devoir de paix dans le monde entier dans un cadre stratégique, mais cela nécessite bien sûr plus d’harmonie chez elle ! Sans ingérence, elle qui a inventé l’ordre westphalien qui a initié l’Etat-nation doit partager son expérience historique avec des Etats-nation qui posent aujourd’hui problème, en Afrique, en Amérique latine !
Anticipant le durcissement progressif de la confrontation Chine/Etats-Unis dans les prochaines décennies et aussi celle de la Russie de Poutine avec les Etats-Unis, nous avons créé la PESC (Politique Etrangère de Sécurité Commune). Nous devons apprendre à nous mouvoir dans ce nouvel environnement, tout change tout le temps, nous devons nous adapter. En particulier nous devons créer un pôle paneuropéen de sécurité, un environnement stratégique en ouvrant un deuxième cercle avec la Russie, l’Ukraine, le Maghreb, la Norvège, l’Islande, ce serait un Pôle européen de sécurité. Une Pan-Europe, avec des institutions spécifiques. Dominique de Villepin voit loin, anticipe les conflits, les points instables. Il insiste pour nous faire entendre que la stabilisation de la paix exige plus qu’un dialogue politique ! Il faut aussi coproduire, créant un fonds de stabilité recevant l’ensemble des aides européennes, pour des projets d’infrastructures ou de développement dans les pays en reconstruction. Quant au projet d’Union pour la Méditerranée, que Sarkozy avait proposé, mais qui ne s’est pas faite par réticence de l’Allemagne, bien sûr qu’il faut le poursuivre ! L’Europe, de par son histoire, n’a pas vocation à devenir hégémonique, chaque fois qu’elle a essayé, elle a échoué ! Elle a une place pour un rôle de modération, d’apaisement, faisant valoir la qualité de vie de ses habitants, une qualité de paix, donc visibilisant la douceur aristocratique de vie, au sens de l’excellence ! Le fait que les Etats-Unis se retirent du continent européen doit être une occasion pour l’Europe de couper le cordon ombilical, et d’établir une alliance forte avec eux d’égal à égal, dans le respect des différences, et un désir de faire reconnaître un point de vue européen sur le monde !
Impossible bien sûr de parler d’une Europe de la paix sans une armée européenne au service de cette paix ! La France, puissance nucléaire et force diplomatique comme membre du Conseil de sécurité des Nations unies doit figurer en chef de file de la défense européenne, qui doit devenir autonome par rapport à l’OTAN. Cela bloque encore… L’autonomie par rapport à l’OTAN est le sujet le plus épineux, tandis que les Etats-Unis installent des batteries anti-missiles en Europe de l’Est… Il faudrait, propose Dominique de Villepin, créer un Quartier général européen rapprochant les cultures et les points de vue militaires. Il faut tisser une culture militaire commune, en s’appuyant sur des expériences déjà communes sur des théâtres d’opérations mondiales.
La France doit sortir du silence, écrit Dominique de Villepin, et ce livre y contribue brillamment ! Si elle veut rester quelque chose, retrouver sa fierté, elle faut qu’elle sorte de cette fatigue d’elle-même, de ses doutes à l’égard de ses élites, qu’elle se place dans la mondialisation ! Comment sommes-nous devenus les porte-étendards du moralisme, de l’occidentalisme et du militarisme, comment d’alternance en alternance les institutions de la Cinquième République sont-elles devenues le métier à tisser de Pénélope ? Ah ! Pénélope ! Un homme politique se présente même avec la sienne ! Nous devons réorienter notre politique étrangère, réhabiliter une diplomatie mondiale du XXIe siècle conviant chacune des parties mondiales autour de la table, en chassant des débats et échanges l’humiliation ! La France a laissé se détériorer ses relations avec la plupart des puissances et des régions, dans la tiédeur du déclin, en restant sur une fausse idée de la puissance, toujours dans la croyance qu’être reconnu est une histoire de domination, alors qu’au contraire elle passe par la reconnaissance de l’autre, par une rencontre d’égal à égal. Comme nous avons depuis si longtemps un État fort, où chacun peut dire que l’État, c’est lui, nous souffrons plus que d’autres de la mondialisation dont cet État ne nous protège pas, alors que nous rêvons encore de lui comme d’une matrice protectrice ! Dominique de Villepin a très bien compris que nous devons redorer le blason de l’Etat, lui qui en porte la fierté de par le monde nous a si bien expliqué son sens si exceptionnel, qu’il est garant de la paix civile. L’Etat, dit-il, est total mais bienveillant, les Français sont beaucoup plus que les autres peuples imprégnés de religion civique toujours vivace, d’un esprit de communauté spirituelle reposant sur le triptyque « Liberté, Egalité, Fraternité ». En France, entre autres persiste le problème de la domination de Paris sur la province, la mondialisation a augmenté le désert français. Il faut moderniser les institutions, transformer la mission de fond de l’Etat. L’Etat qui s’est construit sur des territoires doit désormais se reconstruire sur des populations, pour recréer un lien personnel avec chaque Français, les accompagnant dans chaque parcours personnel. L’État doit anticiper les transformations du monde du travail, la robotisation. Dominique de Villepin avait déjà proposé un revenu citoyen inconditionnel, et un service citoyen librement assumé, moyen de reconnaissance, de dignité et d’utilité sociale. L’Etat doit intervenir pour que cesse la stigmatisation des banlieues, y redéployer des services publics, nous devons cesser de les penser comme des colonies rabaissées ! La soif de reconnaissance doit être reconnue là aussi, comme partout ailleurs sur la planète, ce qui est un travail minutieux de Dominique de Villepin dans ce livre et ce si beau geste d’ouverture de l’école de l’excellence à ceux qui veulent devenir capables de penser par eux-mêmes et d’avoir des idées !
Par le choix de la sécurité, comme si la France était encore un ventre que le chef d’Etat doit nous garantir en allant à la guerre à l’extérieur, nous sommes en train de créer les conditions d’une tempête sans précédent, nous avertit Dominique de Villepin. Nous fabriquons ainsi des ennemis de toutes pièces, alors que, pour désarmer la violence, il suffit de couper la logique de l’humiliation de l’autre. Nous ne pouvons, écrit-il, refaire nation qu’à partir du monde, de notre relation à celui-ci ! La culture, qui se nourrit de diversité, de complexité, est un antidote aux exclusions, aux simplifications et à la volonté de purification. La France appartient à la famille occidentale, mais aussi méditerranéenne, elle est aussi un pays du Sud avec des liens avec tous les continents ! N’est-ce pas une invitation à regarder ailleurs, à écouter l’autre, celui qui n’a par exemple pas les mêmes racines chrétiennes ? La France a changé avec l’augmentation de la diversité ethnique, linguistique, religieuse, l’image mythifiée de la France blanche, catholique est régressive ! C’est le piège d’une conformité à l’image. La première des politiques de la France doit être culturelle, dit Dominique de Villepin, afin de mettre en avant ce bouillonnement de cultures, non pas une culture d’Etat et des élites, mais une circulation de beaucoup de formes de culture vivant déjà ensemble sur un même sol. De ce point de vue, aussi bien pour le théâtre, que la littérature, que le cinéma, que l’art, il faudrait que chacun puisse être visible, avoir une place sur la scène et y être acteur d’une diversité vivante. Nous devons aussi faire des échanges avec des créateurs étrangers, et avoir une vraie politique culturelle dans l’éducation. Mais notre école reste inefficace et inégalitaire, alors que nous devrions favoriser la mixité sociale et la créativité. En somme, fin de l’humiliation et traitement d’égal à égal dès l’école !
L’identité de la France à l’étranger est la paix, paix civile difficilement maintenue chez elle, et paix à l’extérieur qu’elle a mis des siècles à obtenir ! Nous incarnons un esprit pionnier de la paix, voici une fierté à assumer face aux autres ! Dominique de Villepin sait nous trouver des raisons d’être fiers, non pas de déprimer parce que la mondialisation nous a fait chuter du centre du monde, il sait nous redonner une valeur unique face aux demandes de comptes. Il nous présente différents de ceux que nous étions et qui auraient été guillotinés par les demandes de comptes des humiliés. Mitterrand avait fondé l’action sur la valeur des droits de l’homme, mais dans une vision du monde appartenant à la colonisation et la décolonisation, et ses paroles étaient contredites par la complexité du réel. Il avait misé sur la construction européenne, main dans la main avec Helmut Kohl à Verdun. La France doit, même si elle et l’Europe prennent leur indépendance, conserver une amitié unique avec les Etas-Unis, car comme eux elle doit jouer son rôle de laboratoire de l’esprit du monde, assumant cette gémellité terrible avec eux ! Deux pays qui peuvent se dire les choses franchement. S’ils s’abstiennent de contrôler le monde, les Etats-Unis peuvent être un leader ship moral, et la vraie tragédie des Etats-Unis serait de renoncer à la pureté de leur idéalisme pour préserver la réalité de leur pouvoir. Dominique de Villepin cherche toujours une possibilité, une sorte de compromis gagné par des négociations diplomatiques d’égal à égal, pour que chaque pays garde sa fierté, sa différence, sa distinction, sa singularité voire sa bizarrerie, juste en renonçant à ce qui, chez lui, est humiliant, est non reconnaissance de l’autre, est de la convoitise, de l’écrasement. L’essentiel, pour personne, n’est perdu, n’est décapité. L’école de l’excellence qui s’ouvre dans le sillage de ce livre brillant a de la place pour chacune des fiertés et des excellences différentes qui se font reconnaître en reconnaissant la soif d’apprendre et de se former de ceux qui ne veulent plus être vus comme des petits, des mineurs, des enfants ! Lorsqu’un Français investit en Chine, il apprend à l’école de l’excellence, et vice-versa quand un Chinois investit en France ! Personne ne perd sa tête, ne se fait décapiter dans ces échanges internationaux où chacun continue à apprendre, à faire différemment, à se transformer, à se révolutionner ! Ce qui compte, par ces partenariats dans chaque domaine, ne sont jamais les acquis mais ce qui reste toujours à apprendre de l’autre, des circonstances, des environnements, dans une école de l’excellence, aristocratique, toujours ouverte, grand et formidable message de Dominique de Villepin par ce livre tellement généreux de partage ! Il nous fait entrer dans son école diplomatique de l’excellence, mais il ouvre ainsi la voie vers les autres, qu’il s’agit de voir comme autant d’écoles petites ou plus grandes de l’excellence qui s’ouvrent sur des savoirs différents, des expériences et des points de vue divers, des spécialisations, des dépaysements insolites, qui nous permettent d’envisager autrement nos échanges avec les autres, nos rencontres, nos désaccords, nos jalousies et nos passions. Nous pouvons en la matière prendre acte de ce que la relation franco-chinoise se fait dans le respect des Etats et l’amitié des peuples, la culture nous rapprochant plus que nos ambitions économiques, car nous avons les mêmes goûts pour l’histoire, pour l’art de vivre dans un habitat sophistiqué et la gastronomie raffinée, la même religion des diplômes et de l’éducation, le concours des grandes écoles ayant d’ailleurs été importé de Chine par les Lumières, même passion pour les arts dans toutes les couches de la population. Dominique de Villepin, à propos de notre relation avec la Chine, nous invite dans une relation à l’autre à considérer ce qui nous rapproche plus que ce qui nous sépare, pour l’apaisement ! Enfin, ce livre pose la question de la politique arabe et de la politique africaine de la France. La politique arabe doit parier sur l’amitié des peuples, la circulation des idées et des savoirs par des échanges scientifiques et éducatifs, non pas un ramassage des miettes de la politique moyen-orientale des Etats-Unis. Seule une politique de développement régionale peut donner un souffle économique et politique, où la France doit parler à tout le monde, d’égal à égal ! Avec l’Afrique, la France doit fermer la page coloniale, admettre que l’Afrique a son destin en mains, et miser sur le renforcement des Etats, en créant des échanges entre nos administrations, qui sont proches, et aussi pour la formation des cadres militaires. Il faut faire le pari de la francophonie pour nos grandes écoles, ouvrir donc là aussi l’école de l’excellence, et apprendre aussi dans leur école d’excellence.
Dominique de Villepin sait bien que beaucoup de travail reste à faire, que si lui a partagé avec nous, par ce livre, son savoir issu de sa formation et de sa riche expérience diplomatique et politique, ainsi que son intelligence d’anticipation et de proposition, il n’en reste pas moins qu’il ne peut pas faire pour nous et pour les autres de la planète grands et moins connus car chacun doit faire sa part du chemin, en commençant à faire la paix en lui-même. Mais, dit-il, pour faire cesser la guerre, il faut au moins marquer la subordination du militaire au politique, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui en France ! Il est urgent que le politique reprenne la main ! Et il faut mettre la population locale au cœur de la compréhension de la guerre, ce qu’il fait brillamment par ce livre, afin que cette population puisse adopter une éthique de la responsabilité qui est aussi dans un bulletin de vote ! Après avoir lu ce livre, nous sommes beaucoup plus exigeants à l’égard des politiciens qui se présentent aux élections ! Nous sommes beaucoup plus attentifs à leur position par rapport aux humiliations. Le 14 février 2003, lorsqu’il va au Conseil de sécurité des Nations unies porter la voix de la France par un discours qui est encore dans toutes les mémoires internationales, avec Jacques Chirac Dominique de Villepin croit au devoir de dire non à la guerre, celle en Irak à ce moment-là. Il croit à la politique, à la diplomatie, aux négociations avec toutes les parties autour de la table, sur la base de la fin des humiliations et des ressentiments et tenant compte de la soif de reconnaissance commune à tous. Il s’agit de se situer loin des calculs, des désirs de règlements de compte. La France, dit-il, doit prendre l’initiative, comme elle le fit en 2003, de dire que les armes ne sauraient diriger le monde, ni les relations humaines ! Bien sûr, il ne s’agit pas seulement de refuser la guerre, il faut ensuite construire la paix, et par exemple, en ce qui concerne le terrorisme il s’agit de mettre en acte une stratégie d’asphyxie des mouvements terroristes, en traquant par le renseignement leur financement, leurs déplacements, leurs soutiens. Plus personne ne peut ignorer l’exigence du partage, celui qui nous est donné en cadeau par ce livre en fait la preuve, nous fait grandir, nous éduque, nous rend adulte et libre pour avoir des idées, des jugements, des responsabilités, de la curiosité vis à vis des autres, une passion du monde changeant et différent. La paix est une création continue, dans nos vies, sur notre territoire, sur les théâtres lointains, le devoir de paix est sans cesse renouvelé par un monde asymétrique, inégal, injuste, qui frappe à nos portes de chanceux de ce côté-ci de la planète. Nous devons avoir conscience de notre chance pour la qualité de nos vies, et que ce n’est pas partagé par toute l’humanité. Prendre le risque de la paix exige de nous, chanceux, le partage, d’être tellement vigilant sur les humiliations, les blessures, sur la soif de reconnaissance, mais ne pas y réagir par l’aumône qui donne bonne conscience ! Ce livre parie sur nos capacités de lecteurs, son auteur abandonne son entre soi élitiste pour partager avec nous d’une part sans se sentir décapité par le fait que nous pouvons en savoir presque autant que lui et d’autre part en ne croyant pas que nous n’aurions pas la capacité de le comprendre nous les inférieurs ! Cela commence en effet ici et maintenant, par cette lecture qui nous rend libres, et citoyen du monde !
Alice Granger Guitard
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