Editions Plon, 2016
samedi 14 janvier 2017 par Alice GrangerPour imprimer
Très curieux, ce livre qui, arbitrairement, choisit de ne pas utiliser le mot « terrorisme » à propos des attentats qui ensanglantent la France (et beaucoup d’autres pays) depuis ceux contre Charlie-Hebdo et l’Hyper Casher le 7 janvier 2015 ! L’auteur le fait parce que, écrit-il, il faut nommer l’ennemi, acte essentiel qui préside à toute guerre. Déjà, nous notons que pour lui il n’y a pas d’alternative, par exemple politique, travail inlassable de la parole, recherche et analyse de la genèse de ce terrorisme, il n’y a que la déclaration de guerre. D’où l’impression que ce livre est aussi une déclaration de guerre, qui jette ses anathèmes d’emblée, par exemple en rayant un mot ! Selon lui, nos dirigeants ont oublié de vraiment nommer l’ennemi ! Lui, il le fait : on massacre au nom des religions ! Une certitude inébranlable, une sorte de dogme face auquel aucun avis différent ne peut tenir, par exemple politique, géopolitique, philosophique, sociologique. Aucune position différente n’est tolérée, vraiment discutée à égalité de droit à la parole.
Selon lui, « les Français ne voient, aujourd’hui, qu’une chose : la France est en train de perdre des batailles face à l’horreur religieuse dont l’islamisme est l’avant-garde. » Les Français ? Désolée, il ne parle pas pour moi ! Je ne me sens pas cernée par le grand retour du religieux, l’ennemi qu’il désigne, je me sens libre de ne pas croire, et aucun de mes amis qui, eux, peuvent être athées, croyants, catholiques, protestants, juifs, musulmans, bouddhistes, ne cherchent à faire du prosélytisme à mon égard, qu’ils croient ne me dérangent pas, nous vivons dans un pays laïque dans lequel chacun est libre de croire ce qu’il veut. Surtout, je ne crois pas que mon activité psychique soit à ce point sous-estimée que je ne pourrais rien contre l’influence religieuse horrible ! Je pense que pour ceux pour lesquels l’influence des religions, et pour certains d’entre eux l’influence du fanatisme religieux, est plus forte que le fait de se sentir dans un Etat-nation fort qui garantit un art de vivre ensemble, une liberté de pensée, une tolérance aux autres, une éducation de qualité, cet Etat-nation les a oubliés dans certaines zones du pays, dans certaines catégories sociales, ce qui est très dangereux en particulier pour les personnes fragiles et les adolescents à la dérive ainsi proies faciles des recruteurs. Un niveau inférieur d’organisation sociale fait retour, comme un retour du refoulé par la fenêtre, lorsqu’un niveau supérieur est défaillant !
Je ne pense pas, comme l’auteur, que dans notre pays, ceux qui ne croient pas ne bénéficient pas de la même bienveillance que ceux qui croient ! Cet auteur pointe par exemple du doigt « le catholicisme (qui) n’hésite pas une seconde à imposer ses vérités à tort et à travers non seulement à ses fidèles mais aussi à tous les infidèles qui passent à sa portée » ! Là se trouve visée la loi en faveur du mariage pour tous, et la manifestation catholique contre. Pourquoi cette partie des Français qui est catholique ne ferait-elle pas entendre sa voix ? Comme dans une dictature, il fallait interdire cette manifestation ? L’auteur omet de dire qu’il y eut aussi une foule immense (et j’en étais !) pour défendre cette loi ! Et qu’elle ait été votée prouve bien que le catholicisme n’impose pas ses vérités en France ! D’ailleurs, utiliser ce terme « infidèles » est curieux aussi ! Je ne me sens pas être une « infidèle » aux yeux des catholiques français, ni d’autres croyants ! La tolérance existe ! Cela fait tellement le jeu des terroristes que de croire que nous sommes envahis par le religieux, et que l’islam est en train de nous vaincre ! Que des gens croient, c’est un fait, alors, tous ces autres qui ne pensent pas comme nous, qu’est-ce qu’on en fait, on aurait échoué à remettre dans le droit chemin leurs cerveaux ? Et l’on se met à croire que ce que nous avons échoué à faire, ils sont en train de nous le faire ? C’est un peu paranoïaque, ça !
Joseph Macé-Scaron parle, à propos de l’immense marche qui a eu lieu dans les rues de chaque ville de France au lendemain des attentats de Charlie-Hebdo et de l’Hyper Casher, d’une « communion nationale » ! C’est bizarre, utiliser comme par hasard un terme religieux ! J’étais aussi, bien sûr, dans la rue, moi aussi, mais je n’étais pas en train de communier ! Je rendais hommage aux victimes, je défendais la liberté d’expression, la liberté de croire, je disais que je n’avais pas peur, et j’ai vu beaucoup de musulmans défiler aussi ! Pas une communion, non, je proteste contre l’utilisation de ce terme religieux par un auteur dans un livre qui prétend manifester sa colère contre le retour du religieux, dans la foulée des attentats qu’il refuse de nommer acte de terrorisme ! Plus loin, il évoque la rencontre entre Emmanuel Todd, que l’auteur littéralement assassine en le qualifiant parmi une tonne d’autres anathèmes de « sociologue en antichambre », et l’humoriste Sophia Aram : cette humoriste dit que le « blasphème, c’est sacré » ! Que soit utilisé, là aussi, un terme religieux, ne pose pas de problème… Je suis pour la liberté d’expression, donc je suis pour que ceux qui s’expriment par le biais du blasphème puisse le faire. Mais, personnellement, ce n’est en rien mon style, parce que je trouve qu’il y a, tapie dans cette façon de traiter l’autre, religieux ou non, une logique de l’humiliation, quelque chose de méprisant. Et lorsque l’autre est humilié, le risque c’est toujours que la violence revienne en boomerang par la fenêtre. Les Asiatiques disent qu’il faut toujours veiller, dans les relations, à ne pas faire perdre la face à l’autre. Ce faisant, on ne se laisse pas contaminer par les idées de l’autre, on signe simplement la paix entre nous, en reconnaissant réciproquement notre altérité, nos différences. J’ai acheté longtemps, après l’attentat terroriste, Charlie-Hebdo, par solidarité avec ce journal et pour soutenir la liberté d’expression, mais cela ne signifie pas que je sois d’accord avec le blasphème, encore moins avec ce qualificatif de sacré ! Dans un pays laïque, et pour l’apaisement, je pense personnellement qu’il est mieux pour la paix civile de manifester que je ne suis pas dérangée par les croyances des autres ! Si je blasphème contre sa religion, je sens la violence que recèle cet acte, et la volonté d’humilier, car en effet qui fait ça se croit supérieur et dans la vérité car il ne croit pas ! Les religions sont des créations humaines, voire des formes d’organisations sociales, et sans doute souvent jamais très étrangères au pouvoir et aux visées politiques, et c’est aller un peu vite en analyse et réflexion que de dire que ce sont des fadaises, des fables ! C’est tellement plus complexe que ça ! Et ne peut-il pas y avoir une religion laïque, une religion scientifique, une religion du progrès, une religion qui place l’homme au centre de tout ? Au départ, il suffit d’une certitude dogmatique, de tout expliquer à partir d’elle…
Le terrorisme fait peser sur notre pays, et sur notre planète, un danger majeur ! Evidemment, l’intégrisme islamique est à l’œuvre, non pas l’islam. Mais ce livre n’évoque à aucun instant le rôle déstabilisateur des interventions occidentales en Irak, en Afghanistan, en Libye, etc. ! Il ne s’intéresse pas à l’histoire du Moyen-Orient, à l’Empire Ottoman et son démantèlement, comment l’Occident a retracé les frontières dans ces pays, au rôle de l’humiliation dans cette région, au fait que personne ne se soit soucié de la création d’Etats forts protecteurs des populations, créateurs d’institutions et d’infrastructures. Il laisse sous silence le rôle déstabilisateur qu’a joué aussi la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide. Il n’envisage pas plus le rôle de la colonisation et d’une décolonisation jamais vraiment pensée à long terme dans le sens de la reconstruction des pays colonisés. Il ne voit pas combien le développement médiatique planétaire dans cette explosion de la mondialisation sert des djihadistes sûrs de leurs effets spectaculaires et acquérant une visibilité inédite ! Le sort de l’Afrique n’est pas plus analysé. L’auteur n’envisage pas un seul instant que l’Etat islamique a une visée politique, la création d’un Etat ! Et que, visant à provoquer la guerre civile chez nous, il sait très bien à quoi sert un Etat, justement à apaiser la guerre civile entre populations différentes ! C’est l’Etat islamique ou autres courants terroristes qui, en place d’Etats défaillants ou anéantis, pallient le manque d’infrastructures et d’institutions en donnant de l’argent aux populations qui n’ont rien, en assurant l’enseignement, la santé, s’assurant ainsi le soutien de cette population oubliée. L’Occident oublie le ressentiment de ces populations qui subissent dans la terreur les bombardements au nom par exemple de la guerre contre le terrorisme. Est-ce que, ensuite, il y a de la part des Occidentaux une vraie décision de venir en aide à ces « dommages collatéraux » par une sorte de coopération pour la reconstruction d’un Etat, seul garant contre la violence et l’abandon entre les mains de ceux qui se présentent en sauveurs, les djihadistes qui ont le projet politique de créer, justement, un Etat ? Absolument aucune parole à ce propos dans ce livre !
L’auteur, très curieusement, fait comme les religieux : il croit que sa thèse est la vérité ! Que c’est la grande invasion des religieux ! Je ne me sens nullement envahie ! Que l’autre ne pense pas comme moi n’affecte en rien ma liberté de penser ! Et un pays qui a voté le mariage pour tous n’est pas à la botte des religieux ! L’auteur pourchasse tous ceux qui ne pensent pas comme lui ! Sa capacité de lancer des anathèmes vaut preuve qu’il a raison, et donc pas besoin d’une vraie argumentation, que des choses venant a posteriori prouver sa certitude, comme les guerres de religions, les textes bibliques, le Coran, et bien sûr les thèses d’autres intellectuels contemporains dont le tort est d’avoir d’autres points de vue ! D’abord, pour lui les géopoliticiens ne font que courir les hauts plateaux de télévision, tandis que lui, bien sûr, sait que « c’est bien le pavillon religieux qui est hissé au mât de ces vaisseaux de guerre. » Pour lui, les religions ne font qu’offrir un « doudou métaphysique », ce sont des fables, des sornettes… Pas une seule analyse de leurs fonctions, les humains ont inventé les religions mais c’étaient quand ils étaient encore cons… Heureusement, l’auteur ne l’est pas du tout ! Et la complexité humaine, il ne connaît pas !
J’ai été frappée, en lisant ce livre, par les expressions que l’auteur balance contre des gens qu’il n’aime pas ! Comme des anathèmes ! Comme s’il voulait les faire taire par des formules lapidaires, et comme si en deux trois mots il avait fait le tour du personnage parfaitement ridiculisé et mis KO. Ainsi, Olivier Besancenot, lorsque, à propos de l’attentat contre Charlie Hebdo, ose dire que « ça n’a rien à voir avec une quelconque idée religieuse », ce qui peut se défendre, et ce qu’il est libre de dire, il le traite de « Chronopost de la bêtise » ! C’est dégueulasse de faire entendre le métier qu’il fait, postier, pour le disqualifier, comme d’autre le ferait de la couleur de la peau ! Un postier engagé politiquement ne pourrait pas avoir des idées, seules des bêtises pourraient sortir de sa bouche ? Evidemment, Michel Onfray est porté aux nues, lui qui sait si bien décompter ceux qui « se sont fourvoyés dans les marécages d’une philosophie de comptoir. » Philosophie de comptoir ! Au comptoir, on ne saurait donc débattre d’idées ? Que de préjugés ! Que de mépris dans ces paroles qui assassinent d’autres manières de penser, d’autres points de vue ! Emmanuel Todd est présenté comme celui qui raconte n’importe quoi, « le vent de la griserie idéologique gonfle les voiles du canot de notre petit mousse ». Petit mousse ! Plus loin, l’auteur continue de dézinguer Emmanuel Todd en disant que contrairement à ce qu’il croit il n’est pas le disciple de Fernand Braudel mais seulement l’élève de Fernandel, ce qui est aussi méprisant pour Fernandel ! Voici une cour de récréation, où un caïd intellectuel distribue des surnoms méprisants pour s’imposer comme le chef. Alain Badiou est qualifié de gourou, On aurait voulu de toutes parts empêcher les endeuillés de faire le deuil de Charlie Hebdo ! Mais c’est faux, nous sommes nombreux à avoir pu librement partout en France nous montrer en deuil, et pas seulement pour les victimes de ce journal ! Nous avons fait la queue pour acheter Charlie Hebdo que nous n’achetions pas forcément avant !
L’auteur n’est pas avare en citations, comme pour prouver combien d’auteurs étaient déjà en puissance d’accord avec lui ! Cioran a dit que les religions se réduisent à des croisades contre l’humour. C’est facile d’enlever les phrases de leur contexte, comme cela on ne sait pas de quel point de vue Cioran a pensé cela… C’est très bizarre qu’un livre qui veut prouver que les attentats ne sont pas du terrorisme mais le fait d’une invasion religieuse passe autant de temps à mettre radicalement en question la pensée d’autres intellectuels ! Qu’est-ce que ça apporte à la démonstration de ce qu’il affirme ? Il ne fait que manifester que l’autre intellectuel dérange par le fait qu’il ne pense pas pareil, et qu’il faut l’abattre, le ridiculiser ! Vraiment bizarre, cet auteur qui prétend manifester sa colère, et qui déclare une guerre fratricide à ceux comme Emmanuel Todd ou Badiou, entre autres, qu’il doit voir comme faisant de l’ombre à sa thèse, comme si celle-ci pouvait tellement mieux s’affirmer si elle était la seule ! On se demande pourquoi il ne fait pas confiance à sa capacité de faire la preuve de sa thèse sans besoin de dénoncer les erreurs graves d’autres intellectuels comme preuve que lui est dans le vrai !
Il écrit : « Les religieux. Ils sont partout. Ils interviennent partout. Ils ont un avis sur tout. Ils exigent tout… des autres… A chacune de leurs apparitions, même les animateurs les plus grinçants, les plus acides esquissent une génuflexion comme s’ils passaient devant l’autel. » C’est un peu délirant, non ? Je ne comprends pas, je ne me sens nullement cernée, en France, dans notre Etat-nation laïque où une loi sur le mariage pour tous peut être votée, par le religieux ! Peut-être que l’impression d’un affaiblissement de l’Etat dans cette mondialisation qui est si déstabilisante peut faire revenir comme par la fenêtre les paroles religieuses auxquelles se raccrocheront les croyants qui composent au même titre que les athées la population française, mais est-ce si inquiétant dans un pays multiculturel comme la France ? Les termes appartiennent à l’auteur, c’est lui qui voit l’autel, les génuflexions. Je n’ai en rien le même point de vue, ni ce vocabulaire religieux toujours à la bouche ! Je ne me sens pas en danger. Il y en a qui voient la bouteille à moitié vide, d’autre à moitié pleine… Les religieux ont « envahi notre quotidien et nous avons fini par accepter l’insupportable. » Mais non, en aucun cas. L’auteur voit le religieux envahir par l’islam, mais aussi le catholicisme, etc., le mot terrorisme étant gommé, et l’on se demande si c’est l’insupportable des attentats, des corps déchiquetés, que nous avons fini par accepter en ayant peur et en nous laissant intimider par elle. Non, nous n’avons pas accepté l’insupportable, nous continuons, sans peur, à rester attachés à notre art de vivre, à notre liberté de pensée, à nos valeurs laïques et tolérantes. Ce livre qui parle d’invasion religieuse nous fait croire que les djihadistes ont gagné, que nous avons perdu notre art de vivre, que nous sommes cernés de partout, et que… la guerre civile religieuse est en train d’enfler ! Mais non, les terroristes n’ont pas gagné ! Nous sommes toujours tolérants, laïques ! Chacun a sa liberté de pensée et de croyance, et nous partageons des valeurs communes dans notre Etat laïque ! La politique n’a-t-elle pas justement pour rôle de trouver des compromis pour que des gens différents, donc y compris croyants, puissent vivre ensemble ? Dès que des humains sont ensemble, chaque jour les différences peuvent créer des conflits ! La solution, c’est que tout le monde pense la même chose, c’est-à-dire que les religions, c’est con ? Pourquoi donc les humains les ont-elles inventées ? Avez-vous écouté les enfants, comme ils croient religieusement leurs parents, et même si ceux-ci ne leur inculquent aucune religion, n’adhèrent-ils pas les yeux fermés à leurs préjugés, leurs points de vue de classe, leurs choix, à un âge où la plupart d’entre eux a besoin de certitude, de sécurité, d’une sorte de dieu le père par exemple ? Et si nous cherchons bien, chacun de nous, même le plus rationnel et le plus scientifique, ne croit-il pas un jour ou l’autre des choses très naïvement, y compris sur le progrès, qui peut être démenti des années après par la constatation des ravages de ce progrès ? Et cette violence, dont Joseph Macé-Scaron nous fait la démonstration qu’elle est inhérente aux religions, en donnant pour preuve les textes bibliques remplis de guerres et de sang, les actes pédophiles perpétrés par des prêtres, les viols des petites filles par des musulmans, etc., est-elle vraiment absente du monde marchand où il faut se battre des années par exemple pour faire interdire un produit qui provoque beaucoup de dégâts sur la santé, voire beaucoup de morts prématurées comme dans de fameux scandales sanitaires ? Il y a certes une violence spectaculaire, intolérable, et le terrorisme est cela, dont il s’agit d’analyser réellement la logique, l’histoire, la genèse très complexe, les rapports de force, les avidités souvent occidentales pour les matières premières, les humiliations qui sont des bombes à retardement, les ressentiments, ce qui n’est pas vraiment fait dans ce livre qui cherche seulement à prouver une certitude de départ en escomptant des convaincus. Mais il y a aussi la violence silencieuse, par exemple celle des lobbies qui pour faire coûte que coûte des bénéfices peuvent tout faire pour cacher des effets catastrophiques ! Celle par exemple qui dégrade notre environnement et où l’avidité de certains n’est pas sans responsabilité. Certes, des prêtres sont pédophiles, c’est insupportable et il faut que cela soit mis à la lumière pour y mettre fin, mais à l’école publique il y a aussi des enseignants pédophiles, je m’en souviens très bien, au collège, j’avais oublié quelque chose dans la classe, je suis retournée le chercher, et par la porte entrouverte du directeur une élève de ma classe, la plus fragile, était sur ses genoux, je me suis enfuie paniquée ! C’était une école laïque, et ce professeur directeur était on ne peut plus respectable. Quant aux incestes, on sait qu’ils sont très souvent le fait de proches ! Alors, la preuve que la religion est une horreur parce que des prêtres sont pédophiles, c’est un peut léger, non ? Il y a aussi le tourisme pédophile… Quant aux textes guerriers dans la Bible et le Coran, dont on ne sait pas à quelle époque ils ont été écrits et s’il y avait des guerres à ce moment-là, les guerres étant toutes horribles de religion ou pas, il convient aussi de noter combien notre hymne national est guerrier, lui qui évoque ce sang impur qui abreuve nos sillons !
« Il y a bien longtemps que la religion n’a pas été à ce point au-devant de la scène, revisitant notre passé, écrasant notre présent, empoisonnant notre futur. » « Comment avons-nous pu laisser se déverser à nouveau sans réagir ces flots de pensées magiques ? » « … les religieux ne connaissent aucune limite à leurs conseils, à leurs réprimandes et, de plus en plus, à leurs menaces. » Nous ne vivons pas dans la même France, rien ne me force à vivre selon la religion ! Mon cerveau ne se sent nullement assiégé !
Ah oui, dans les années 1970, il y avait le marxisme, une religion aussi ! « Nous sommes au milieu des années 1970, toute la France vit sous l’influence d’un marxisme dogmatique qui, sans être majoritaire dans les esprits, est bien le seul pôle de référence. Toute la France ? Mais non ! Par ailleurs, être marxiste en France était-ce la même chose que l’être en Union soviétique ? L’histoire d’un pays ne peut-il pas infléchir une influence ? Et n’y avait-il que du négatif dans cette « influence » ? L’auteur raisonne toujours selon la dichotomie bien/mal ! Ce marxisme en France était-il imperméable à la montée de la société de consommation arrivée de l’Amérique, au fait que des classes pauvres ou moyennes avaient peu à peu accès à la consommation et revendiquaient des droits ? Marx est évidemment taxé de « prophète », dont les disciples « terrorisent » les mécréants ! Bigre ! Quel vocabulaire ! L’auteur croit à une démonstration parce qu’il utilise des termes religieux pour décrire une époque ! « L’hérétique convaincu d’apporter une contribution suspecte à l’ennemi de classe était expulsé hors du paradis après un procès en sorcellerie que n’auraient pas désavoué les meilleurs inquisiteurs. »
L’auteur pense impressionner par sa culture, utilisée comme gage de son sérieux. A deux reprises il évoque le Minotaure dans son labyrinthe. Cela en jette ! « Si l’on commence par l’enfance, convenons que la religion, tapie au fond du labyrinthe comme le Minotaure guettait les jeunes sacrifiés déposés là par Thèbes la soumise. » Il voit celui qui vient au monde immédiatement harponné par la croyance de ses parents, et alors il ne pourrait plus penser par lui-même, il ne saurait plus comment penser ! Qu’est-ce que cela veut dire, savoir comment penser ? Penser comme Joseph Macé-Scaron ? L’être humain libre se construit-il sans influence, sans les autres ? En tout cas, l’histoire commence par Europe enlevée par Zeus métamorphosé en taureau, qui l’emmène en Crète. De leur union, naît Minos, qui sera roi de Crète, et donc fils de Zeus. Sa femme, Pasiphaé, s’unit au taureau blanc que Minos avait refusé de sacrifier, et de cette union naît le Minotaure, symbole des pulsions instinctives. Minos cache le monstre au fond du labyrinthe. Tous les neufs ans, Egée roi d’Athènes doit donner en sacrifice sept garçons et sept filles à ce monstre. Son fils Thésée se propose et dit qu’il va réussir à tuer ce Minotaure. Ariane, fille de Minos, tombe amoureuse de Thésée, et lui donne le fameux fil qui lui permettra de sortir du labyrinthe. Thésée tue le Minotaure, sort du labyrinthe et rentre à Athènes. Il devait hisser une voile blanche sur son bateau pour dire à son père qu’il avait réussi, mais il oublia et laissa une voile noire. Fou de chagrin en croyant son fils mort, son père Egée se jeta dans la mer, d’où le nom de mer Egée ! Thésée devient roi d’Athènes. Donc, ce mythe ne raconte pas seulement une victoire sur les pulsions instinctives (que Joseph Macé-Scaron rabat sur la religion et le monstre qu’elle enfanterait) mais surtout un rite de passage de l’adolescence à l’âge adulte, où le fils devient capable comme son père d’être roi d’Athènes, avec ce que cela implique de… parricide déguisé en suicide et signifié par l’oubli de Thésée de hisser la voile blanche ! Le père croit le fils mort, mais c’est lui qui meurt ! Cette interprétation du mythe comme rite de passage de l’adolescence à l’âge adulte, peut-être aussi un affranchissement de la pensée par rapport à celle du père, existe dans l’Antiquité. Nous voyons qu’en tuant le Minotaure, Thésée le fils fait aussi disparaître son père dont il prend la place, ce qui est loin de l’absence de violence ! Voilà le mythe grec rapidement remis en mémoire, ce qui restitue de la complexité humaine à l’utilisation prétentieuse et si rabougrie, si tronquée de l’essentiel, qu’en fait l’auteur à deux reprises !
Encore une fois, le terrorisme est un danger majeur pour l’humanité ! S’il faut évidemment l’empêcher de frapper, il faut aussi admettre que jamais une guerre n’a mis fin à une guerre ! La paix est toujours ramenée par la politique, les négociations, et, pour que l’humiliation ne soit pas une bombe à retardement pour la guerre suivante, il importe que chaque partie soit autour de la table. Ce livre qui déclare la guerre à la religion croit-il faire revenir la paix en ayant une telle influence intellectuelle que plus personne ne croirait ? La question de la pensée libre reste entière dans ce livre ! Loin de la pensée qui se croit assiégée de partout par la religion et les religieux, la liberté de penser s’épanouit avec la tolérance et hors de la logique de l’humiliation. Par ailleurs, il importe de rappeler ce que ce livre n’envisage jamais, que le terrorisme islamique et l’Etat islamique sont mus par un projet politique, celui de créer un Etat régi par la loi islamique dans une région où il n’y en a pas, et la boussole vient d’un passé lointain, celle de l’âge d’or sunnite ensuite perdu. C’est toujours quelque chose d’archaïque qui fait retour lorsque a été anéantie ou n’a jamais été bâtie vraiment la seule chose permettant de vivre ensemble en sécurité, un Etat, et ce retour fanatique cherche à guérir une fierté perdue, une humiliation face à un Occident si longtemps conquérant.
Alice Granger Guitard
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