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Les mains sales - J-P Sartre
lundi 25 janvier 2010 par Tarrou

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Cette pièce date de 1948. Nous sommes ici plongés dans l’univers des idées sartriennes sur la définition de l’homme par ses actes et non par ses pensées.

Il est vrai que certains volets de cette pièce ont assez fort vieilli. C’était l’époque ou une jeunesse se sentait très concernée par les problèmes politiques, les débats d’idées dans ce domaine enflammaient la France. Or, nous voilà à l’ère des politiciens plus technocrates qu’idéologues (y a-t-il encore des idéologies ?…), et tous ces engagements nous semblent bien loin de nous…

Nous sommes en Illyrie en pleine guerre 40-45. Le pays s’est mis du côté des Allemands et a déclaré la guerre à l’URSS. Les communistes résistent et s’organisent. Dans le premier tableau, Hugo sort de prison et revient au siège du parti où il retrouve Olga. Deux ans auparavant, il avait été désigné par son groupe pour tuer un de leurs chefs nommé Hoederer. Celui-ci était soupçonné de préparer un accord opportuniste entre le parti, le Régent et la droite nationaliste. Il l’a abattu et a été arrêté. Aujourd’hui c’est un groupe du parti qui arrive avec pour mission claire de l’abattre. Il gêne…

Qui était Hoederer et que voulait-il vraiment faire ? Comment Hugo est-il arrivé à le tuer et pourquoi était-il volontaire pour cette besogne ? Pourquoi gêne- t-il ? Que cherche-t-il au parti ?

Un flash back et nous voilà deux ans auparavant dans l’immeuble occupé par Hoederer entouré de ses gardes du corps. Hugo vient d’être engagé comme son secrétaire et est accompagné de sa femme, Jessica.

On comprend de suite qu’Hugo, fils de bourgeois, est à la recherche d’une reconnaissance de son utilité au sein du parti. Lui, il n’y est pas entré parce qu’il avait faim, mais bien par choix. Il n’est, aux yeux des autres, qu’un petit intellectuel dont on se méfie.

Il passe son temps à jouer des rôles avec Jessica, se plaint de ne plus savoir distinguer ce qui est jeu de ce qui est vrai. Mais bien vite il sentira à quel point Hoederer, un véritable homme d’action, est, lui, tout à fait vrai !

De son acte, il dit à Olga : Un acte ça va trop vite. Il sort de toi brusquement et tu ne sais pas si c’est parce que tu l’as voulu ou parce que tu n’as pas pu le retenir. Le fait est que j’ai tiré… Il y a là indiscutablement une similitude entre Hugo et le Meursault de L’Etranger  ! Chacun semble avoir accompli un acte sans qu’il ait été pleinement voulu par sa conscience. Cet acte ne pourrait donc, selon les idées de Sartre, contribuer à vraiment les définir. Ce n’est finalement qu’à la dernière réplique de la pièce qu’Hugo va enfin poser l’acte qui le définira, l’acte conscient et voulu… Et d’ailleurs, qui est vraiment vrai  ? Ecoutez Hugo : …un père de famille, c’est jamais un vrai père de famille. Un assassin c’est jamais tout à fait un assassin. Ils jouent, vous comprenez. Tandis qu’un mort, c’est un mort pour de vrai. Etre ou ne pas être, hein ?

Olga va encore une fois essayer de le pousser vers ce qui serait un acte vrai , alors qu’elle lui fait comprendre qu’à ne rien faire, il va se faire abattre par ses propres amis : Mais mourir si bêtement, après avoir tout raté ; se faire buter comme une donneuse, pis encore comme un petit imbécile dont on se débarrasse par crainte de ses maladresses. Est-ce ça que tu veux ?

Et Hugo qui, un peu plus tard, dira encore : Est-ce que je sais ce que je vais faire ? Mais il s’approche du but quand il dit enfin : Ce qu’il veut, ce qu’il pense, je m’en moque. Ce qui compte c’est ce qu’il fait.

On en arrive à l’essentiel, au vrai débat d’idées ! Hugo et Hoederer vont se disputer et chacun va étaler ses conceptions de ce qu’il pense être la vérité. A Hugo qui parle de la nécessaire pureté du parti, Hoederer va répondre Si tu ne veux pas courir de risque il ne faut pas faire de politique. Hugo dit que le parti ne doit pas prendre le pouvoir à tout prix et il s’attire cette réponse : Un parti, ce n’est jamais qu’un moyen. Il n’y a qu’un seul but : le pouvoir. Hugo répond : Il n’y a qu’un seul but : c’est de faire triompher nos idées, toutes nos idées et rien qu’elles. Et Hoederer : C’est vrai : tu as des idées, toi. Ca te passera.

Hugo ne veut pas que le parti mente, car cela revient à mépriser ses membres, et il lui est répondu : Je mentirai quand il le faudra et je ne méprise personne. Hoederer continue en affirmant que Tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces. Et enfin il arrive au fond du problème : Comme tu tiens à ta pureté, mon petit gars. Comme tu as peur de te salir les mains. Eh bien reste pur ! A quoi cela servira-t-il et pourquoi viens-tu parmi nous ? La pureté, c’est une idée de fakir et de moine. Vous autres, les intellectuels, les anarchistes bourgeois, vous en tirez prétexte pour ne rien faire. Ne rien faire, rester immobile, serrer les coudes contre le corps, porter des gants. Moi j’ai les mains sales. Jusqu’aux coudes. Je les ai plongées dans la merde et dans le sang. Et puis après ? Est-ce que tu t’imagines qu’on peut gouverner innocemment ?

Voilà le credo de l’homme d’action qui se définit à chaque pas de sa marche en avant, par rapport aux hésitations et scrupules de l’intellectuel qui pense plus qu’il ne fait. Mais, tout compte fait, chacun se définit autant… Il n’y a pas que l’action pour se définir !

Et puis, la fin justifie-t-elle les moyens ? La réponse à cette question va varier d’un homme à l’autre. Pour l’homme d’action, bien souvent oui, pour l’intellectuel, bien souvent non !
En 1958, Sartre reprochait à Jean-Daniel de l’Express de publier des textes contraires aux intérêts de la cause algérienne et il reprendra les idées d’Hoederer : Il faut dissimuler quand on fait de la politique. La politique, il faut l’accepter, cela implique une contrainte de faire certaines choses. Autrement on est une belle âme et on ne fait pas de politique. (Jacques Duquesne Pour comprendre la guerre d’Algérie page 133) Voilà ce que Camus n’acceptait pas et qui provoquera la rupture de leurs relations.

Il arrive aussi à Sartre de contredire sa théorie existentialiste quand Hoederer dit à Hugo : On est tueur de naissance. Toi tu réfléchis trop : tu ne pourrais pas. Voilà qu’il souscrit soudain à une forme de déterminisme.

Une autre réplique qui fait penser à L’Etranger arrive quand Hugo tente d’expliquer son meurtre : Le hasard a tiré trois coups de feu, comme dans les mauvais romans policiers…. Mais moi, là-dedans, qu’est-ce que je deviens ? C’est un assassinat sans assassin. Une fois de plus, Hugo n’assume pas, ne se définit pas en fonction de son acte, parce qu’il n’a pas vraiment été voulu . Son premier acte de volonté ne viendra que plus tard…

La fin de l’histoire sera assez surprenante et nous découvrirons que la vérité n’est pas quelque chose d’immuable et qu’on la sert ou la dessert suivant les moments.

Est-ce la volonté de s’engager politiquement, d’agir plutôt que de penser, qui fera que Sartre défendra l’intervention des Soviétiques à Berlin, à Budapest, à Prague ?… Qu’il attaquera Khrouchtchev quand celui-ci dénoncera les crimes de Staline ? …

Une pièce écrite pour défendre une philosophie.



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