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Là-bas - J-K Huysmans
mercredi 13 juillet 2011 par Christophe Giudicelli

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J’ai découvert Joris-Karl Huysmans alors que j’étais encore lycéen, en feuilletant une anthologie de la littérature française du 19e siècle.
Ce qui retint mon attention chez cet homme dont j’ignorais tout jusqu’au nom, ce fut une photographie montrant un vieux monsieur à l’allure courtelinesque, légèrement voûté et posant sous un crucifix accroché au mur d’un intérieur bourgeois. La notice biographique présentait Huysmans comme ayant été un écrivain tour à tour naturaliste, décadent, sataniste et catholique... Ce qui semblait le définir comme étant inclassable.
L’épithète « sataniste » excita vivement ma curiosité car l’adolescent que j’étais éprouvait un vif intérêt pour ce genre de thème. Cela dit, cette notice biographique n’était pas assez développée pour me permettre de comprendre ce en quoi Huysmans était « sataniste ». Il me fallut quelques recherches supplémentaires pour découvrir que, dans l’œuvre de Huysmans, figurait un roman intitulé Là-bas, publié en 1891 et dont un des chapitres contenait une impressionnante scène de messe noire... Je devais découvrir plus tard que cette scène était souvent évoquée dans des publications relatives au satanisme.
Curieusement, après ma découverte de Huysmans en 1989, un concours de circonstances différa la lecture de Là-bas de sorte que je ne lus le roman qu’en 1995 alors que j’étais devenu étudiant en lettres modernes à Lyon. Je n’en suis pas mécontent car la capitale des Gaules constituait l’environnement idéal pour ce genre de lecture. En effet, Lyon, ville discrète et secrète, est associée à de nombreuses légendes à caractère ésotérique au même titre que Turin et Prague. De plus, elle est évoquée dans Là-bas !
Je garde de cette lecture et de l’atmosphère qui l’entoura un souvenir délectable. C’était le mois de novembre, mois funèbre, donc le temps qui convenait. Je découvris que Là-bas était un roman d’une richesse inouïe par l’abondance et la diversité de ses références culturelles, servi par une prose d’un humour ravageur donnant parfois lieu à des scènes d’une irrésistible drôlerie. Je trouvais extraordinaire de lire un roman décrivant l’atmosphère d’une fin de siècle alors que le 20e siècle était lui-même en train de se terminer dans un climat qui n’était pas plus serein que les années 1890.
Alors, Là-bas, roman « sataniste » ?
En fait, il apparaît à la lecture que Là-bas est un roman où les thèmes abondent. Le satanisme n’en est qu’un parmi d’autres et il est loin d’être le plus important. S’il fallait définir un thème majeur dans ce roman, ce serait ce que Julien Gracq appelle, dans Un balcon en forêt « l’obsession du refuge ».
Ce thème était déjà celui d’une œuvre précédente et emblématique de Huysmans : A rebours (1884). Dans ce roman, il est question du Duc Jean des Esseintes, esthète cultivé et névrosé qui décide de s’isoler du monde extérieur dans une villa où il vit seul, entouré de ses œuvres littéraires et picturales favorites. Croyant ainsi s’être composé un cocon digne de lui, des Esseintes ne tarde pas à constater que le mode de vie qu’il s’est choisi est préjudiciable à sa santé physique et mentale. Cela impose la visite du médecin de famille qui l’oblige à réintégrer le monde des vivants, c’est-à-dire, le monde extérieur.
Dans Là-bas, le personnage principal est l’écrivain Durtal, alter ego de Huysmans qui a ceci en commun avec des Esseintes d’être cultivé et de se méfier du monde extérieur. Durtal est toutefois plus équilibré ; il sort, vit avec un chat et a un ami : le docteur des Hermies.
Tout au long du roman, Durtal travaille à la rédaction d’une biographie de Gilles de Rais dont le lecteur peut suivre l’écriture, ce qui crée une extraordinaire composition an abîme. Les difficultés du métier d’écrivain sont d’ailleurs abordées de façon très convaincante, notamment lorsqu’on évoque celle qu’a parfois Durtal pour « souder deux phrases ensemble ».
Moins luxueux que la villa de des Esseintes, l’appartement de Durtal n’en est pas moins un refuge douillet où son compagnon, Mouche, « un très authentique chat de gouttière », constitue un interlocuteur de qualité. Cependant, Durtal n’est pas satisfait : ni de l’époque dans laquelle il vit, ni du reste de l’humanité. C’est pourquoi, la rédaction d’une biographie de Gilles de Rais lui offre la possibilité de se transposer dans une autre époque, ce qui constitue un deuxième refuge. De son côté, le docteur des Hermies connait un refuge insoupçonné et insoupçonnable dans une tour de l’église Saint Sulpice à Paris et qu’il va faire découvrir à son ami.
Dans cette tour, habitent un sonneur de cloches mystique du nom de Carhaix et son épouse. Carhaix est un ancien séminariste qui ne s’est pas jugé digne du sacerdoce ; il a donc choisi une fonction plus humble mais il n’en demeure pas moins un érudit dont la bibliothèque, composée d’ouvrages religieux de référence, fait l’étonnement de Durtal. De plus, Carhaix et son épouse sont d’excellents hôtes qui régalent leurs invités de savoureux repas. Le logis de Carhaix est également fréquenté par un autre personnage pittoresque : un astrologue du nom de Gévingey. La tour de l’église Saint Sulpice devient ainsi un lieu de convivialité et de discussion où de nombreux sujets sont évoqués par les invités du sonneur de cloches.
C’est précisément parce que Durtal affectionne les refuges qu’il s’est installé dans une vie de célibataire ; peu de choses viennent la perturber à part les moments où son concierge vient faire le ménage dans son appartement. Cependant, cette existence est loin de le contenter, surtout sur le plan spirituel. En effet, Durtal ressent une certaine attirance pour la religion catholique dans laquelle il aimerait trouver le refuge suprême. Il ne se sent pourtant pas prêt, car plus animé par l’envie de croire que par une véritable foi. Du reste, c’est surtout le catholicisme du Moyen-Age qui retient son attention, époque qu’il explore en rédigeant la biographie de Gilles de Rais.
Cette existence morne et bien réglée va toutefois être dérangée par l’arrivée d’une lettre qui apprend à Durtal qu’une admiratrice anonyme souhaiterait le rencontrer. Durtal découvre que cette lectrice, qui répond au doux nom de Hyacinthe Chantelouve, est l’épouse d’un écrivain catholique qui vivote en rédigeant de modestes publications.
Durtal est fortement émoustillé par cette rencontre mais la relation qui suit ne lui apporte pas la félicité des sens qu’il espérait. En effet, il ne tarde pas à constater que Hyacinthe l’agace et ce, juste au moment de consommer cette relation ! De plus, Hyacinthe a ceci d’inquiétant que ses chairs sont froides comme celles d’un succube, ces démons femelles qui viennent violer les hommes pendant leur sommeil... En cela, Hyacinthe incarne ce que sont toutes les femmes pour Huysmans : des êtres vampiriques dont la fréquentation est toujours préjudiciable.
Hyacinthe Chantelouve n’est pas un être surnaturel mais elle n’en est pas moins une créature infernale puisqu’elle fait partie d’un cercle sataniste... Ce cercle, très actif, est dominé par la figure inquiétante d’un prêtre excommunié, le chanoine Docre. Lorsque Durtal apprend cela, il presse sa maîtresse de questions afin d’en savoir plus et demande à assister à une messe noire. Après que Hyacinthe a transmis la demande de son amant au chanoine Docre, Durtal est finalement autorisé à assister au rituel de la messe noire. Celui-ci a lieu dans une ambiance abominable d’hystérie collective dont Durtal ressort écœuré, ce qui le décide à rompre toute relation avec sa maîtresse.
A la fin du roman, Durtal se réfugie, une fois de plus, dans le logis des Carhaix en compagnie de des Hermies et de Gévingey. Durtal fait la lecture aux personnes présentes du dernier chapitre de sa biographie de Gilles de Rais lorsqu’il est interrompu par une clameur venue de l’extérieur. Dehors, les partisans du général Boulanger envahissent les rues dans un déferlement de liesse populiste. Carhaix et ses invités considèrent avec dégoût cette populace et nourrissent de profondes inquiétudes pour l’avenir de l’humanité.

Tous se regardèrent.
- Le peuple d’aujourd’hui ! fit des Hermies.
- Ah ! il n’acclamerait pas de la sorte un savant, un artiste, voire même l’être supernaturel que serait un Saint, gronda Gévingey.
- Il le faisait, pourtant au Moyen Age !
- Oui, mais il était plus naïf et moins bête, reprit des Hermies. Et puis, où sont les Saints qui le sauvèrent ? On ne saurait trop le répéter, les soutaniers ont maintenant des cœurs lézardés, des âmes dysentériques, des cerveaux qui se débraillent et qui fuient ! - Ou alors c’est encore pis ; ils phosphorent comme des pourritures et carient le troupeau qu’ils gardent ! ils sont des chanoines Docre, ils satanisent !
- Dire que ce siècle de positivistes et d’athées a tout renversé, sauf le Satanisme qu’il n’a pu faire reculer d’un pas !
- Cela s’explique, s’écria Carhaix : le Satanisme est ou omis ou inconnu ; c’est le père Ravignan qui a démontré, je crois, que la plus grande force du Diable, c’était d’être parvenu à se faire nier !
- Mon Dieu ! quelles trombes d’ordures soufflent à l’horizon ! murmura tristement Durtal.
- Non, s’exclama Carhaix, non, ne dites point cela ! Ici-bas, tout est décomposé, tout est mort, mais là-haut ! Ah ! je l’avoue, l’effusion de l’Esprit Saint, la venue du Divin Paraclet se fait attendre ! mais les textes qui l’annoncent sont inspirés ; l’avenir est donc crédité, l’aube sera claire !
Et, les yeux baissés, les mains jointes, ardemment il pria.
Des Hermies se leva et fit quelques pas dans la pièce.
- Tout cela est fort bien, grogna-t-il ; mais ce siècle se fiche absolument du Christ en gloire ; il contamine le surnaturel et vomit l’au-delà. Alors, comment espérer en l’avenir, comment s’imaginer qu’ils seront propres, les gosses issus des fétides bourgeois de ce sale temps ? Elevés de la sorte, je me demande ce qu’ils feront dans la vie, ceux-là ?
- Ils feront, comme leurs pères, comme leurs mères, répondit Durtal ; ils s’empliront les tripes et ils se vidangeront l’âme par le bas-ventre !

La brutalité et la malséance de cette ultime réplique laissent le lecteur abasourdi. Il ne fait aucun doute que face à un monde qui a des couleurs aussi sombres, il sera toujours nécessaire, vital même, de s’aménager des refuges. Mais il serait difficile de rester toute une vie dans le logis des Carhaix. C’est pourquoi, Durtal réapparaitra dans un autre roman, En route (1895), qui marque le début de la conversion de Huysmans au catholicisme.

Christophe Giudicelli



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