mercredi 4 janvier 2006 par Raphaël Cornu
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Le Voleur de vie de Steinunn Sigurdardóttir
Le Voleur de
vie de la romancière et
poètesse islandaise Steinunn Sigurdardóttir est un récit simple, un récit
d’amour, d’amour avec un grand A, un récit qui prend aux tripes. L’oeuvre (romans
et poèmes) de Steinunn Sigurdardóttir est nourri de cette réflexion sur l’amour
dont elle dit qu’il est « la clé de tout. Lui et son manque ». Elle décortique
les sentiments, les fait apparaître au grand jour avec une sensibilité toute
féminine.
Le titre de ce
roman annonce d’entrée une douleur. La vie, cette chose si précieuse,
unique, a été volée à quelqu’un ; ce n’est pas un meutre mais il s’agit d’amour
et l’amour est intimement lié à la vie et à la mort. La vie a été volée à Alda, la narratrice, belle, la trentaine,
riche d’un héritage familial, cynique, sûre de son charme, professeur
d’allemand dans un lycée de Reykjavík en Islande. Elle qui multiplie les
aventures amoureuses, posant son regard rempli de pitié et de condescendance
sur ces hommes qui passent dans son lit avant de les renvoyer sans ménagement à
leurs femmes, rencontre Anton le jour de la rentrée des classes, nouveau
professeur d’histoire, grand, beau et séduisant. Le coup de foudre ? On ne le
sait pas tout de suite : Alda garde sa carapace de femme cynique, insensible à
l’amour et aux hommes. Mais on le sent : on sent la passion bouillir sous cette
carapace qui se fait de plus en plus mince face à cette homme, parfaite représentation
de l’idéal masculin et contre-exemple de tous ces hommes, devrait-on dire loosers, qui ont été ses amants. Cependant,
applicant les mêmes méthodes de séduction qu’avec ses précédents amants, Alda
ne tarde pas à nouer une relation avec le beau professeur d’histoire qui ne se
résume qu’au sexe dans un premier temps. Mais très vite elle devient dans son
coeur, sans qu’elle ne s’en rende compte, une histoire d’amour. Pendant cent
jours leur histoire d’amour est parfaite, histoire d’amour idéale (et
idéalisée) ; pendant cent jours Alda est heureuse. C’est la première partie de
ce roman qui conte dans une narration très classique cette relation.
Il y a ces cent
jours. En politique, les cent jours est la période d’euphorie pour un
gouvernement fraîchement élu, pendant laquelle il a la confiance du peuple et
doit faire ces preuves. Ici Alda a confiance en cette relation et ne doute de
rien, elle est euphorique. Rien ne peut gâché son bonheur. Au bout de cent
jours Anton doit partir pour l’étranger avec la promesse de revenir vite. Il ne
reviendra pas vers la jeune femme. La période d’euphorie est passée, c’est
l’heure des réalités. La réalité est que cet amour n’était qu’une liaison pour
cet homme marié alors que pour la cynique et insensible Alda, il représentait
plus que ça, ce dont elle se rend
compte trop tard. Elle qui n’a jamais été quittée, l’ai et se retrouve
désemparée dans cette situation nouvelle pour elle. La seconde partie du roman
conte la désespérance d’Alda qui n’a pas su exprimer son amour au bon moment
jouant ce jeu de cynique, manipulatrice, mangeuse d’hommes auquel elle était
tellement habituée. Dans cette seconde partie, il n’y a plus de narration, plus
de repères temporelles. Le narrateur s’exprime par bribes, par poèmes à la
gloire du professeur d’histoire, par lettres lui étant destinées mais qui ne
seront jamais envoyées. Le récit est décousu. Comme la vie d’Alda. La belle,
cynique et supérieure Alda est devenue enchainée, esclave de cet amour
impossible. Alda ne vis plus, elle ne vis plus que pour cet amour mort
prématurément ou n’ayant peut-être jamais existé chez Anton. Alda est morte,
elle s’est faite voler sa vie. On ne sait pas combien d’années se passent dans
cette deuxième partie. Alda se fait vieille, dit-elle, Anton devient Ministre
de l’éducation. Combien d’années se passent ? Une vie peut-être. Et puis
l’on apprend que seulement sept années ont passé depuis la rupture, sept années
qui ont fait vieillir le professeur d’allemand et asséché son cœur, entre
tentative de reprise en mains et rechutes. Sept années de la vie d’Alda volée
par Anton, volée par l’amour.
Steinunn Sigurdardóttir
réussi un formidable roman d’amour, ou plutôt un roman sur l’amour. Rien de
lacrymal ici mais des sentiments bruts, analysés avec sobriété, la dureté du
récit venant des sentiments eux-mêmes. On pensait avoir tout écrit sur l’amour
mais Le Voleur de vie, en 200 pages, le résume magnifiquement.
Il y a plusieurs histoires d’amour dans ce roman : des histoires d’amour
qui ne sont que physiques et minables (Alda et ses amants), une histoire
d’amour romantique, idéale, absolue (Alda et Anton), et le revers de cette
histoire, l’amour blessé, non-partagé (Alda seule), le manque d’amour dont
Steinunn Sigurdardóttir dit qu’il est « la clé de tout » autant que l’amour. La
clé de la vie et de la mort peut-être...
Raphaël Cornu
27 décembre 2005
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