samedi 17 juin 2006 par penvins
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D'habitude l'éditeur indique récit ou roman ou essai, mais ici que mettre rien, l'éditeur n'a rien mis. Le livre s'impose simplement avec toute sa douleur. La douleur d'un peuple méprisé et oublié. C'est un récit pédagogique, un récit pour dire ce qui s'est passé et comment cela a été possible. Parce que le drame du Rwanda remonte à loin, à la fin des années 50, sans doute à beaucoup plus loin: Le Mont Makwaza était le domaine d'un grand chef hutu, un inghinza. On le craignait beaucoup.[...] Ils ne pillaient pas, ils voulaient simplement détruire, effacer toutes traces, nous anéantir.
La force de ce récit tient sans aucun doute à son point de vue. L'histoire du Rwanda ne mérite pas l'objectivité, pas aujourd'hui, il faudra que le temps passe pour que les bourreaux et les victimes construisent une Histoire commune, un récit historique de ce grand massacre. Nous lisons ici le point de vue de la douleur. Non pas celui des tribus qui s'affrontent mais celui de Scholastique prise dans le tourbillon de la haine et qui a perdu presque tous les siens.
Minorité, les Tutsis que les paras belges déplacent à Nyamata sont définitivement privés de leur identité, le simple droit d'être ce qu'ils sont leur est dénié et c'est ce que décrit très bien Scholastique Mukasonga, montrant ainsi comment une décision qui partait sans doute d'un bon sentiment séparer les tribus ennemies va provoquer un drame abominable. Parce que le génocide avait déjà eu lieu. Il était déjà présent dans cette décision de déportation inhumaine. Le crime il y a ceux qui l'accomplissent mais il y a aussi ceux qui le rendent non seulement possible mais inévitable. Et la seule façon de rendre compte de cette évidence, de s'élever au-dessus de la haine c'est de dire cette part humaine de l'Histoire, celle que jamais ne peuvent raconter les historiens ni les journalistes, la part du sujet. L'histoire vécue de l'intérieur de l'homme (de la femme).
Voilà sans doute pourquoi on ne peut écrire en tête de ce texte le mot "Récit", non plus que le mot "Roman". Ce n'est ni un récit objectif, ni une fiction, c'est une réalité vécue dans la chair.
Grâce à l'éducation que son père a voulu lui donner: Jamais il ne renonça pourtant à ce qui était devenu pour lui le seul but de sa vie: permettre à ses enfants de faire des études. Scholastique connaîtra un destin différent des siens, elle peut aujourd'hui raconter ce qu'ont vécu ses semblables, les humiliations, le déni de culture et l'arrogance du capitalisme: Il fallut arracher nos plantations[ ...] pour les enfants l'école n'était plus une priorité: il fallait d'abord changer le paillage au pied des caféiers. L'aveuglement et la lâcheté des blancs, 1964 !: Il était bien seul Bertrand Russell quand il dénonçait "le massacre le plus horrible et le plus systématique depuis l'extermination des Juifs par les nazis", les missionnaires qui s'en vont abandonnant à la mort ceux qui autrefois se réfugiaient dans les églises, les viols, les atrocités qui suivront de la part de ceux qui pouvaient se penser dans leur droit en déniant celui de ceux dont on ne reconnaissait plus l'identité qu'à travers les quotas ethniques.
Scholastique Mukasonga décrit cette montée du génocide jusqu'à la disparition totale y compris des lieux avec une grande pudeur, sans aucun effet de spectaculaire de sorte que certaines scènes totalement inhumaines révèlent au-delà de tous les mots le mépris dont sont victimes les Inyenzis (les cafards). A vomir.
Ce livre est à lire absolument pour sortir de l'indifférence.
Penvins
Le17/06/2006.
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