dimanche 24 septembre 2006 par Calciolari
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Quel est l’intérêt de Myriam
Revault d’Allonnes sur la question de
l’autorité ?
C’est l’intérêt pour le
pouvoir de l’institution dans le temps, c’est-à-dire de l’institution
instituée. C’est l’intérêt pour l’Eglise et non pas pour Jésus, non plus pour
Pierre et pas plus pour Paul, bien que cités en exergue.
Le livre de Myriam Revault
d’Allonnes, Le pouvoir des commencements. Essai sur l’autorité, est une
analyse de l’autorité dans sa connexion avec la tradition et la transmission.
C’est l’aspect institutionnel - un instant après la fondation – qui est visé,
comme dans l’astrophysique où l’instant zéro du présumé big-bang reste
inconcevable et les chercheurs théorisent sur l’instant après la création du
monde.
En tirant le bout de ficelle
de l’autorité pour retrouver son origine, voici ce qui reste en main :
« Qu’est-ce que l’autorité, sinon le pouvoir des commencements, le pouvoir
de donner à ceux qui viendront après nous la capacité de commencer à leur
tour ? ». La question se réduirait à l’autorisation des successeurs à
entreprendre quelque chose de nouveau, et ainsi de suite.
Pendant que les successeurs
attendent l’autorisation, que personne ne casse les pieds à ceux qui sont dans
le présent autorisés à commencer. Ceci pour dire que l’autorité en question
serait généalogique. A chacun son tour. Sauf que - c’est bien connu – il y a
non seulement ceux qui viendront après, mais aussi ceux qui sont là (Dasein
en tant que être-là) et n’auront jamais leur tour. Et le tour est-il
joué ? Selon Marx il y a la lutte des classes entre les autorisés et les
non autorisés.
En se plaçant dans la
généalogie (même en prenant un métier comme un rôle social), nous n’en sortons
pas, des paradoxes de la série sérialisée, telle est la généalogie. Kurt Gödel
a remarqué que le commencement généalogique (l’être autorisé à faire par le
prédécesseur) comporte de se lancer dans l’avenir pour revenir du passé juste à
temps pour tuer son propre père avant d’être conçu. Il est notoire que les
mathématiciens post-modernes croient être sortis de l’impasse de Gödel, ils ont
créé la méta-mathématique et le comité des mathématiciens qui autorisent ou non
quelque chose à être mathématiquement vrai ou faux. Certes, les successeurs
autorisés du comité pourront commencer à entreprendre à leur tour quelque chose
de nouveau dans la circularité.
L’écrivain Giuseppe Pontiggia avait le projet d’un livre
sur l’autorité, à commencer par le fait qu’elle requiert le langage dans son
essence. Il a travaillé pendant vingt ans et il a écrit cent cinquante pages de
notes, en achevant seulement les trois premières pages. Elles ne font pas
partie de ses œuvres complètes et se trouvent dans un livre publié après, La résidence des ombres chinoises. Le
titre de l’ouvrage aurait du être Le
langage autoritaire ; donc une analyse de l’autorité à partir du
langage, sans pour autant oublier de ses confronter avec l’analyse de
l’autorité faite jusqu’à lui, en particulier avec Horkheimer et sa définition
de l’autorité comme supériorité reconnue. Pontiggia n’a pas trouvé de
véritables réponses dans la piste de recherche qui est celle aussi de Myriam
Revault d’Allonnes : celle du réseau Weber, Tocqueville, Schmitt, Arendt, Merleau-Ponty.
Le mystère de l’autorité, selon le mot de Revault
d’Allonnes, réside dans la source de l’augmentation, comme indique l’étymon;
mais l’intérêt pour l’institution (qui ne semble pas être un mystère) qui vient
de l’approche plus sociologique que philosophique de l’auteur qui délaisse
l’énigme de l’autorité pour ses parcours à partir de Max Weber: en ce sens,
Myriam Revault d’Allonnes semble être autorisée à poursuivre sa recherche
en suivant les pas de ses prédécesseurs (qui pourraient aussi avoir fait fausse
route). En suivant les pas de Jacques Derrida avec sa théorie du supplément,
qui est tirée de la théorie de l’écriture de Platon, qui fait suite à une
narration mythique égyptienne…
Nous pourrions lire Démosthène pour donner une autre
lecture de l’autorité ; sans plus se prendre pour un successeur autorisé
de l’orateur bègue. Même Démosthène avait la question de l’autorité sur le bout
de la langue : il s’est autorisé à exécuter l’autoritarisme de son tuteur
qui avait dilapidé sa fortune, pour enfin s'exécuter, en d’autre termes
s’autoriser à se suicider. Comme tutor de
soi-même Démosthène n’est pas encore auctor.
Giuseppe Pontiggia aussi, comme Revault d’Allonnes, passe
– avec ironie - de la question de l’autorité à celle de sa comédie ou tragédie
sociale. Mais il nous indique que auctor
est un mot d’une transparence trompeuse !
Autorité, du latin auctoritas,
remonte à auctor qui vient de augeo : avant l’agir et puis celui
qui agit, écrit Pontiggia. Augeo, de
la racine indo-européenne aug,
accroître, augmenter. De cette racine proviennent les trois fonctions du
langage autoritaire : sentence, prophétie, commandement : auctor, augur, augustus.
L’agent de augeo,
l’augmentateur, le commenceur, le leveur, le « croisseur », le
créateur. Jusqu’à maintenant les humains ont appelé Créateur le créateur du
créateur, ou bien le métacréateur, le dieu de la gnose. Les mathématiciens
appellent ça - non pas à tort - le métazéro, le zéro du zéro. Les
astrophysiciens appelle le commencement big-bang, trou blanc (troublant), et
appellent l’infini de l’infini trou noir. Les psychanalystes lacaniens
appellent ça le nom-du-père, le non du nom, le garant du lien social qui de
prédécesseur en successeur autorise à circuler.
L’autorité est une propriété de l’auctor, du nom, du père, du zéro. Elle n’est pas une propriété de l’institution, qui n’est pas un état de choses mais un dispositif pragmatique. Certes, chacun peut contribuer à la vie d’une institution (et bien sûr c’est très digne) et la relancer, mais sans être autorisé par ses prédécesseurs et néanmoins en s’autorisant de lui-même. Question d’autorité.
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