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Kivu au coeur de la violence

Floribert Mugaruka Mukaniré, Editions NDZE 2007

mardi 13 février 2007 par Alice Granger

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Ce livre collectif rassemble des témoignages sous la direction de Floribert Mugaruka Mukaniré, auteur du magnifique roman « Le bassin des dieux » (Editions NDZE, 2005), sur la violence sanguinaire qui règne dans la République démocratique du Congo depuis près de 10 ans, sans que l’opinion internationale s’y intéresse vraiment. Il s’agit par ce livre de rompre ce silence, non pas d’attiser la vengeance. Il s’agit de désamorcer des haines ancestrales que les témoignages de ce livre nous expliquent très bien, des haines toujours aussi vives, actives, sauvages, prêtes à chaque instant à flamber à nouveau alors que cela semble se calmer.

On a l’impression en lisant que ce qui est toujours sauvegardé, c’est cet oxygène qui souffle sur le feu de la violence et fait repartir encore et encore l’embrasement, les viols, les assassinats, les éventrations des maisons en pleine nuit, les dévastations, les vols des biens des familles de plus en plus appauvries, si bien que la population jamais ne peut se reposer dans la certitude d’une paix enfin garantie.

Cette République démocratique du Congo incarne, au fil de ces témoignages horribles, dépassant l’imagination dans les actes de barbarie commis, comme l’incarnation d’un lieu éventré, sanguinolent, inhabitable, sans fin pillé, et les femmes violées par des hommes barbares entendant assouvir sauvagement leurs désirs, puis tuées, simples enveloppes de chair érotiques ne servant plus à rien après usage. Idem les maisons brûlées, après avoir été pillées, ne servant alors plus à rien, les habitants ayant été déplacés, exécutés après avoir servi à transporter le butin.

Est à l’œuvre à travers la barbarie qui apparaît dépourvue de fin une avidité devenue folle, et cette République démocratique du Congo incarnant le lieu pouvant fournir, même s’il s’appauvrit de plus en plus, des biens dont l’avidité sanguinaire peut se servir comme elle veut et quand elle veut, en libre service, et en se servant les hommes sauvagement habités d’une sorte d’une faim folle d’incarnation font mourir ce qui les nourrit tout autour en libre service. C’est une métaphore terrible qui se détache de ces témoignages ! Celle d’une enveloppe placentaire incarnée par cette République du Congo, qui essaie de s’établir, et qui est alors sans cesse convoitée par des sortes de fous fœtus croyant pouvoir éterniser d’une manière hors-la-loi une vie intra-utérine, qui a alors pour conséquence la mise à sec et à sang ce pays. Floribert Mugaruka Mukaniré s’impose alors, contre vents et marées, l’écrivain de cette tragédie, parce qu’il réussit à rester sur le terrain, comme ce témoin et ce regard critique qui dénonce le caractère archaïque et anachronique du désir sauvage à l’œuvre, et son écriture tente d’étendre son regard à une conscience internationale, pour briser un silence complice d’un enlisement terrible de la situation où l’impunité et les revirements politiques laissent tellement le champs libre aux violeurs...de la loi d’interdiction de cette « inventration » permanente, néologisme que je forge pour dire cette impression que des ennemis inhumains croient sans cesse, habités d’une avidité débridée, pouvoir rentrer dans le ventre et son libre-service fœtal.

Bien sûr, il y a dans ce livre un grand nombre d’explications de la situation politique au cours des années, et c’est changeant et complexe. Mais disons que la base est la convoitise, depuis des siècles, par les Tutsis, des terres riches de ce qui deviendra la République démocratique du Congo actuelle, eux qui habitent les terres plus arides de ce qui est aujourd’hui le Rwanda. Là déjà, dans cette convoitise presque immémoriale, une sorte de légitimation du désir de réintégration d’une métaphore de ventre à travers cette richesse minérale. Le massacre des Tutsis au Rwanda par les Hutus avait déjà pour prétexte de décapiter cette convoitise, réelle ou fantasmée ou les deux, des Tutsis. Ensuite, les Hutus avaient fui dans la future République démocratique du Congo voisine, et c’est autour de leur présence, tantôt ennemis tantôt alliés au gré des changements politiques, que la tragédie sanguinaire ne finit plus de déferler depuis dix ans. Au fond, la convoitise réelle ou fantasmée des Tutsis visant à faire un grand et riche royaume, c’est ça que s’approprient encore et encore les tueurs et violeurs sévissant souvent la nuit, éventrant les portes, empêchant le repos, pillant les récoltes, que nous décrivent ces témoignages inimaginables d’horreur. Ces tueurs effrénés et assoiffés ont intériorisé en eux la convoitise immémoriale attribuée aux Tutsis, sur fond de richesses quasiment hallucinées de cette terre du Congo, comme si c’était une terre inépuisable par-delà pillages, viols et tueries.

Pourquoi l’opinion internationale reste-t-elle complice des murs du silence érigés autour de cette sanguinaire et archaïque convoitise ? Cette convoitise, version soft, serait-elle aussi tapie au sein d’une opinion internationale, dessinant une zone sourde et aveugle au sein d’une humanité encore bien tapie dans une fantasmatique fœtale ?

Il faut absolument lire ces textes que, chaque jour, Floribert a réussi, jusque-là, à sauver du massacre et de la destruction. C’est sa vie qu’il risque chaque jour, et défend envers et contre tout.

Alice Granger Guitard



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