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Samedi soir et des poussières, Dominique PERICHON

Editions Le Dilettante, 2009

mardi 20 janvier 2009 par Alice Granger

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Ce livre de Dominique Périchon donne immédiatement l’impression d’une écriture maîtrisée, aucun détail laissé au hasard, tableau parfait pour l’investigation du lecteur.

Lydie, la jeune fille que les garçons ne remarquent pas, est vite au centre de la scène, justement parce que Chatte son amie a tous ces garçons pour elle le soir dans la boîte de nuit. Chaque samedi soir, Chatte finit invariablement par être le réservoir pour tous les garçons du canton, sur la banquette arrière d’une voiture.

En fait, en lisant, on finit par soupçonner que Lydie et Chatte sont une seule et même jeune fille, dédoublée pour les besoins de l’investigation autour de la sexualité version fille et version garçon, deux versions qui, semblant avec Chatte coïncider parfaitement, s’avèrent parfaitement étrangères l’une à l’autre avec Lydie.

Chatte, dans la boîte de nuit, tous les garçons la convoitent, elle est parfaite en regard de leur désir, à portée de mains, liberté sexuelle, comme si la sexualité de la fille était la même que celle du garçon. Le décor de la boîte de nuit est celui de la mise à disposition de la fille au service des désirs sexuels des garçons, la fille jouissant elle-même de cette adéquation parfaite.

Mais Lydie, c’est ce qui dans la fille ne l’est pas du tout, en adéquation ! C’est la part d’une fille que les garçons ne remarquent pas. La part absolument insatisfaite, alors que la fille tente vainement de la mettre en scène. On dirait que la mise en scène, par la version Chatte, de la satisfaction facile et immédiate des « besoins » sexuels qui seraient les mêmes pour une fille et pour un garçon, occulte totalement une autre mise en scène, celle d’une fille, incarnée par Lydie, qui reste invisible au garçon.

Alors, plusieurs versions s’écrivent. Celle du garçon et de la fille, finissant à l’arrière d’une voiture une parade sexuelle vite réglée. Mais aussi la fin tragique d’un pauvre garçon qui s’est laissé entraîner dans la boîte de nuit, a beaucoup bu, va dehors uriner, et est tué d’un coup par la neige tombant du toit. Métaphore du garçon dont le désir sexuel est assommé d’un coup, refroidi sans reste, et l’histoire s’arrête là. Comme son pauvre chien écrasé par la voiture conduite au milieu de la nuit sur une route sombre de campagne par le jeune homme en blanc qui raccompagne Lydie. Ce jeune homme en blanc, qui avait entraîné ce garçon qui avait trouvé la mort en train d’uriner, c’est un dédoublement du garçon mort, du pauvre chien mort, tout cela transposant la petite mort sexuelle d’un traitement de la sexualité comme d’un besoin comme un autre, et une fille étant à portée de mains d’un garçon, histoire tournant très court, tragique, froide comme la mort.

Le mariage, dans la foulée de cette fausse adéquation de la sexualité version fille avec la sexualité version garçon, laisse se jouer une autre scène. Lydie et l’homme en blanc Marc, mariés, ne se rencontrent presque jamais. Elle passe son temps dans la salle de bain, qui est son territoire secret, lovée dans la baignoire si amniotique. Elle se désintéresse de ses enfants. La version officielle étant, on suppose, la normalité. Mais l’homme en blanc, ce mari, se faisant le sauveur de cette femme qui se laisse voir en train de se noyer, ouvre une scène qui visualise ce qu’est ce mariage. Les différents personnages, Lydie, Chatte, la femme que le mari Marc a sauvée, on soupçonne que ce ne sont que les différentes facettes d’une même femme, Lydie, qui aurait cédé (et c’est toute l’histoire de ce mariage) à la tentation d’une image de la femme libre dont la sexualité serait en miroir la même que celle de l’homme. Ce qui est démenti par la scène de la noyade, où l’homme croit, le fanfaron, sauver celle qui se noie, la gardant encore à la maison.

Or, finalement, Lydie, à la fin du livre, revient à la case départ, cette boîte de nuit, pour rejouer une version très différente, déployant la partie invisible de la scène, celle où elle entre vraiment en scène. Tandis que Marc se voit comme un pauvre passereau qui s’est laissé enfermer à l’étage, attiré par la chaleur, ratant le grand départ des migrations vers le sud, curieux de sa prison il en oubliera de chercher la sortie, Lydie va à la boum, se dandine et danse dans la ligne de mire des hommes, sentant les ondes dégueulasses qui lui caressent sa peau de serpent, mais le dragueur n’aura pas le temps de lui servir sa soupe froide, elle est déjà loin sur le fil, « à jouer les funambules que le vide n’effraie plus. » Dans cette nouvelle version, la fille n’est pas en adéquation. Son identité de fille s’écrit par cette image d’une danseuse qui se soustrait sous le regard des garçons, laissant béant le désir.

Alice Granger Guitard



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