mardi 17 novembre 2009 par penvins
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Pourquoi se laisse-t-on prendre par ce roman - ce carnet de voyage – écrit à la fois en prose et en vers libres où Dany Laferrière retourne dans son pays natal enterré l’âme de son père mort en exil ?
On connaît la situation d’Haïti, on ne sait rien de la réalité de ce voyage sinon que pour l’écrire il a forcément fallu que l’auteur passe quelque temps dans son pays. Ce qui importe au fond au-delà de l’anecdote, au-delà même de l’argument du roman – la mort du père et la nécessité de le ramener au pays – c’est cette mise en avant, cette réintroduction dans l’actualité de la réalité d’Haïti non seulement de sa misère, non seulement de son régime mais surtout de la vie de sa population attachée malgré tout à sa terre.
Curieusement ce qui rattache Dany Laferrière à sa terre, ce n’est pas la mère. Quoiqu’il dise le visage de mon père ne peut s’animer sans la voix de ma mère, c’est le père qui importe. Ce que veut Dany Laferrière c’est ramener l’âme du père sur sa terre, qu’il en finisse lui aussi avec l’exil. On notera d’ailleurs que l’auteur porte exactement le même prénom que son père. Tout est dit. Y compris de ce besoin qu’il a de faire de son père un héros, en faire un homme tellement bien que l’exil ne peut lui être reproché, lui qui avait fait de l’enfance un pays sans père.
On s’en serait douté il y a de la culpabilité enfouie sous ce roman. Parti d’Haïti pour échapper au régime, Dany Laferrière se sent mal à l’aise d’être un enfant en exil et se compare à son père ce héros qu’il ramène parmi les siens. Il se compare aussi à son neveu, celui à qui on a donné son prénom – parce que l’on ne savait pas s’il allait revenir – et qui pourrait bien comme lui prendre le chemin de l’étranger, il se dit alors que
La chose la plus subversive qui soit,
[…]
C’est de tout faire pour être heureux
A la barbe du dictateur.
N’a-t-il pas trouvé là la meilleure des justifications de l’exil,
Mais pour n’avoir pas connu réellement la faim qui est l’obsession des Haïtiens comme la guerre celle des Européens ou l’espace celle des Nord-Américains, il sait qu’il ne pourra pas être l’auteur du grand roman haïtien. Il reste un étranger sur sa terre, un étranger qui (s)e sent mal à regarder (s)a ville du balcon d’un hôtel, un étranger auquel on tente de faire payer le journal un prix exorbitant.
Pourtant le retour se fera, le fils se rendra jusqu’au village natal du père, jusqu’au cimetière de ce village et lorsqu’il aura accompli ce rite, comme déchargé d’un fardeau il retrouvera l’enfance, l’enfance heureuse du pays sans père. Le temps heureux de sa grand-mère, celle qu’il a fait entrer dans ses romans comme il y a fait entrer l’univers haïtien non pour le décrire mais – comme il le dit – pour en faire encore partie. Comme son père il sera revenu au pays natal, laissant à la génération qui vient le vieux recueil de Césaire parce que c’est avant de partir qu’on en a besoin.
C’est cela le roman de Laferrière, un retour au pays que la mort du père rend nécessaire, après une absence de trente ans, un retour apaisé auprès de la terre-mère en redonnant au père la place qu’il a quitté malgré lui comme son fils le fera plus tard.
Entre prose et poésie l’évocation d’un peuple meurtri mais qui cherche à garder le sens du pays.
Malgré sa folle envie de revoir mon père, elle n’a pas voulu que ses enfants grandissent en exil. Elle voulait nous donner un sens du pays.
On trouvera ici un autre commentaire ainsi qu’un chapitre du texte
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