dimanche 31 décembre 2017 par penvins
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D’avoir tellement insisté sur la langue pour ne pas parler de la réalité, les écrivains du siècle dernier, qui se cachaient la tête dans le sable, abandonnant les lecteurs, se repliant sur la création littéraire et laissant le champ libre, hors l’école, l’université et un petit milieu d’intellectuels, au roman du réel. Parce que ce roman-là décrit merveilleusement ce que ressent le public, qu’il parle de ce dont on ne parle pas vraiment ailleurs, en tout cas dans cette littérature que l’on dirait « hors sol », il a la faveur du plus grand nombre, celui qui achète les prix littéraires pour ne pas se tromper, qui sait d’instinct où se trouve le bien et où se trouve le mal. Alors lorsqu’on lui désigne le diable, il est soulagé, lui n’est coupable de rien de cela, ni lui ni ceux qui lui ont précédé ne peuvent peu ou prou être comparés à ce monstre absolu. Habilement l’auteur choisi de raconter ce qu’est devenu le barbare, il observe de l’extérieur, objectivement, comme pour mieux provoquer le dégoût auquel son public se prêtera volontiers. Il n’est pas besoin d’insister les faits sont là, établis et le travail d’enquête tellement minutieux qu’il en est indiscutable.
Et bien sûr nous ne le discuterons pas. Ce qui est en question ce n’est pas le travail du journaliste, ni même le prix qui lui a été remis, prix dit littéraire mais qui dès sa naissance est un prix attribué par des journalistes, ce qui est en question c’est le sens même de cette confusion. Non que les deux pratiques n’aient à voir, l’une et l’autre, avec la langue, mais que celle-ci la met à son service pour instruire, dire le vrai, l’indiscutable, tranquilliser les bonnes gens si heureux d’apprendre qu’ils ne sont pas des salauds, que celui qu’il fallait traquer c’était lui, Mengele, tandis que l‘autre ne prend jamais l’acquis pour argent comptant, refuse obstinément de figer, de refermer les livres d’histoire. Et si Olivier Guez semble bien conscient, comme nous tous, de la malléabilité de l’homme, de la possibilité que l’horreur se reproduise, s’il se donne en gardien de la mémoire pour éviter que l’on retombe dans la folie nazie, d’une certaine façon il clôt le débat. Le choix qu’il fait d’une langue commune, d’une vision journalistique du monde gomme le choc que fut pour les écrivains du siècle dernier l’horreur du nazisme. Tout est rentré dans l’ordre, Mengele certes n’a pas été arrêté, ni jugé, mais il a été privé de tout plaisir de vivre et est mort minablement. Il n’y a plus à se révolter, à réinventer le monde, il faut juste se méfier de perdre la mémoire, ne pas oublier ce que certains sont capables de devenir.
Le travail de Guez est impressionnant. Pour autant que l’on peut en juger, il s’approche au plus près des faits. Ce travail-là se devait d’être accompli et l’on ne peut que le saluer. Il faudra s’y reporter et bien entendu ne cesser de rappeler ce que fut le nazisme et de quelle manière ses criminels ont échappé à la justice. Il faudra surtout s’interroger sur l’attitude de tous après la guerre, sur les complicités multiples qui ont permis ce déni de justice, mais il faut aussi se méfier, comme on se méfie de ces complicités, du long et sournois travail d’apaisement – de refoulement – dont nous avons eu besoin pour vivre par-delà l’horreur. La littérature reflète sans doute l’esprit de ce temps de l’oubli, Guez tente d’y remédier, mais en plaçant son roman du côté de la littérature, en lui attribuant ce prix dit littéraire nous tombons dans une confusion des genres, confondons imaginaire et prétendue réalité, refusons petit à petit au fantasme l’espace qui lui est dû. Place au politiquement correct, ce qui est gênant dans l’attribution de ce prix c’est l’envahissement du romanesque par le roman-réalité, désormais il n’y a plus à s’interroger sur le nazisme, nous savons parfaitement le décrire, le temps de la sidération est derrière nous :
Mengele, ou l’histoire d’un homme sans scrupules à l’âme verrouillée, que percute une idéologie venimeuse et mortifère dans une société bouleversée par l’irruption de la modernité.
Ce livre est un formidable reportage, ce n’est pas l’idée que je me fais de la littérature, encore moins quand on prétend tirer une leçon de l’Histoire. Lisez-le, il dit avec beaucoup de détail comment le monde entier a préféré ne pas trop chercher ce qu’étaient devenus les nazis, les a même souvent recyclés, mais ne tombez pas dans le piège dénoncé par l’auteur lui-même :
Toutes les deux ou trois générations, lorsque la mémoire s’étiole et que les derniers témoins des massacres précédents disparaissent la raison s’éclipse et des hommes reviennent propager le mal.
La raison ne protège pas du crime, pas plus que la littérature ne protège de quoi que ce soit, mais de le croire – et de lui donner ce rôle - peut être infiniment dangereux, maintenir la folie des hommes sous le couvercle de la raison sans permettre l’expression de la folie à travers la littérature et les arts voilà ce à quoi nous assistons tous les jours, voilà ce qu’attend le public et ce que les marchands s’empressent de lui fournir, nous savons bien que c’est inefficace, et Olivier Guez le premier :
Méfiance, l’homme est une créature malléable, il faut se méfier des hommes.
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