vendredi 3 février 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret
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JAN KEMPENAERS : NATURE SECONDE.
Jan Kempenaers, “Picturesque“, Roma Publications, Amsterdam, 2012.
Jan Kempenaers entre dans le paysage tout en s’en dissociant le plus souvent avec ses vues aériennes et de grands ensembles qui saisissent autant la nature sauvage que les paysages urbains. Le spectateur prend conscience d’un élément dont habituellement il n’a pas la complète lucidité : l’élément spatial dans lequel il vit ou dans lequel elle rêve. Entrer dans les photographies revient à entrer à notre tour en état de seconde « nature ».
Le paysage devient abstrait même s’il demeure un lieu incarné : on y pénètre, on y rentre en tension. Sans anecdote ou très peu. L’image circule en liberté. S’y engage tout le mental et l’émotion dans la conjonction photographie- espace. Et la manière qu’a l’artiste de croiser le réel et une sorte d’abstraction par effet de rappel de constructions architecturales de l’ère industrielle (en gros les années 60-70) permet de comprendre à quel point nous sommes constitués de cette hybridation. Kempenaers le transforme un espace poétique par excellence. L’artiste ne cherche pas la séduction par cette poésie visuelle froide mais une précipitation par effet de « pigmentations » et de leurs particules.
La nature comme le paysage urbain devient un champ magnétique d’une sensualité aérienne, diffuse. Demeure aussi une puissance tactile. L’artiste n’est pas dominé par le paysage. À l’inverse il ne cherche pas à le contraindre. Le fantasme est remplacé par le mythe : un mythe du béton ou du rocher, urbain ou marin que la photographe choisit de cerner en une sensualité abstraite. L’œuvre crée la véritable rencontre et la sortie du temps. Elle devient la recherche d’un parcours. C’est aussi une traversée, un gouffre de sensations. La gravité est là mais s’y renverse par exemple dans le jeu des rochers et de la mer ou des immeubles en destruction.
Tout le monde croit qu’il est facile de se jeter dans une photographie mais c’est bien plus compliqué qu’il n’y paraît. Se projeter ainsi n’est possible que par moments. Un peu comme dans l’amour. On pourrait croire que l’ayant fait une fois on peut recommencer à volonté. Et bien non sauf à tomber dans ce que l’artiste refuse : le paysage comme décoration. En effet chaque épreuve de Jan Kempenaers n’ajoute pas un objet au monde. Elle l’est à sa façon. Elle n’est pas un contrat social mais un mariage d’amour avec la nature ou la ville. C’est le moment d’une rencontre rare, d’une exception avec le désir de retrouver quelque chose.
Par ses saisies la photographe ose penser l’unité de l’espace, sa majesté. Il y a une ouverture et une profondeur : l’espace coule, s’engouffre. La photographie devient une matière qui se travaille, s’organise, se reprend. On sent une circulation, une germination spatiale, un envahissement par contamination se fait. Si bien que la situation du spectateur lui-même en est troublée. Kempenaers jette le doute sur notre position habituelle en dérangeant nos angles de vision.
Nous devenons attentifs, soucieux même à la constitution du champ visuel. Les propagations d’atmosphère ainsi créées le sont parce que l’artiste donne à ses travaux une énergie communicative. Le regard l’active dans la photographie si bien qu’elle pénètre en lui. L’espace n’est plus limité par notre présence comme il est délivré de toute présence humaine. Il continue autour de nous, nous percevons son étendue. La notion de milieu devient perceptible : l’espace s’étend, entraîne une jubilation. S’ensuit un plaisir intérieur d’être dans l’élément spatial. Kempenaers transforme la relation au monde. Le regard devient comme l’espace : agent d’unité. Une unité dont la perception nous libère mais n’est jamais acquise. D’où les incessantes reprises de l’artiste vers la recherche d’un rythme, d’une cohérence même si l’espace est rendu à son doute. Ce dernier fait partie de l’espace car il éveille le contact.
Le créateur possède aussi une manière particulière de consommer la lumière. Elle est inséparable de l’espace. Et ses éclairements ne sont évidemment pas de l’éclairage. La lumière « physique » est magistrale : elle crée la forme spatiale paradoxale. Elle n’est pas forme tout en étant une forme. L’œuvre demeure en conséquence flottante, jamais fixée. Elle ne se limite plus au simple développement photographique et relève de la présence. Jaillissement, tension. La lumière est un jet de foutre. Oui, on pourrait dire ça Mais c’est LE regard qui est pénétré.
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