dimanche 23 décembre 2018 par penvins
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Tous les ans les éditeurs découvrent un nouveau talent qui fera polémique et leur assurera un volume de vente confortable, ce sont les lois du marché qui veulent ça. Et bien entendu l’un ou l’autre de ces grands éditeurs gagne le gros lot - ne vous y trompez pas on parle ici de surface financière, de rien d’autre, témoins le peu de cas que d’aucuns font du travail de correction. Je ne pense pas particulièrement à ce texte ni à cet éditeur qui semble pour le moment plutôt exempt de reproche de ce point de vue, mais au plus "grand"d’entre eux chez qui le rendement paraît plus important que la qualité !
Ce sont les éditions de Minuit qui cette année ont tiré le bon numéro avec le roman de Pauline Delabroy-Allard, Ça raconte Sarah. On nous fait bien entendu savoir que ce roman est arrivé chez les éditeurs presque par hasard, on nous dit que l’auteur s’est décidée à l’envoyer parce qu’elle avait atteint la trentaine et qu’il était temps d’entrer dans la danse. Plan de communication bien mené, c’est la fille de son père, certes, mais elle n’a pas voulu en profiter. Bien sûr on ne le dit pas tout à fait comme ça mais lisez l’article de Télérama : J’allais avoir trente ans, j’ai paniqué, c’était le moment de faire quelque chose de fort.
La littérature pour ces auteurs-là, ne serait donc rien d’autre qu’un outil de statut social !
Et pourtant ce texte dit peut-être quelque chose de cette relation père fille que l’on s’est efforcé de sortir du champ littéraire. Quelque chose de réellement indicible qui n’est pas de l’ordre de l’avouable, comme peut l’être aujourd’hui une relation saphique. Quelque chose qui viendrait ruiner le beau plan de carrière littéraire. Ce texte a délibérément voulu en rester au convenu, à ce qui fait partie de l’air du temps, il a été écrit, construit pour faire ressentir, de lui Antonin Artaud aurait dit que c’est de la cochonnerie : Les gens qui sortent du vague pour essayer de préciser quoi que ce soit de ce qui se passe dans leur pensée, sont des cochons.
Cet amour passion, ce désir incontrôlable de similitude et en même temps cette jouissance d’être possédée par celle/celui que l’on aime, méritait mieux que cette composition française. A choisir de se servir de la langue plutôt que de la servir, à s’imaginer que l’on sait d’avance ce que l’on va dire, que l’on maîtrise son texte, qu’il suffit de le dérouler, dans un premier temps l’amour et dans un deuxième la mort, on produit ce roman bien normé, vaguement scandaleux, suffisamment pour plaire au plus grand nombre, à ces lecteurs qui ne s’intéressent qu’aux histoires bien racontées, pour le dire franchement, qui se laissent éblouir par ces romans romantiques en diable parce qu’ils sentent un peu le souffre et vous laissent encore croire à la possibilité d’un instant hors normes d’autant plus extraordinaire qu’il appelle une fin tragique.
L’amour passion voué à l’échec ! L’amour con fuoco et qui ne trouve son accomplissement que dans la mort !
On s’est émerveillé du style de ce livre, on a dit et redit qu’on ne pouvait pas le lâcher, qu’on allait d’un trait jusqu’à la dernière page, je l’ai trouvé au contraire fort ennuyeux et tout à fait convenu. Si je n’avais pas eu le projet d’en faire une note je l’aurais bien vite abandonné, j’ai même eu du mal à en faire, comme il m’arrive souvent, une deuxième lecture tant il m’a semblé artificiel et pourtant il laisse entrevoir une tragédie d’une tout autre nature que celle décrite. Ce qui intrigue et ouvre une autre piste de lecture c’est la façon dont la narratrice parle de sa fille disant très souvent « l’enfant » à tel point que l’on se demande si cet(te) enfant – de sexe non défini - est réellement pris(e) pour un être humain ! Il faut traquer le mot enfant pour se rendre compte que le vocable désigne à la fois Sarah, mais aussi la narratrice, et bien sûr sa fille. De sorte que ce qui semble se jouer à travers cet amour lesbien c’est la relation d’une enfant à ses parents, père et mère et que la mort de l’amante dont la narratrice se sent coupable…
Il faut peut-être lire ce livre comme un ratage magnifique, une occasion pas si manquée que cela de tuer ce père qui fait obstacle bien évidemment à la relation avec la mère, mais, aussi, à cette carrière littéraire qui fait terriblement envie et dont on a peur au point de ne pas oser envoyer son manuscrit à un éditeur avant d’avoir eu trente ans !
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