Folio / Essais, 1987
lundi 12 août 2019 par Alice GrangerPour imprimer
Panaït Istrati voulait, en rejoignant la révolution bolchevique, réaliser son rêve de justice. Il avait salué, en français, avec beaucoup d’enthousiasme, la révolution d’octobre 1919, tandis qu’à Paris il avait découvert la réalité occidentale et la misère du peuple. Mais, dix ans plus tard, il condamne, comme il l’avait fait de la perversion de l’Occident, la pourriture précoce qui ronge le bolchevisme, il lui demande des comptes « pour les os qu’il a broyés dans sa machine à fabriquer le bonheur » ! Cet écrivain ouvrier incarne de manière exceptionnelle la capacité humaine à résister, à s’opposer, dans une condition de solitude. Comme si cette condition de solitude était celle nécessaire aux solidarités humaines.
Il écrit « Vers l’autre flamme » dans la position d’un vaincu, parce que, au déclin de sa vie, il se trouve en désaccord sentimental avec ceux qu’il avait pris pour les meilleurs. Lui, il était venu au bolchevisme par un sentiment, ce besoin de justice, et non pas par la théorie. S’il est un vaincu, c’est-à-dire se sépare de ses amis communistes jusque dans ce qui fait leur orgueil, en Russie, le socialisme, pourtant il le fait « sans jamais cesser de combattre les ennemis de l’homme libre ». En clair, il n’est pas pour autant pour l’Occident. Par tempérament, il a toujours été « partisan de la prise de pouvoir par tous les moyens », un syndicaliste frondeur et non pas poussé par une conviction livresque.
Il avait en 1920 débarqué dans la Ville Lumière la révolte dans le cœur. Devant cette civilisation occidentale qui lui semblait avoir sombré dans l’ignominie, « la trique se dresse devant elle, terriblement menaçante. Elle se nomme bolchevisme. » « Après tant de siècles d’abomination », il se voit appartenir à une classe qui s’attribue « un rôle où la vertu, la justice, la dignité, l’honnêteté, la fraternité, le désintéressement, l’abnégation sont au premier plan », en « héritiers d’un martyrologe qui compte trop de victimes », et il trouve en ce début impensable qu’ils s’érigent en justiciers se permettant de commettre les mêmes iniquités que celles qu’ils dénoncent à la face de l’univers. Des héritiers qui, à ses yeux, marchent « la main dans la main », gagnant « du terrain sur l’ennemi actuel de l’humanité : le capitalisme ». Mais malheureusement, il va s’apercevoir qu’entre les « hommes meilleurs qui représentent la bonne foi et le progrès » et « la masse qui revendique son droit au soleil, l’accord n’est qu’apparent » ! Car hélas, « alors que la masse souffrante n’a garde de scrupule et des limites », et « réclame son dû à tout prix et se montre prête à agir par tous les moyens », il s’aperçoit que dans sa classe en route pour la justice sociale, se brassent « les mêmes envies et les mêmes appétits que l’autre classe ». Il repère ceux qui se prétendent supérieurs à la masse, devenant agitateurs professionnels, composant une élite première, le bréviaire pseudo-marxiste à la main, qui donnaient « des ordres au nom de la classe ouvrière ». Panaït Istrati se sépare de ce militant révolutionnaire, et même est prêt à le combattre.
Panaït Istrati, en entrant en Russie, s’était livré à ce pays en toute confiance, mais a découvert un combat déloyal, une partie qui se jouait entre ceux qui avaient les mains vides, perdaient leur emploi et mourraient de faim, et ceux qui avaient la Sibérie. Or, envers et contre tout, il s’accroche à cette forteresse « contre laquelle le capitalisme devra s’écraser un jour », et si ce rempart s’écroulait, cela « livrerait le monde qui peine à la réaction la plus noire ». Donc, même vaincu, il tient à ce peuple qui se révolte, en lequel habite l’autre flamme, et qu’il voit comme lui-même larguer les amarres d’avec les lumières de l’Occident.
Or, ce qu’il vérifie en URSS, « le pays le moins bourgeois du monde », c’est que c’est aussi le pays « qui aspire le plus à la bourgeoisie », comme dans les nations des Balkans, qu’il connaît bien, lui l’ouvrier de père grec et de mère roumaine. C’est à cause de cette aspiration-là que ce fut une erreur de tenter d’édifier le socialisme dans ce pays ! En somme, il fait entendre que la justice sociale, le monde meilleur auquel il rêve pour l’humanité, requiert une capacité de sevrage par rapport à ces valeurs bourgeoises d’Occident !
Panaït Istrati, encore plus que contre l’immoralité d’en haut, qu’il a vue en Occident, proteste contre « l’immoralité d’en bas, qui vient avant l’heure ! Je ne proteste pas contre la masse. Elle, la misérable, a toujours eu faim et n’a songé au sublime qu’en vertu de son ventre. Elle est à absoudre. Mais comment absoudre ceux qui sortent de son sein, se proclament son élite, s’imposent des salaires limités pour la galerie, et accaparent, étouffent, écrasent, volent, violent, tuent, dans le silence ». C’est cette élite-là, venue du bas, qu’il dénonce, et par rapport à laquelle il se sent vaincu, parce qu’en URSS, il l’a vue faire mourir de faim une personne en la privant de son travail sur simple dénonciation, condamner sans preuves, envoyer en Sibérie. Toute la hiérarchie, du sommet à la base, en URSS, était touchée. Alors qu’en Occident, les puissants aliénaient le peuple misérable mais ne le privaient pas de son travail, au pays de la dictature prolétarienne l’élite faisait mourir de faim des millions de personnes, sur simple dénonciation, forçant au silence et à plier toute tête qui dépassaient. Pour un appartement convoité, le camarade qui n’y occupait avec sa famille que deux pièces était dénoncé, perdait son travail, était réduit à la famine. « Ils ont corrompu de vastes couches sociales, et plus particulièrement les misérables, pour se faire des majorités pour gouverner ».
Mais, pourtant vaincu, il garde intacte sa vision : « il viendra, le jour où les vaincus auront voix au chapitre, par-dessus toutes les classes » !
Bien sûr, pendant quelques années, lorsqu’il voyagera en URSS officiellement, il ne verra que du feu, on ne lui montrera que la réussite apparente, et lui-même sera logé, véhiculé, reçu en écrivain, publiera des articles. Il est dessillé par ce qui arrive à un ami, l’objet d’une dénonciation coutumière en ce pays, qui chute dans la faim avec sa famille, connaît la prison voire la Sibérie. Pendant quelque temps, parce qu’il est un écrivain étranger connu, il tente d’être cette voix qui dépasse, chose si rare, afin de défendre l’ami. Mais ses articles sont censurés, ses interventions se heurtent à l’inertie de la bureaucratie, au mur du silence, à la peur endémique.
Jamais Istrati n’a glissé en touriste, en URSS. Il est resté fidèle à son désir de justice, et à ses valeurs. Et même à sa simplicité d’ouvrier. Sa résistance aux intérêts personnels, aux ambitions, semble tenir au fait que pour lui n’a pas vraiment de sens, on le devine, le changement de classe sociale. Il n’a aucune convoitise pour les privilèges de la bourgeoisie, donc il n’est pas intéressé par le saut élitiste qu’ont accompli les élites bolcheviques prêtes à tout pour leurs ambitions, y compris de faire mourir de faim le peuple d’où elles venaient ! Istrati préfère le lien avec les autres, il est depuis toujours habité d’un humanisme qui fait que la convoitise ne le pervertit pas. Il reste fidèle à un désir de justice dont il réalise par sa défaite, en se sentant vaincu parmi les vaincus de la terre, qu’il ne peut tenir que si cette convoitise, il ne sait comment, plus personne de ce peuple ne s’y ferait prendre en perdant son âme ! On entend la nécessité, qu’il sait encore impossible, d’une émancipation intérieure, d’un sevrage. Lorsqu’il évoque le fait que l’URSS, le pays le moins bourgeois de la terre, est celui qui aspire le plus à la bourgeoisie, ne touche-t-il pas, justement, à quelque chose, en Occident, qui attise cette convoitise, et à quelque chose, en URSS, qui serait comme une blessure, comme un sentiment de défaite, comme un besoin profond d’être à égalité, comme un retard à rattraper ?
Sur la route vers l’URSS, ses élans et ses pensées ont sombré. Contre ça. Mais il a été frappé par le fait que pas un dixième du prolétariat communiste ne savait ce qui se passait !
Envers et contre tout, il a toujours exercé sa liberté de parole ! Frappé par la racaille bureaucratique. Il est conscient que s’il est ici pour la vérité, il a pourtant souvent été de la fête…
Il pense que ce socialisme ne peut se construire qu’avec beaucoup de pays, jamais dans un seul pays. Il témoigne de ce que, dans cet Etat prolétarien, il y ait autant de fourbes !
Il examine la tactique communiste. Il observe les malins idéalistes de tous les Politbureau et tous les Komintern, et leur savoir politique et doctrinal ainsi que leur science du soulèvement de masse ! Mais, s’écrie-t-il, lorsqu’on veut bâtir, il faut savoir faire de la brique ! Et seule la classe ouvrière sait la faire ! Lui, Panaït Istrati, l’ouvrier, en a l’expérience, et a une compréhension de la vie « dont ne peuvent pas témoigner des hommes qui n’ont fait, leur existence durant, que bouquiner et fausser le sens des bouquins ». Donc, qui n’ont jamais vraiment eu les pieds sur la terre telle qu’elle est, où travailler ! « La classe ouvrière fait tout et on lui doit tout ». Et les « brebis aussi se doivent tout à elles-mêmes. Seulement… Il faut, d’une part, leur enseigner comment on fabrique cette herbe compliquée qui est leur moyen d’existence et, d’autre part, les préserver contre l’imminente métamorphose de la brebis humaine en loup humain » ! Or, il a constaté que cette « caste, ignorante, vulgaire, perverse, est, en majorité constituée par une jeunesse venue au monde depuis le début de ce siècle. Elle ne sait et ne veut rien savoir de ce qui avait fait la grandeur et la force de l’idéalisme révolutionnaire russe d’autrefois… Elle ne connaît que les ‘mots d’ordre’ d’un pouvoir dont elle est le ciment et l’armature… des phrases pour juger la vie, des phrases toutes faites pour remplacer les idées… un universel vide, dont elle se gargarise et se sert pour dominer » !
C’est que Panaït Istrati reste fidèle à sa condition d’ouvrier, donc à ce contact avec le monde abrupt où rien n’est donné magiquement ou parce qu’on appartient à un monde privilégié ou bien parce qu’on peut le prendre à d’autre de manière arbitraire par exemple par des dénonciations, un monde où il faut travailler, mais aussi où il y a les autres, la générosité, l’accueil, le sens d’un intérêt général. Ceux qui ne connaissent que les phrases, les mots d’ordre, comme des mots magiques pour obtenir satisfaction des intérêts personnels et de la convoitise, sont hors-sol, ils ne connaissent pas la vie sur terre, les briques pour construire. C’est pour lui un spectacle à faire vomir, ces grognements de la bête aux sons de l’Internationale ! Il voit l’élite assise sur un siège somptueux, comme un nouveau tsar ! Lui-même, logé dans de grands hôtels lors de son voyage, n’aime pas la camaraderie qui lui est imposée. Il préfère la solitude ! Et il est lucide : « un pays, et surtout un tel pays, ne vous invite pas pour vous montrer sa fosse à ordures » ! Au contraire, les invités voyagent à l’œil, sont nourris, logés, promenés, comme des pachas, « aux frais de la princesse en guenilles » ! Il ne craint pas de demander des comptes sur ce que coûte cette parade aux travailleurs soviétiques ! Il comprend qu’autour de lui, à part « quelques hommes intègres et vraiment dévoués à la Russie… le reste n’était qu’un médiocre ramassis de profiteurs occasionnels » ! Les invités, alors, échangent d’un bout à l’autre du monde, « au débit du camarade ouvrier » !
Mais Panaït Istrati est un homme doué pour l’accueil de l’autre, et en profitant de cette pratique de la porte ouverte traditionnelle en URSS, il a pu accueillir et connaître les véritables « pulsations de la vie par-delà les murs de ma chambre ». Alors, épiant les témoignages d’autres sons de cloche que le tam-tam officiel, il rencontre des Soviets « nobles, larges et sincères, comme seule peut l’être l’enfance d’une furieuse vie nouvelle » !
Mais il a connu la « Petiote vermine humaine » ! Qui ignore qu’elle cache dans les replis de sa mesquine doublure « des trésors de générosité » ! Il se demande ce qui s’est perdu !
Il revient sur Octobre rouge ! Peint la misère occidentale ! Les esclaves d’aujourd’hui qui creusent tunnels et métros, vivent dans les taudis catholiques et les bagnes fordistes, rigolent pendant leurs dimanches d’esclaves ou lors des fêtes esclavagistes et autres divertissements organisés à leur intention, ou les sports modernes « qui ne sont que de grasses entreprises nationales, où vous laissez le reste de votre blafarde intelligence » ! Et aucun tyran se penchant sur le berceau, pour dire que l’homme « n’est pas une brute », que « son premier devoir est d’être bon, juste, humain », que vivre c’est vivre pour la Communauté. Le bagne moderne, pour Istrati, c’est travailler comme des idiots, vivre comme des imbéciles, et procréer comme des onanistes ! Sublime ! Et aucune dictature n’a jamais dit que le Pouvoir est un fardeau d’honneur, que les dignités publiques ne renferment que de lourdes responsabilités, et que les arts et les lettres « vocations sacrées, ne sont pas ces putains à sleepings ou ces gondoles à chimères, pour l’abêtissement de la Communauté et la masturbation de l’artiste, mais bien la plus haute fonction morale de l’homme, dont dépend la santé de l’Humanité » ! Quelle force, quelle intelligence, quelle liberté de parole ! Donc, lui, il assume cette plus haute fonction morale de l’homme, en écrivant, en témoignant, en gardant la tête qui dépasse, en ne se laissant ni intimider, ni promener au frais de la princesse en guenilles !
Il insiste : ce n’est pas qu’une poignée de bolcheviks qui s’est révoltée : le révolte était partout. Et « il y avait là l’idée, le sentiment, l’élan de l’avenir » ! Un million et demi d’humains sur la Place Rouge ! Or, Panaït Istrati va être le témoin de ce que « Rien ne reste, nom de dieu, sans être sali, de tout ce qui sort des mains de l’homme » ! Vite, un doute sérieux s’empare de son esprit, lorsque le pouvoir se mit à parler avec une telle haine de l’Opposition, en évoquant des histoires à dormir debout ! « Quelle fraternelle saleté ! »
Ce qui le choqua, c’était la parade, et tout était parade pendant ces jours de fête. Il avait toujours eu une aversion pour la parade ! Et les affreux discours !
Pourtant, là-bas en URSS pousse aussi, « comme un chêne frôlerait les astres, dont les racines plongeraient dans le feu de la terre », l’amour pour l’homme, la passion pour l’ami, « Homme qui surgit dans mon chemin avec ta millénaire existence ». Istrati s’abreuve de la force de cet homme ! « Tu m’as donné ta masse d’amour, dont tu ne savais que faire, et je t’ai donné la mienne, qui m’accablait ».
Il rencontre l’écrivain grec Nikos Kazantzakis, qui lui dit, visionnaire, que le « bolchevisme ne marque pas le commencement d’une civilisation nouvelle, mais la fin de celle que nous vivons ». Le bolchevisme qui va détruire « tout ce fatras de fausses valeurs ». Mais Kazantzakis a déjà un doute, pressentant ce désir de bourgeoisie en URSS, et peut-être comme si la révolution d’octobre 1919 rimait avec la révolution française de 1789, où ce fut la bourgeoisie qui gagna plus que le peuple… L’écrivain grec dit : « Ce que je crains fort, c’est le voir ne pas répondre à sa mission, se mettre à bouffer et s’alourdir avant l’heure. Sa disparition prématurée livrerait le monde à la plus dégoûtante masturbation intellectuelle » ! Voilà le visionnaire ! Avec des « couilles crétoises » ! Et Panaït Istrati dénonce l’ignominie « que ce monde gouverné par des hommes froids ! non pas même par des hommes d’affaires, qui seraient au moins de brûlants créateurs d’entreprises, de géniaux organisateurs de l’énergie humaine » !
En voyage dans le Caucase, il se rend compte de l’impossibilité de voir les peuples mécontents, puisque c’étaient par eux « que nous étions reçus et fêtés ». La peur, celle d’une dénonciation, celle de la perte du travail, celle de mourir de faim, rendait muettes ces masses, qui faisaient la fête la peur au ventre.
L’URSS reçoit les délégations, les promène, et il y a de l’argent partout, Istrati n’en manque pas lui-même ! Comme si lui-même était acheté par les Soviets !
Revenant dans la patrie du prolétariat après un voyage dans les Balkans et en Grèce, où il est injurié, il se rend compte que la fête est finie. Il paie désormais partout ! Dans ce pays où les peuples sont accueillants comme on ne l’imagine pas en Occident, où l’entraide est depuis toujours pratiquée à grande échelle, « il a fallu qu’une doctrine d’Etat, stérile de sentiments, vienne refroidir les cœurs, abrutir les raisons, exaspérer les égoïsmes, pour qu’on voit se produire ces irruptions symptomatiques de haines collectives, qui vont, entre frères miséreux, jusqu’à la délation en masse et jusqu’au crime. » C’est cette dégradation morale qui intéresse Panaït Istrati, et bien sûr l’horrifie ! Il pense à ce qui dérange à ce point le « bien-être de la communauté », ce qui enlaidit son visage. Ce sont ces « régimes qui provoquent dans les tréfonds boueux de l’âme humaine de tels remous qu’ils font remonter à la surface tout ce que nos instincts contiennent de plus hideux » ! Il note que sous l’ordre capitaliste ces vices sont punis par le Code, même si nombreux sont ceux qui lui échappent. Mais en URSS, des monstres sont lâchés, du haut du fauteuil dictatorial, on dit « aux hommes… qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent, à la seule condition d’obéir à leur maître ». Qu’est-ce qui mène une telle ignominie ? Les ambitions, l’égoïsme, la luxure, le plus sauvage dans l’homme prétendu civilisé ! Les intérêts personnels avant tout ! Qui visent le mode de vie bourgeois ! Les buts vitaux sont alors « les beaux bas de soie, les belles fourrures, le bel appartement, la place bien rétribuée, c’est-à-dire tout ce qui, en pays bourgeois, demeure les buts vitaux de la majorité des citoyens » ! Mais la différence, en pays bourgeois, c’est qu’une « dénonciation d’hérésie politique ne suffit pas à faire envoyer un homme à la mort ou en prison afin de prendre sa place ou son appartement… comme on le voit, hélas, dans la patrie prolétarienne d’aujourd’hui. » La machine à fabriquer le bonheur broie les os !
Celui qui finit par se sentir vaincu parmi les vaincus a été témoin, pendant son voyage de seize mois en URSS, jusqu’où la puissance du mal pouvait aller ! C’est-à-dire ce désir de bourgeoisie passant à l’acte de manière sauvage, barbare, greffant dans le pays de l’entraide et de l’hospitalité le déchaînement sauvage de l’ambition, de l’égoïsme, froidement !
Panaït Istrati ne s’attendait pas à un tel déchaînement froid du tréfond boueux de l’humanité ! Et il s’en sent vaincu ! Mais il reste fidèle à la révolte des peuples misérables, exclus. En quelque sorte, c’est encore la bourgeoisie qui a gagné la révolution d’octobre !
Alors, on se prend à penser, en lisant ce grand écrivain, qui jamais n’a peur et garde la tête haute, sa libre capacité de penser, que la révolution, de par le monde, si elle veut réussir l’émancipation des peuples, elle exige un sevrage intérieur par rapport à ces valeurs bourgeoises, consuméristes, et alors, c’est la révolution de 1789 elle-même qui, enfin, doit se terminer. C’est donc une autre flamme qui doit nous habiter !
Alice Granger Guitard
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