mardi 5 mai 2020 par Meleze
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Arundhati Roy
Le ministère du bonheur suprême Gallimard Paris 2017
C’est un plaisir d’avoir ce livre à commenter parce que son auteure vient de signer dans la presse une alerte à propos du coronavirus et de la façon dont la pandémie divise son pays déjà profondément marqué par un racisme anti-musulman.
L’assassinat des musulmans en Inde prend de l’ampleur. Ils ont la citoyenneté. Ils ont choisi l’Inde dans la partition Indo-pak (comme l’écrit l’écrivaine) et pourtant ils sont pourchassés par des foules hindoues en colère. Le fascisme d’une certaine faction au pouvoir à Delhi fait des musulmans de l’Inde “des juifs”. Telle est la thèse principale du livre sur le bonheur suprême qui est par ailleurs une utopie. On notera la phrase de la page 166 et on espère qu’elle deviendra célèbre : ”l’Inde est gouvernée par des ânes, des vautours et des porcs”.
L’auteure a beaucoup lu des récits qui ont suivi la Shoah et s’en inspire pour ses deux personnages principaux qui subissent des tortures puis se retrouvent dans une souffrance qu’ils ne peuvent exprimer. C’est ainsi que sur le modèle du « testament du poète juif assassiné » de Elie Wiesel le texte du « bonheur suprême » est parsemé de poèmes soit par citation soit par composition de l’auteure.
Les mouvements de foules fanatisées se passent dans deux régions différentes, d’abord au Gujarat qui est l’état au nord de Bombay dont le dirigeant actuel de l’Inde Modhi, l’accusé, est originaire, puis dans le Cachemire. On regrettera d’ailleurs le fréquent changement, un peu confus de l’auteure, d’une région à l’autre qui empêche le lecteur de se faire une vue d’ensemble. Ainsi à propos du Cachemire, un officier de l’armée indienne, Amrik Singh, est décrit comme un bourreau nazi tandis que par ailleurs il est écrit que “l’idée du Jihad a envahi le Cachemire” et que “nous avons 8 ou 9 visions de l’islam qui s’y combattent”. On voit que Mme Roy cherche à éviter la politique qui aurait pu provoquer la censure de son livre de la même façon que Salman Rushdi a été poursuivi par une fatwa. La plus belle scène du livre est sûrement celle ou les deux amants se retrouvent sur un house-boat du lac de Shrinagar la capitale de l’État Jammu et Kashmir.
Le cœur du récit est formé par un groupe de 4 personnes qui se sont connues comme étudiants et dont les vies s’entrecroisent. L’auteure peut ainsi revenir d’avant en arrière selon les souvenirs des uns et des autres qui sont justement bouleversés et rendus honteux par les scènes de boucherie dont l’Inde a le secret, et dont ils ont été témoins ou victimes. Il y a ainsi une caste qui vit du dépeçage des bœufs consacrés par les hindous et aux carcasses desquels seuls des musulmans peuvent travailler, qui est massacrée. Il y a aussi une femme membre du parti maoïste indien qui réussit à échapper à la torture.
Malgré son intérêt, le lecteur se méfiera cependant du goût un peu exagéré de l’auteure pour les énumérations. Si elles contribuent parfois à la poésie d’une description, elles confinent aussi au remplissage comme c’est le cas lorsque l’héroïne isolée et confinée dans une chambre commence à parcourir un carton de papiers laissés par le propriétaire, de sorte que le lecteur doit lire 150 pages d’énumération du contenu de ces documents. On remarque alors une autre tendance de la littérature moderne, après être passée par les ateliers d’écriture et le traitement de texte, l’utilisation des tiroirs. Les récits s’enchâssent les uns dans les autres comme si le lecteur était devant une commode dont on ouvre des tiroirs contenant d’autres histoires que le récit principal.
Meleze
Note
Arundha Dati apparaissait dans un autre texte d’Exigence litterature avec le lien suivant
Il s’agit d’un texte de M.Claveron qui cite l’oeuvre de Arundhati Roy dans la phrase suivante :
"Dans une perspective temporelle — « traversée historique » (139-189) —, l’auteur conçoit également les subaltern studies comme une remise en cause de l’impérialisme européen, comme une contestation de « l’eurochronologie » et de l’ « historiographie occidentale ». Après quelques mises au point théoriques sur les subaltern studies, il convoque les romans d’Amitav Ghosh, de Salman Rushdie et d’Arundhati Roy pour montrer qu’ils déconstruisent le récit de l’histoire coloniale en assaisonnant le roman de personnages qui font figure de subalternes absolus, qu’il s’agisse de femmes, d’intouchables ou d’esclaves".
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