Editions l’Iconoclaste, 2021
mercredi 19 janvier 2022 par Alice GrangerPour imprimer
On se dit tout de suite, on dirait qu’Amélie Nothomb a fait une émule ! Car c’est de manière millimétrée que l’auteure de ce premier roman, Maud Ventura, nous prouve pourquoi cet amour d’une femme, très belle, pour son mari reste adolescent !
C’est une femme qui a pour elle sa grande beauté ! Elle s’érige, nous l’imaginons, comme quelque chose qui a une puissance d’attraction irrésistible, et en même temps est très fragile. Elle vient d’un milieu populaire. Elle est professeure d’anglais, traductrice, et de donner des cours lui a fait prendre conscience à quel point elle aime être le centre de l’attention. Son mari lui a tout donné. Il appartient à la haute bourgeoisie. Ce « tout » qu’il lui a donné résonne avec la promotion sociale ainsi qu’une scène inespérée pour cette beauté, ainsi que son corollaire, la hantise de ne pas avoir les codes de la bonne éducation, et qu’alors, à ciel ouvert, son érection chute de manière humiliante ! Elle aime dire, évidemment, que « mon mari travaille dans la finance » !
C’est comme à la cour de Versailles, où les nobles qui ont été élevés par le roi Soleil qui les a fait monter de leur province grise ont chaque jour la peur au ventre d’être rabaissés, d’être humiliés, d’être domestiqués, et qui s’accrochent pour paraître à la hauteur de la promotion et se voir beaux dans le miroir tandis que le roi jouit de son pouvoir d’élever et d’abaisser comme s’il n’avait que des phallus érectiles entre les mains ! Elle n’a pas l’aisance des personnes riches depuis suffisamment longtemps pour savoir parler à sa femme de ménage, comment mettre dans son salon les objets selon le bon goût. Elle vit dans l’attente que l’homme lui donne sa forme et elle se demande « si je suis la seule à percevoir cette salle d’attente universelle » ! Sans son mari, ce serait l’effondrement de tous les repères de pensée.
Elle fait toujours des recherches, pour savoir ce qu’il est de bon goût de faire, par exemple quel bouquet offrir pour une naissance, ce qui est le plus chic, ce qu’elle imagine que les femmes du milieu de son mari doivent savoir. Pour ne pas se trahir, elle ne pose jamais aucune question. Son apparence, ses doigts manucurés, ses cheveux brillants, l’imposant diamant à son annulaire, l’aident à paraître importante. Elle a sans cesse besoin d’une tutelle, pour cette érection à la fois sociale et sexuelle ! Et sans cesse, en toutes occasions, elles se sent humiliée, et aussi trahie par son mari, passant son temps à épier les signes supposés de cette trahison. Elle s’érige, et elle s’effondre ! Jamais, elle ne sera à la hauteur de ces femmes éduquées. Elle tremble que son mari ne l’aime plus. Plus comme au premier jour. Plus comme l’expérience de l’élévation sans avoir encore celle de la chute. Elle est sensible au plus petit grain de sable de l’ironie venant à l’occasion de rencontres mondaines. Elle s’en veut de dire à Louise que sa longue robe noire est sublime, alors qu’elle sait que cela ne se fait pas dans le milieu bourgeois ! Elle a toujours éprouvé une admiration démesurée pour les autres femmes, car se sentant inférieure. Elle n’achète que des vêtements qu’elle a vus portés par des femmes au style irréprochable, ou vendues dans des boutiques fiables ! Elle met des parfums sentis sur d’autres. Elle se met sous haute surveillante depuis le regard des autres femmes, et sous leur tutelle, en permanence. Afin qu’elle reste, aux yeux de son mari, comme au premier jour, méritant la promotion ! Sans doute ne se sentit-elle pas à sa place lorsqu’elle fut présentée à la famille de son futur mari, même si seul le silence en avait dit long !
Certes, elle a toujours su qu’elle avait la beauté pour elle, elle n’en doutait pas. Elle se sait plus belle que toutes ces femmes, dont les défauts n’échappent pas à son regard d’aigle ! On la complimente sur sa beauté depuis l’enfance. Adolescente, dans son quartier on la prenait pour une actrice. En fait, elle a déjà une cour autour d’elle ! C’est grâce à son mari qu’elle a affiné sa beauté ! « Je suis sortie de ma classe sociale pour adopter la silhouette sophistiquée que je rêvais d’avoir » ! Elle a appris l’élégance. Comment se coiffer. Elle a appris à assortir son apparence avec la maison bourgeoise qu’ils ont achetée, son mari et elle. On se dit, ce n’est pas seulement de son mari qu’elle est amoureuse, mais d’elle-même ! Elle a la peur au ventre de ne pas réussir à s’ériger jusqu’à la Beauté irréfutable. C’est son mari qui est maître de son image parfaite ! Ou de son altération. C’est lui le miroir, qui peut manquer. Ainsi, c’est lui qui a voulu qu’elle soit, elle pas une autre, la mère de ses enfants, tandis qu’elle, elle ne se sent pas maternelle, puisqu’à longueur de journée elle n’est occupée que d’elle, que son mari peut ne plus aimer. Elle court après une image d’elle-même dont elle est éperdument amoureuse, telle une adolescente, et le miroir, c’est ce mari d’une classe sociale favorisée, qui sans doute dans sa beauté voit l’incarnation de sa vitrine sociale, mais aussi de son pouvoir viril. Il a la plus belle à domicile.
Ils sont tous les deux dans un jeu sexuel adolescent solitaire joué en miroir. Elle, elle est toujours à la recherche de la plus belle image d’elle-même dans le miroir, jamais atteignable une fois pour toutes, jamais assez belle, mais beauté confirmée par le mariage avec un homme de bonne famille et de bonne situation professionnelle, et tout de suite soumise à l’humiliation en n’ayant pas les codes du bon goût. Donc, sa jouissance solitaire a besoin de se faire peur, de ne pas arriver à atteindre la beauté absolue, de jouer au jeu du for-da avec son mari en se faisant lointaine, voire en le trompant, comme si elle se faisant maîtresse de son désir pour elle, passant ses journées à écrire dans des journaux qu’elle cache, sa stratégie pour que ce soit toujours un premier jour avec son mari, c’est-à-dire pour sa beauté à elle vue dans son regard-miroir à lui ! De son côté, comme le prouve le dernier chapitre du roman, lui aussi joue au jeu du for-da avec elle. Il joue de sa peur de n’être pas à la hauteur, de sentir qu’elle est son phallus d’adolescent en turgescence et en débandade, ceci à l’infini, ça marche tout le temps, comme le roi Soleil il peut la couvrir de privilèges puis la faire chuter, comme son super organe, et ensuite il dort bien dans le noir. Alors qu’elle, bien sûr, elle préfère le jour, la lumière qui la réveille, qui la fait se voir, vérifier si elle est toujours à la hauteur de sa beauté, seulement confirmée par son mari-miroir. Elle jouit de sa beauté dans le miroir qu’il joue à lui faire manquer avant de le lui donner tout, et il jouit du plus beau des phallus adolescents qu’elle incarne, ne cessant de chuter par la peur, le doute, l’humiliation de l’origine sociale inférieure, et de s’ériger par son seul pouvoir à lui ! Lui aussi aime à se faire peur, qu’elle lui échappe, puisqu’il la laisse le tromper, sachant puisqu’il lit en secret les cahiers qu’elle pense avoir bien cachés, qu’elle ne le fait que pour l’exciter en paraissant lointaine, comme une beauté qu’un autre aurait. Chacun de son côté, ainsi, imagine avoir le pouvoir de susciter, entretenir, chez l’autre, l’objet sexuel qu’il veut qu’il soit : elle sa propre beauté tel un objet introuvable car il retombe chaque fois qu’il est atteint, lui son phallus qui retombe aussi tandis que repu il s’endort.
Alors, « Mon mari », est-ce le récit de la passion dévorante d’une femme pour son mari, femme par ailleurs prise chaque jour de démangeaisons inexpliquées ? Ou bien le roman de deux plaisirs adolescents solitaires qui s’accordent parfaitement pour que chacun relance celui de l’autre partenaire ? Ce mari lui dit qu’elle n’est pas amoureuse de lui, mais amoureuse de l’amour !
Alice Granger
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