samedi 12 janvier 2013 par Jean-Paul Gavard-Perret
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UN NARRATEUR BIEN ENCOMBRANT
Hubert Renard, « Sans Titre », Art&Fiction, coll. Re :Pacific, Lausanne, 2012, 184 pages, 30 euros..
A la peinture, la littérature peut s’offrir comme terre de mémoire. Ou plutôt auto-mémoire puisqu’ici le tableau parle. Un grand chef d’œuvre du XXIème siècle se confesse à un visiteur pour redresser ce qu’on raconte à son propos. Cet objet « supérieur » va ainsi se « réfléchir » de sa naissance à son accrochage. Il a beau affirmer au visiteur « Laissez moi vous dire que je suis comme vous infiniment surpris et totalement incapable d’expliquer ce phénomène qui nous lie », à travers lui l’auteur (artiste lui-même) met à plat et en évidence tout le système de l’art et approche le mystère de la peinture. La « géométrie » du livre en devient l’espace.
« Sans titre » propose à Hubert Renard un temps de retrait, d’interruption. Il ne se limite pas au désœuvrement mais - à l’inverse - à l’approfondissement de la manière la plus inattendue. L’auteur par sa fiction ne quitte pas la question de l’art : il la poursuit. Une telle « biographie » ne dégénère donc jamais dans un triste bavardage autobiographique. Certes écrire la fiction d’une fiction (l’œuvre d’art) ne peut sans doute pas apporter une réponse convaincante à son mystère, mais peut lui procurer pour le moins une série de justifications provocantes, complexes.
Le tableau qui parle permet à l’écrivain-artiste une manière de comprendre les hautes et basses tâches que réclame le travail artistique. L’écrire revient à dégager l’image de son enveloppe, à approfondir sa figure pour tenter d’en faire apparaître une autre. Issue autant du dehors que du dedans du chef-d’œuvre parleur l’écriture n’est pas un reflet : elle éclaire des forces confuses hors dogmes, hors certitudes. Ce n’est jamais un déploiement d’idées sûr. C’est un exercice d’ignorance.
Le roman transpose, défait l’image pour que surgisse ce que – même en plus belle fille du monde - elle ne peut montrer. La fiction se charge de ses cris muets, de sa rigueur, de sa sincérité et aussi de sa rouerie. Les mots deviennent son abréviation ou son prolongement incantatoire. Ils témoignent de son « ex carnation » plus que son incarnation. Leur effet de présence dépasse le mirage qu’on accorde à toute œuvre mais aussi sa force bien que l’on oublie trop souvent que ce n’est pas l’art qui copie le réel mais l’inverse.
Un tel roman à la fois détruit et reconstruit par sa fiction celle de l’art. Un art souvent altéré par ceux qui tournent autour (sans tomber dedans) et s’en font les gardiens. « L’exil de la langue » provoque donc tout un nécessaire travail de reformation et la déformation du visiteur. L’innocente supériorité de l’œuvre d’art devient la narratrice de sa propre biographie. Et soudain, face à la morale qui est chose de l’esprit, une immense place est laissée aux faiblesses du « corps » de la peinture, à ses égarements que cette morale ne peut inclure. La force d’âme de l’œuvre adulée est donc révisée - mais pas forcément à la baisse.
« Sans titre » restera un objet de fiction ovniesque. Le fait de rendre parlant un objet muet et privé quelque chose de public a de terribles répercussions sur le monde préfabriqué. Il met à jour une partie où se télescopent d’étranges joueurs. Tout l’establishment artistique en prend pour son grade même si Hubert Renard – et c’est ce qui fait sa force – ne cherche pas à régler des comptes.
On est ici à des années-lumière de tous ceux qui aujourd’hui se racontent dans ces romans auto-fictionnels où le secret est bien formaté et sent bon l’eau de rose et la confiture Bonne-Maman. L’espace romanesque ne fait pas le lit du narcissique ou du religieux inhérents (souvent) à l’art. Pas de péché, pas d’innocence mais la chair de la peinture mise à nu pour son odeur en dépit des pare-fumets dont on l’entoure pour des cérémonies parfois discutables.
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