dimanche 6 avril 2014 par Abdelali Najah
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Les Nuits du Ramadan 2009 à la ville d’El Jadida au Maroc ont été marquées par le spectacle d’ouverture qui avait présenté de la musique soufie de l’archipel des Comores jouée par l’artiste de renommée mondiale Nawal, la voix des Comores.
Nous avons rencontré Nawal durant ces Nuits du Ramadan qui ont ponctué ce mois sacré (mois de jeûne) du 25 août au 2ème jour de l’Aïd en septembre, pour une interview sur la question du retour du sacré dans la musique contemporaine.
Nawal est née dans la tribu des "Norvegi" à Moroni, une famille qui suit l’orthodoxie des "Darweshi" et au sein de ce groupe religieux, on prie en chantant le "daira". Ce chant-prière se retrouve dans certains de vos chansons, notamment Dunia udjisa ("Le monde est beau"). Comment expliquez-vous cette relation entre la musique et le religieux ?
NAWAL : Tout d’abord je me considère beaucoup plus spirituelle que religieuse. Je suis née musulmane et je me sens proche de cette religion Allah est pour moi trop grand pour n’appartenir qu’à une seule religion. Quand je chante, je prie pour un monde meilleur ... et avec le public, je trouve la communion. Ma musique n’a de religion que de relier les régions. J’évite d’expliquer ce qui n’est pas explicable. Une chose est sur le daira, les kasuidas etc... sont mon gospel. Je l’ai en moi, dans mon cœur, dans mon sang et je me dois surtout dans ce monde de confusion entre islam et terrorisme de "donner" cette autre image de l’islam.
La culture comorienne est un carrefour de civilisations d’origines diverses : Africaine (Bantoue), Indonesiene, Malaisiene, Persane (Chiraz), Indienne, Arabe (Yémen, Oman, Tunisie, Maroc), et Européenne (France, Portugal). Pouvez-vous nous montrer l’influence entrecroisée de cette diversité culturelle dans vos chansons ?
NAWAL : Je ne sais pas si j’ai bien compris votre question mais dans chacune de mes chansons, si on les analyse on retrouve en effet des influences de toutes ces regions, voir plus. Car ma culture est en effet basé sur l’archipel des Comores mais je suis aussi française. Et la France est aussi bien riche dans sa diversité.
A cette fin, vous associez des instruments traditionnels comoriens, africains, indiens, arabo-persans et bien entendu l’évolution musicale contemporaine...
NAWAL : J’aime presque tout les instruments mais j’ai un faible pour les instruments traditionnels en particulier. J’aime l’idée de refaire mon histoire, mon identité par la musique. Comme si j’éprouve l’ "envie" d’harmoniser, faire résonner ensemble mes vieilles mémoires à la fois de negrier, d’esclave et de chef spirituel.
Vos chansons sont un voyage vers des contrées divers. Quels sont les facteurs qui vous poussent à choisir ce chemin musical pluriel ?
NAWAL : Je suis de naissance plurielle, universelle. La terre est ma patrie et tous les humains mes frères.
Par delà leur diversité, vos chansons ont aussi un trait commun caractérisé par un charme musical original issus d’une permanente dualité : traditionnel/contemporain, binaire/tertiaire, religieux/profane, soufi/vaudou...
NAWAL : Tel est ma destinée. J’ai soif de marier les contraires. Envie d’harmonie et d’équilibre.
Vous travaillez aussi inlassablement sur les rythmes, les sons (celui de la guitare que vous travaillez pour approcher ceux du Gambussi et du N’dzézé, instruments traditionnels de l’archipel), la riche tradition poético-musicale comorienne et sur le souffle, basé sur les Dikris, ces respirations rythmiques des Derwiches comoriens que vous pratiquez par excellence...
NAWAL : Pour infos le dhikr ou zikr n’est pas seulement comoriens. Je pense que dans tout les pays où le soufisme existe, le dhikr existe. Sinon oui je suis descendante de Said Mohamed Ben Ahmed "El Maarouf" grand saint des Comores, chef de la confrérie Shadhuliya. Il n’est donc pas surprenant pour moi de faire des Dairas et du Dhikr.
Dans mon dernier album Aman (Nawali Prod/Dom disque) que vous pouvez aussi télécharger sur Believe, je joue du Gambusi dans beaucoup de titre. Ce qui est mieux que d’imiter le son avec la guitare.
Voulez-vous nous parler de votre interprétation de la chanson (Ces gens-là) du grand Jacques Brel ?
NAWAL : J’ai voulu écrire une chanson pour critiquer la bourgeoisie comorienne. Lorsque j’ai découvert cette chanson, je me suis dite que ce texte correspond bien à ce que je voulais dire. De plus écrit par un belge, d’une autre génération que la mienne elle aurait ici double fonction. En effet, je pense que dans toute les régions du monde on retrouve les différents caractères des humains et ce depuis toujours.
Je me suis inspirée d’un rythme de guérison animiste afin de lui donner un peu d’espoir.
Comment expliquez-vous le retour de la musique sacrée dans la scène mondiale ?
NAWAL : Je ne sais pas. Peut-être es ce pour équilibrer contre la monté de l’extrémisme ? En ce qui me concerne, je pense que la vie est sacrée. Tous les lieux, donc les scènes artistiques comprises peuvent recevoir les musiques sacrées car si elles font du bien se serait dommage de les limiter à une élite !
Nawal est connue aussi par ses positions engagées et ses activités caritatives et humanitaires. Voulez-vous nous parler de ce côté militant chez vous ?
NAWAL : Mon côté militante, humaniste n’a pas besoin de promotion. Ce que je peux dire c’est : Au travail tous et toute ! Le monde entier à besoin de chacun de nous pour la construction de l’humanité.
Pouvez-vous nous parler de la réalité sociale actuelle dans les Comores ?
NAWAL : Comme partout dans le monde en particulier dans les pays en voie de développement, la misère augmente ainsi que l’inégalité sociale. Les gens sont dans la course à l’argent et aux « honneurs ». Cependant il y a des initiatives de lutte contre la-les misères. Je reviens des Comores avec une image très troublante. Les écoles publique son fermées. Les enseignants n’étant pas payé ils font grève et travail dans le privé. J’ai vu les jeunes manifestaient pour le droit d’aller à l’école. Leur slogan disait « fermer les écoles, c’est ouvrir les prisons ». Ils ont raison. Pourtant la police n’a pas compris. Ils ont reçu et obéirent aux ordres. Ils ont fait usage de gaz lacrymogène et j’ai même était témoin d’un policier en particulier qui a agressé un jeune d’une façon plus qu’humiliante. J’en avais les larmes aux yeux de ne pouvoir rien y faire. Cela fait peur. Le pays est sous tension avec les élections de 2010 et le président Sambi qui demande une année de plus. Sinon, nous pleurons encore nos morts suite aux crache du vol Yéméniya le 30 juin (dernier). Une chose positive, il y a de plus en plus de femmes qui se lancent dans la politique. Bien sur il y a des femmes qui développent beaucoup plus leur énergie masculine mais en général nous avons plus de cœur.
Pour conclure, vos impressions d’avoir chanté dans les Nuits de Ramadan à la terrasse de la Cité portugaise d’El Jadida au Maroc ?
NAWAL : J’ai vécu une soirée inoubliable. Le cadre est magnifique, le public était présent. Malgré le bruit des enfants pendant les chansons les moins rythmées, ce fût vraiment un bon moment de partage. L’histoire du lieu dit qu’il "a toujours constitué un carrefour des cultures, des religions et des civilisations où les habitants vivaient dans la concorde, la convivialité et l’harmonie." Je trouve que c’est adecqua pour le message que je porte. Le faite que cela se passe une nuit de ramandan, c’est pour moi un cadeau de la vie.
NAWAL :
Nawal apparaît aujourd’hui comme une figure marquante de son archipel natal, qui manifestement a trouvé sa voix : l’étoile des Comores est au zénith. Lors de sa première grande tournée comorienne en 2006, quelques mots inscrits sur une pancarte : "Nawal, votre message est sacré et donc reçu…", semblent lui ouvrir les portes du monde. Et en effet, partout où elle pose ses pieds nus, on dit qu’elle emmène les personnes qui l’écoutent "très loin", "très haut"… Sans doute les effets d’un héritage musical particulièrement relevé : rythmes syncopés et balancements 6/8 des îles voisines, polyrythmies bantoues Est-africaines, modes arabo-persans, harmonies indiennes, touches indonésiennes…Pourtant, Nawal se considère comme une femme à la double appartenance culturelle, signe textes et musique, chante et joue de la guitare et du gambusi, instrument emblématique de l’archipel originaire du Yémen, se produit sur scène aux quatre coins du monde. Résolument acoustique, sa musique est servie par le quartet très habité qu’elle forme avec Mélissa Cara Rigoli aux percussions diverses (mbira "dzavadzimu », calebasse, cymbales, maracas, oudou) et chœurs, Matthieu “Emana” Eskenazi à la contrebasse et aux chœurs, Idriss Mlanao aux chœurs et petites percussions. Au fil du temps, sa musique s’est dépouillée pour aller à l’essentiel : entre tradition et rénovation, avec l’énergie du mélange, transes du “dhikr”, ces respirations rythmiques purificatrices de l’égo et de l’âme qu’elle rapproche du gospel, « traces » du blues et influences du reggae, du son afro-caribéen, du jazz, en un mot, du swing…Le soufisme inspire "Aman" (la Paix intérieure), son second opus (sélection SACEM pour l’aide à l’auto-production et FNAC Indétendances en 2008), dont l’intention annoncée est un hommage aux "quatre petits cailloux effervescents" qui forment l’archipel. Nawal s’y réfère en permanence au cœur pur et réceptif de son aïeul, le marabout soufi Al Maarouf. Elle ouvre un espace sacré, hors du temps… Avec la voix et le verbe d’une sage, elle ausculte l’état du monde et du public, en Comorien - le swahili de ses îles natales -, mais aussi en arabe, en français et en anglais. Sa musique est d’enracinement et de communion. « Je suis du monde entier » pourrait dire Nawal, car avec le poète soufi Rumi, elle aime à dire qu’elle a un pied dans sa propre culture et un pied dans les autres, à commencer par la culture française. La dame s’est produite en 2009 au très prestigieux « Kennedy Center » à Washington et au Turkmenistan où elle a séjourné en résidence d’artiste.
"Ecouter Nawal, c’est comprendre ce que signifient les mots “libération” et “fidélité”, c’est partager le genre d’énergie capable de changer notre poussière en or."
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