mercredi 28 mai 2014 par Jean-Paul Gavard-Perret
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Samuel Beckett, Lettres, 1929-1940, Trad. de l’anglais (Irlande) par André Topia. Édition de George Craig, Martha Dow Fehsenfeld, Dan Gunn et Lois More Overbeck, Gallimard, 2014, 800 p., 55 €.
Reprenant l’édition anglaise des lettres de Beckett, cette publication peut sembler déroger à la demande de l’auteur. Il avait accordé à son éditeur et exécuteur testamentaire Jérôme Lindon un avis restrictif à la publication de ses lettres. Ne devaient être publiées que celles ayant rapport à l’œuvre. L’édition anglaise ne respecte pas cette demande. Néanmoins c’est un régal : ce qui est écrit ne met à mal ni le génie, ni l’intégrité de l’auteur. Et dans le prochain volume seront occultées les missives à Suzanne Déchevaux-Dumesnil qui lui sauva la vie, l’accompagna jusqu’à sa mort et qu’il finit par épouser.
Cette première partie de correspondance (1929-1940) mêlent anglais, français, allemand et parfois italien, latin et grec. Le tome dit toutes les difficultés d’un écrivain en devenir qui n’arrive pas à faire publier Murphy (son premier roman) et semble prêt à renoncer au métier d’écrivain : « Je ne me sens pas de passer ma vie à écrire des livres que personne ne lira. Je ne sais même pas d’ailleurs si j’ai envie de les écrire. ».
Au sérieux se mêle souvent la fantaisie. Et celui qui n’est pas encore l’auteur reconnu élabore par sauts et gambades son art poétique. Dans une lettre de 1937 écrite en allemand où l’auteur exprime son insatisfaction à l’égard de la langue : « De plus en plus ma propre langue m’apparaît comme un voile qu’il faut déchirer afin d’atteindre les choses (ou le néant) qui se trouvent au-delà. Étant donné que nous ne pouvons éliminer le langage d’un seul coup, il ne faut rien négliger de ce qui peut contribuer à le discréditer ». Et l’auteur d’ajouter : "Y aurait-il dans la nature vicieuse (viciée) du mot une sainteté paralysante que l’on ne trouve pas dans le langage des autres arts ? ".
C’est parce qu’il n’existe pas de raison valable à opposer au déchirement du voile de la langue que Beckett ne cesse de s’y atteler dans son œuvre dont les lettres deviennent l’écho. Drôles et parfois émouvantes leur musicalité cassée qui donne cette gravité venue d’un tréfonds inconnu et qui fait de Beckett est des rares artiste qui, pour reprendre l’expression de Holderlin "a pensé dans la plus grande profondeur".
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