mercredi 22 avril 2015 par Florent Potatos
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Soumission raconte à la première personne l’histoire d’un homme qui, jeune, étudie les lettres à l’université et éprouve un grand plaisir à la liberté dont il dispose. Il consacre son temps à la lecture et l’analyse des livres de Huysmans - écrivain qui lui est sympathique et dont il trouve l’oeuvre réconfortante. Après avoir réuni ses idées en thèse, il devient professeur d’université et a l’illusion de perdre cette liberté. Soumission raconte sa vie après. Il côtoie ses collègues dont le milieu professionnel exacerbe les faiblesses et les montre sous un jour ridicule ou piteux. Il rencontre des femmes, principalement des étudiantes, et noue des relations sans avenir. Il revoit ses ex pour noter leur déréliction irrémédiable. Face à ses devoirs administratifs de factures et d’impôts, il défaille et recourt à l’alcool pour se résoudre à les retourner. Il y a également quelques personnes qu’il fréquente, avec lesquels ils observent amusés ou dubitatifs leurs individualités réciproques. Certains se lancent des défis -la fondation d’une famille, la préparation d’un barbecue, voire les deux- ils essuient des déboires retentissants et le narrateur compatit avec humanité à leurs revers. Tel est le décor.
Ensuite, arrivent des élections présidentielles. Les deux partis favoris sont inexpérimentés. Autres partis autres promesses mais la nouveauté est que cette fois-ci on y croit. En tout cas le narrateur envisagera les réformes possibles et il modifiera ses habitudes. Il discutera avec ses collègues. Il participera à des soirées pour ne parler à personne et bâfrer aux buffets. Il quittera Paris. Il conduira des véhicules motorisés. Il observera chez autrui des comportements immémoriaux reproduits dans des contextes changeants et imaginera ces comportements dans un futur hypothétique. Enfin, il lira Huysmans : il aura bien besoin de réconfort après tout ça. Subséquemment aux élections, quelques variations s’opèrent : ce sont là les grandes lignes de l’histoire de Soumission.
Trois récits sont mis en parallèle : les pensées sur Huysmans, la vie du narrateur, le contexte politique vu par les médias et un panel hétéroclite de personnes.
Le milieu professionnel du narrateur est décrit, ainsi que sa vie à côté. Ses joies résident dans la lecture, le tabac, l’alcool. Il voit rarement ses semblables et a une vie sentimentale morne. Ses amours durent moins d’une année scolaire, à force il n’en espère plus rien : il vieillit. En plusieurs moments de sa vie, il sent que quelque chose en lui se termine, ce sont ses périodes. L’ensemble constitue un panorama cohérent du narrateur.
Concernant la thématique politique du livre, l’auteur s’appuie sur de nombreux faits existants ou ayant existé, et est en ce sens crédible. L’inconvénient est que la répétition d’idées empruntées ailleurs ennuie. Sont également regrettables quelques longueurs. Par exemple, le second tour des présidentielles est raconté, mais sans rien en dire d’intéressant. Aucun suspens ne s’instaure ; aucune surprise n’arrive : un seul des deux partis en lice est décrit, le lecteur attend qu’il soit élu. Une fois le gouvernement établi, il démarre des réformes et là la facilité de leur acceptation déconcerte : la société se voit transformée en profondeur sans réaction. Le pourquoi de ces réformes est donné par quelques personnages avec ce qu’il faut d’informations : les problèmes qu’elles soulèvent sont omis. L’auteur ne fait pas l’erreur répandue de vouloir justifier ces réformes sans argumenter et évite ainsi des explications sans consistances : tout est fait pour donner une illusion de réalisme.
En parallèle de ces deux récits les références à Huysmans confrontent passé et situation présente. Elles constituent une pause bienvenue dans le récit en ajoutant des considérations plus humaines au sein du tohu-bohu ambiant. Ces pensées du narrateur évoluent au fil des circonstances : on le comprend mieux de la sorte, cela donne un point de vue différent des événements.
Enfin, moult informations sans lien avec le sujet sont insérées. Certaines instaurent une ambiance, informent sur les personnages ; d’autres ne desservent pas le récit -faits historiques, descriptions inopinées. Ce choix narratif a deux effets : brouiller la lecture du fond et retranscrire l’exposition quotidienne de l’homme à un surplus d’informations. Ici prévaut l’identification du lecteur sur la lisibilité du fond. L’effet est d’immerger mieux le lecteur dans le texte, de le rapprocher des situations. Tout est raconté avec détachement, quelques excès de lyrisme ou choix syntaxiques changeants donnent du relief à certaines situations.
Pour résumer, si on liste les points marquants et les déceptions de Soumission on note que le contexte -moins réussi- est là avant tout pour justifier le reste : la narration se focalise sur les personnages et sur le rapport des lecteurs avec les livres et leurs auteurs. Le travail du narrateur sur Huysmans illustre cette forme de communion. De nombreuses oeuvres sont aussi mentionnées pour décrire la personnalité ou l’état d’esprit de leur auteur et la sympathie qu’elles peuvent exciter. Soumission est avant tout une apologie de la lecture.
Je recommande ce livre pour cet aspect malgré ses écueils.
Pour ceux qui ont lu d’autres romans de Michel Houellebecq, le plus simple pour en parler est d’analyser Soumission après lecture en tant que composante d’une oeuvre d’ensemble et non comme roman à part entière.
Si l’on résume grossièrement les différents romans de Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte et Les particules élémentaires sont deux livres construits en quasi-totalité pour traiter du sujet de la sexualité dans notre société. Plateforme reprend ce thème en se focalisation davantage sur quelques personnages et situations. La possibilité d’une île également en abordant de nouveaux thèmes variés. Chacun de ces romans apportent aux autres de nouvelles informations sur un même thème, il est donc justifié d’aborder ce thème à nouveau. Rien de neuf n’est dit à ce sujet par la suite. L’auteur semble avoir fait le tour de cette question -il en parle toujours, mais n’ajoute rien à qu’il n’a déjà dit.
Or, lorsqu’un auteur a mis en musique l’essentiel de ses idées sur ses sujets de prédilection, s’il n’aborde pas de sujet nouveau, il peut parfaire son style ou jouer davantage avec les sujets qu’il maîtrise, agencer ses idées pour créer des situations narratives ou stylistiques intéressantes.
La carte et le territoire semble correspondre à un tournant de cette nature dans la volonté de l’auteur. Le livre est plus axé autour des personnages que des idées. L’effet créé par Plateforme – se placer près d’un individu- plus marqué que dans ses autres romans, est ici répliqué et mieux réussi. L’auteur s’amuse à se mettre en scène et à évoquer dans de drôles situations des contemporains connus. Il s’essaie également à conter une enquête policière. Le personnage de l’artiste permet d’apporter des réponses aux questions : qu’est-ce au juste qu’un artiste, comment évolue-t-il, comment modifie-t-il ses techniques d’expressions, quels sujets traitent-ils, pourquoi. Si ces interrogations, que l’on supposera être celles de l’auteur, permettent de justifier la nature du personnage principal de La carte et le territoire, il est intéressant de continuer à raisonner suivant cette idée : Michel Houellebecq -en rade- s’interrogerait sur la nature de l’artiste et de son ?uvre. Après avoir parlé de l’artiste, il reste à parler de l’oeuvre.
En ce qui concerne l’art du roman, la première question qu’on peut se poser est : qu’est-ce qui fait un bon roman, qu’est-ce qui fait qu’on y revient. A cela plusieurs réponses : le style pour les poètes, les idées pour les curieux, etc... il suffit qu’un critère soit préféré aux autres.
Au début de Soumission, Michel Houellebecq développe cette idée de Frédéric Beigbeder : « Dans un roman, l’histoire est un prétexte, un canevas ; l’important, c’est l’homme qu’on sent derrière, la personne qui nous parle. A ce jour, je n’ai pas trouvé de meilleure définition de ce qu’apporte la littérature : entendre une voix humaine ». Non seulement Soumission semble être structurée pour faire entendre une voix humaine, mais c’est également le sujet du roman : l’histoire d’un personnage à l’écoute de voix d’auteurs, dont un plus spécialement.
Il est logique qu’un personnage féru de lettres les étudie, et, s’il affectionne un écrivain particulier, qu’il lui consacre une thèse. Le fruit de ce travail est mieux valorisé dans l’éducation que dans la critique : un poste d’enseignant est le meilleur que la société puisse lui proposer. Admettons donc que ce personnage devienne professeur en faculté dans la continuité de son doctorat.
Sa prise de fonction doit marquer la transition d’un travail choisi à un emploi contraint sans évolutions possibles. Pour que ce personnage change dans le cadre de sa spécialité (qu’il se produise quelque chose), il faut que ses conditions de travail soient altérées significativement. Or, en France, le chamboulement le plus récent qu’il y ait eu dans l’éducation est l’instauration de l’enseignement laïque, subséquente aux révolutions qui sortirent l’Eglise catholique des cercles du pouvoir.
Potentiellement le retour d’un régime théologique modifierait les conditions d’enseignements. D’autres faits le pourraient aussi – privatisation de l’école, guerre, propagande – mais ce sont des circonstances éculées qui sollicitent des cordes plus banales du coeur humain : il est plus prudent d’opter pour un retour à la religion. C’est en parfaite adéquation avec le choix de Huysmans en tant qu’écrivain phare et présente une certaine souplesse dans la mesure où ça peut affecter beaucoup certaines gens et aucunement d’autres. Vient la question de la crédibilité d’une telle situation.
Une analyse simple consiste à dire que, au vu de l’absence totale de crédibilité de l’actuelle situation politique, rien ne paraît incroyable dans ce domaine. Il n’est pas exclu qu’un jour un homme politique talentueux se produise, il n’est pas exclu qu’il défende des opinions religieuses et qu’il ait des armes pour y parvenir. Admettons, admettons que la religion reprenne un rôle politique majeur et que l’éducation en soit affectée.
Quelles en seraient les conséquences pour notre personnage ? Il pourrait avoir à quitter son travail -ce qu’il pouvait déjà faire- ou à censurer ses cours. Vu qu’ils ne revêtent pas d’importance particulière pour lui, un incident de ce type serait sans grande conséquence. Raconter ce chamboulement dans son travail met ainsi en lumière l’indépendance de son attachement à un écrivain d’avec tout le reste. Quand il le souhaite il le retrouve, l’interroge, l’écoute ; il partage ses plaisirs et ses peurs, goûte l’illusion d’une compagnie. Cette transition politique, en soulevant des questionnements, pousse à renouer ce dialogue avec des livres, à renforcer la relation du narrateur à l’écrivain. En fin de compte, si rien ne change dans l’emploi du narrateur, lui évolue, sa relation lecteur-écrivain évolue. Il reste à découvrir la fin de cette relation lecteur-écrivain. Elle ne peut survenir qu’au décès ou avec le sentiment que cette relation a été épuisée, qu’il n’y ait plus rien à en espérer, -lorsque tout en a été compris.
La rédaction de la thèse constituait déjà une plongée approfondie et globale dans l’ ?uvre de l’auteur. Le plus difficile à exercer lors de cette plongée est un regard d’ensemble. Le vieillissement de cette relation et l’oubli partiel de cette analyse favorisent la prise de recul. Il suffit qu’il y ait une raison de reprendre cette analyse pour y ajouter le recul qui manquait originellement.
Dans le monde des lettres, la réédition des oeuvres complète d’un auteur est l’occasion idéale pour refaire le tour de cette relation, en finir. Voilà ce qu’aura à faire le narrateur, voilà comment pourra s’achever cette relation.
Tels sont les ingrédients de Soumission, telles sont les déductions qui ont pu mener à les regrouper. Ils découlent naturellement de l’idée à la source du roman et s’agencent logiquement dans le récit. Sont ajoutés des rencontres où est mise en avant l’humanité des personnes, des références à des oeuvres où transpire la personnalité de leurs auteurs. On sort ici des sujets premiers de Michel Houellebecq qui a vraisemblablement essayé quelque chose de neuf. Il se peut que le fil conducteur du récit disparaisse dans les digressions et les partis pris narratifs.
Personnellement, j’ai trouvé dans Soumission plus d’émotion que dans les autres romans de l’auteur. J’y ai trouvé aussi plus de maladresses, mais, à la réflexion, il me semble naturel que Soumission ait exigé un surcroît d’effort pour son auteur, il me semble naturel que l’énergie consacrée aux passages clés ait fait défaut parfois dans le liant de l’histoire ; il me semble louable d’avoir tenté quelque chose au risque de trébucher. Mieux valent des balbutiements que la diction atone d’une histoire sue par coeur. J’aimerais voir cet effort renouvelé.
Florent Montarros
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