dimanche 1er janvier 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret
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CATHERINE BOLLE ou LE DOMAINE DES IMAGES
Catherine Bolle, « Les ateliers contigus, Werkstatt als Kunstlabor, Laboratori Permanenti », Benteli, Verlag, Suisse.
Dénuder l’œil qui dévoile. Dénuder les murs douteux imposés par on ne sait quelle décision esthétique (ou politique). Tels sont les « devoirs » que s’imposent Catherine Bolle et qu’elle impose aux paysages en ses divers transfuges.
Du premier miroir qu’est le mur il ne reste plus rien. L’artiste le met aux arrêts. Ou plutôt lui donnent une intention nouvelle. Manière d’affranchir le regard. L’oeuvre s’immisce et glisse entre celui-ci et la paroi : l’un devient le désir, l’autre l’aveu du masque. Deux angles donc dont le mur, nourri d’une telle œuvre, devient le sillage et le sillon. Le mur en ce sens n’est plus objet de perdition. La peinture est un crime, une tentation et un précipice. D’une de ses mains la créatrice tend le miroir, de l’autre le fait trembler.
Ce qui dénude n’est pourtant pas le masque mais l’œil en son fond. L’œil du miroir que tend l’artiste dénude le masque du mur. Il perd son « loup », son effet de mascarade insipide. Il n’est plus reconnaissable. Il devient l’annonce de sensations enfouies dont le corps ressent soudain la force grâce à tout un univers de correspondances.
Dans notre temps saturé d’images et de signes l’œuvre de Catherine Bolle fait irruption. Il faut prendre le temps de comprendre comment elle retourne et réactive le visible. L’artiste se situe - pour reprendre deux titres d’Henri Michaux - "Face à ce qui se dérobe" et "Face aux verrous". Chacune de ses interventions devient l’indice manifeste d’une présence. Elle détermine un champ d’énergie potentielle et une étendue concrète. Déstabilisation, dématérialisation, déterritorialisation. Catherine Bolle permet de retrouver notre capacité d’émerveillement et en conséquence nous sort de l’apathie.
Elle permet en conséquence de nous souvenir des mille questions que pose l’enfant sur lui et le monde avec un émerveillement sans fin. Par ses diffractions l’artiste lutte contre l’étiolement. Ses projets transcendent tout narcissisme vers l’appel d’un partage, d’un bien commun. Existe chez l’artiste le désir de créer de nouveaux contrats avec le visible. Catherine Bolle affirme la persistance de formes à travers ses métamorphoses et leur puissance transformatrice. L’artiste ne brûle pas les ponts elle nous les fait franchir non pour un autre monde mais pour ce monde-ci dans l’émotion ; Elle rappelle l’essence de l’art : pas de monde sans mouvement, pas de mouvement sans multitude de mouvements, sans leur complexité et leur organisation désorganisée. Les mouvements de son œuvre devienne un front héraclitéen et météorologique. Avis de tempête. Pour l’éclaircie d’après.
Le désir de l’artiste donne un architecture valide aux murs. Sans le désir on en reste prisonnier, on retourne à des cauchemars de nausée, d’angoisse, de solitude. Le processus imaginaire de l’artiste rétablit un « équilibre » : on comprend que ce mur que l’on a cru voir n’était pas sûr d’être lui-même. Dès lors il peut se prendre pour un autre, pour autre chose que le peu qu’il est.
On l’a salué d’indifférence tandis qu’on passait sans se voir. Et soudain on le connaît mieux que lui-même. Il est devenu quelque chose que l’on se promet de briser. L’artiste lui accorde donc une chance imprévue par effet d’énigme. A ce titre elle devrait faire s’interroger bon nombre d’architectes sur leurs décisions plus que problématiques.
Créant ce double, l’artiste accorde à nous, à lui une présence commune. Elle force le passage afin, de sacrifier le détail à la vue de l’ensemble. Le mur n’est plus celui des fusillés du quotidien.. Il, échappe à la cible de sa neutralité.
Certes une telle approche suscite souvent le soupçon. L’artiste dérange. Mais au passant qui ne peut habituellement que prendre le chemin du brouillard succède l’émergence du spectre porteur d’une autre charge du vivant par les respirations que Catherine Bolle impose.
Ses œuvres restent des franchissements comme lorsque pour la première fois un peintre florentin y dessina un reflet avant d’être emporté dans le courant de son temps. Arrive désormais le moment où le Narcisse architecte ne possède plus de nom. Juste un matricule, un numéro : « Nar 6 »…. Grâce au travail de Catherine Bolle son bricolage, son ravaudage sont ravis (à tous les sens du terme).
Retrouvant la position entre macrocosme et microcosme le mur avoue son manque. Sa relégation dans la rationalité et l’objectivité de la technique. Il ne le pouvait voir puisqu’il n’était pas vu. L’artiste le ramène à l’état de lucarne. Ses images l’absorbent et dérobent ses masques. Elle le fend comme un oiseau fend l’air à travers ses hantises.
La créatrice le mène de l’anonyme et du connu au mystère de l’inconnu. Il devient le lieu brisé du simulacre. Il est la vision remisée et l’aveu contrarié. C’est pourquoi on devrait recouvrir les peintures de Catherine Bolle comme on voile le corps. Le temps ne glisse plus dessus, il se retient comme un désir.
Plus besoin de tourner le dos comme un fantôme lui-même gagnerait sa fuite.
JPGP
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